Le « troc du siècle » : la Palestine en échange de la Syrie ?
Article originel : Is the Trump administration seeking a trade-off with Putin: Palestine for Syria?
Par Abdel Bari Atwan
Raï al-Yaoum
L’administration Trump cherche-t-elle un compromis avec Poutine : la Palestine contre la Syrie ? interroge Abdel Bari Atwan.Il est loin d’être certain que le « président » palestinien Mahmoud Abbas soit en mesure de répondre à l’invitation de son homologue russe Vladimir Poutine d’assister à la finale de la Coupe du monde à Moscou à la mi-juillet. Les nouvelles venant de Ramallah au sujet de sa santé ne sont pas rassurantes.
Les cercles proches d’Abbas sont très réticents à donner des informations sur son état de santé. Ils sont soumis à des instructions strictes des agences de sécurité, du président lui-même et de ses fils. Des sources fiables disent qu’ils sont à ses côtés, contrôlent son agenda et ses mouvements, et déterminent qui peut lui rendre visite et pendant combien de temps.
Selon ces sources, les rapports indiquant qu’il est malade et très diminué, qu’il ne se rend à son bureau que peu de temps dans la soirée, et qu’il est ausculté dans un hôpital de Ramallah environ deux fois par semaine, sont globalement exacts.
Pendant ce temps, les hauts responsables du mouvement du Fatah en compétition pour la succession ont tenu des réunions intensives pour suivre les développements liés au soi-disant « accord du siècle » : notamment les réunions tenues dans divers états arabes par le gendre du président américain, Jared Kushner et son assistant Jason Greenblatt, les visites rendues par les dirigeants arabes à Washington, plus récemment au roi Abdallah de Jordanie, et les fuites sur les plans d’une soi-disant « paix économique ». Cela inclurait l’investissement d’un milliard de dollars pour construire une centrale électrique, une usine de dessalement et un port à Rafah côté égyptien, jouxtant la bande de Gaza, et d’en faire une zone économique libre.
Ceci est censé alléger la situation « humanitaire » des habitants de Gaza et transformer le territoire assiégé, selon les mots d’un membre du Comité central du Fatah, en un « cheikhdom palestinien indépendant ».
Abbas n’a pas quitté Ramallah depuis sa dernière crise. Son état de santé s’est détérioré brusquement, en commençant par une infection pulmonaire (il est grand fumeur), suivie d’une attaque coronarienne aiguë qu’une équipe de médecins palestiniens a mis plus de 24 heures à maîtriser. Il devait faire une tournée dans les pays arabes comprenant l’Égypte, la Jordanie et l’Arabie Saoudite pour savoir ce que se tramait concernait le « deal » et quelle vision ils en avaient. Mais il a annulé ces déplacements pour deux raisons : d’abord, il a constaté que certaines de ces capitales étaient réticentes à le recevoir en raison de son refus ferme de rencontrer des officiels américains depuis que les US ont reconnu Jérusalem occupée comme « capitale » d’Israël, et d’autre part pour éviter toute nouvelle détérioration de son état de santé sur les conseils des médecins qui le suivent.
Il est pénible de voir les dirigeants de l’OLP et du peuple palestinien paralysés politiquement, isolés au niveau régional et international, et ne jouant aucun rôle actif en ces temps délicats et dangereux – quand des complots sont en train d’éclore pour liquider la cause palestinienne, conformément aux grandes lignes établies par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu – à cause de la maladie d’un président et de la concentration de tous les pouvoirs entre ses mains.
Cela est aggravé par les ruptures palestiniennes internes actuelles et la façon dont elles ont été cyniquement exploitées par la triade arabo-israélienne-américaine.
Il se dit de plus en plus que l’administration Trump est prête à faire des concessions majeures à la Russie sur d’autres questions régionales, telles que la reconnaissance de l’influence russe en Syrie, pour obtenir un compromis sur la Palestine. Cela signifierait que les États-Unis cesseraient de soutenir tous les groupes armés syriens et se retireraient du pays, laissant la Russie et ses alliés libres de l’aider à reprendre le contrôle au sud et à rouvrir le passage frontalier avec la Jordanie, en échange d’une acceptation du « deal du siècle ».
Poutine veut exploiter la « diplomatie de la Coupe du monde » pour tenter de mettre fin à la rupture entre Abbas et Netanyahou et les ramener à la table des discussions sous un parapluie russe. Les roues pourraient commencer à tourner dans les prochains jours, surtout après la visite à Moscou du conseiller américain à la sécurité nationale John Bolton, l’un des plus fervents défenseurs de Netanyahu et de ses projets pour liquider la cause palestinienne.
Si une rencontre a lieu à Moscou entre Abbas et Netanyahou, ce serait une carte importante pour Poutine avant qu’il ne se rende au sommet qu’il tiendra plus tard à Helsinki avec Donald Trump, et que Bolton a également organisé, où d’autres points de désaccord entre les superpuissances comme la Corée du Nord, l’Ukraine, la guerre syrienne et bien sûr l’accord nucléaire iranien pourraient être discutés.
Abbas a surpris beaucoup de monde, y compris nous-mêmes, en s’accrochant à sa position de boycotter toutes les réunions avec les États-Unis et ses officiels, et en refusant de répondre à des appels concernant le « deal du siècle ». Mais des questions demeurent sur la persistance de ce boycott. Plus important encore, combien de temps demandera le rétablissement de son état de santé, et à quel point le boycott sera-t-il respecté par ses successeurs ? Nous savons que certains d’entre eux s’y opposent et veulent reprendre contact avec Washington pour des raisons pragmatiques, arguant que les Palestiniens doivent être « dans la cuisine pour savoir ce qui s’y prépare » – le même refrain défaitiste réitéré depuis le début des négociations secrètes d’Oslo.
Nous souhaitons deux choses à Abbas. Tout d’abord, qu’il s’en tienne fermement à sa position de boycotter les États-Unis – malgré nos doutes à ce sujet – à moins que ceux-ci ne révoquent leur soutien à l’annexion de Jérusalem. Et deuxièmement, qu’il continue à se rétablir et recouvre sa santé afin de pouvoir passer de cette position de boycott, à la tâche plus importante de faire face à cette menace. Nous n’avons guère d’espoir à ce propos non plus, mais on peut toujours espérer…
Notre vrai pari, nous le faisons sur le peuple palestinien. Il est la seule garantie pour déjouer tous ces plans et résister à tous ceux qui les soutiennent, qu’ils soient Américains, Arabes ou Israéliens. Et il n’a jamais cédé, comme en témoigne son énorme bilan de sacrifice et de résistance depuis un siècle.
Ce « deal » doit être mis en échec, et tous ceux qui y participent – en le promouvant et en participant aux plans pour le faire passer et le financer – doivent être dénoncés. Il est plus dangereux que la déclaration Balfour ou Sykes-Picot, car il s’agit, en somme, de la fin de la cause palestinienne et du début de l’ère juive israélienne.
*Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération.
Traduction : Chronique de Palestine