Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Rony Brauman : "Les interventions militaires françaises créent des rentes sécuritaires en Afrique" (Proche et Moyen-Orient.ch)

par Proche et Moyen-Orient.ch 9 Juillet 2018, 21:13 Rony Brauman Armée française Intervention militaire Françafrique France Articles de Sam La Touch

Rony Brauman : "Les interventions militaires françaises créent des rentes sécuritaires en Afrique" (Proche et Moyen-Orient.ch)

Rony Brauman, ancien président de MSF, porte un regard critique sur « les guerres humanitaires » et plaide pour des solutions politique pouvant inclure les islamistes. Ancien président de Médecins sans frontières, auteur de nombreux ouvrages de réflexion sur les affaires internationales et l’humanitaire, Rony Brauman a récemment publié « Guerres humanitaires ? Mensonges et intox » (Textuel, 2018).

 

Quel regard portez-­vous sur les interventions militaires françaises en Afrique ?

Elles ne relèvent pas toutes de la même logique. Ainsi le Mali ne se compare pas à la Libye. Dans le premier cas, il s’agissait de sauver un régime, dans le second d’en mettre un autre à terre. Mais dans les deux cas, on prête à l’usage de la force armée des vertus plus grandes qu’elle n’en a réellement. Autant il était justifié d’intervenir au Mali en 2013 pour stopper des groupes armés, de servir de bouclier face à une menace imminente et grave, autant la poursuite de cette opération est à la fois douteuse et critiquable. Vouloir établir la démocratie ou venir à bout d’un phénomène qui a des racines aussi profondes que le terrorisme, c’est prêter à l’armée des vertus de transformation qu’elle n’a pas. De nombreux diplomates et militaires ne sont d’ailleurs pas dupes de ces objectifs chimériques.

 

Pourquoi ne croyez-­vous pas à l’action dans la durée ?

Parce que l’on entre dans une logique clientéliste en continuant de défendre des régimes au prétexte qu’ils sont un moindre mal. Hier, c’était contre le communisme, aujourd’hui c’est contre le terrorisme islamiste. On crée ainsi des rentes sécuritaires, des rentes de situation, avec la logique infernale du statu quo prudentiel. Or, il n’y a pas de véritables alternatives à des solutions politiques locales et régionales, et non pas venant de l’extérieur. Grâce à la garantie militaire française, les pouvoirs en place ne changent rien aux situations sur le terrain. Lors de mon dernier séjour au Mali, j’ai ainsi pu observer le maintien de relations de servage dans les zones rurales, même si celles-ci sont illégales. La population pauvre n’a aucune influence politique. Certes, le Mali n’est pas une dictature comme l’Egypte, mais dans la pratique, c’est toujours « malheur aux vaincus et aux faibles ! » Donc, nos interventions protègent un statu quo injuste qui nourrit le djihadisme. L’exemple même de cette politique, ce fut le soutien accordé par François Mitterrand aux militaires algériens en 1992 après la victoire électorale du Front islamique de salut : la guerre civile a fait 150 000 morts et l’Algérie n’est toujours pas sortie de cette situation de blocage politique, avec une momie au pouvoir. Il faut accepter les vérités politiques locales. Les islamistes au pouvoir, cela ne signifie pas nécessairement le développement du terrorisme international.

 

Accepter les solutions politiques alternatives, est­-ce que cela revient à permettre aux islamistes d’arriver au pouvoir ?

Il faut accepter les vérités politiques locales. Et les islamistes au pouvoir, cela ne signifie pas nécessairement le développement du terrorisme international. Nous avons bien sûr le droit de nous défendre contre le terrorisme, mais pas celui de bloquer toutes les transformations politiques, qui impliquent que d’une manière ou d’une autre, les islamistes s’approchent du pouvoir. A cet égard, la Tunisie fournit un exemple vertueux. S’il s’était agi d’interdire au parti islamiste Ennahda de participer au pouvoir, le pays serait toujours gouverné par des benalistes. L’une des grandes préoccupations des Européens en Afrique, dont Emmanuel Macron se fait l’écho, est la migration, avec l’espoir de restreindre les départs.

 

Qu’en pensez-­vous ?

Il faut se mettre dans une perspective différente, non plus celle de la migration, mais celle de la mobilité. Dès 2008, nous avions publié, avec Bertrand Badie, Emmanuel Decaux, Catherine Withold de Wenden et Guillaume Devin, un rapport intitulé « Pour un autre regard sur les migrations » (Editions la Découverte). Il faut prendre la question de la mobilité au niveau mondial et celle-ci doit être organisée, par exemple avec un nouvel organisme des Nations Unies, en associant les pays de départ et de destination, avec les associations de la société civile. Ce que nous voyons partout, c’est une aspiration à la mobilité, avec des allers-retours. Non pas le déracinement définitif, avec la douleur que cela représente. Les gens veulent pouvoir partir travailler ailleurs et ensuite retourner d’où ils viennent. Même en France, beaucoup de gens s’expatrient pour travailler à l’étranger ! La prohibition de la mobilité crée un marché criminel de passeurs. Les demandeurs d’asile peuvent également se situer dans cette démarche, à la recherche d’un abri temporaire avant de pouvoir regagner leur pays, comme de nombreux Syriens. On parle beaucoup de codéveloppement : celui-ci repose sur des personnes – véritables développeurs – qui vont et viennent, sans crainte de rester murés dans un espace fermé.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Haut de page