Les civils qui fuient l’attaque contre leur ville, au bord de la mer Rouge, ont du mal à trouver un abri dans la capitale yéménite. Mais la vie dans les camps n’est pas plus enviable.
SANAA –Devant l’école Abu-Bakr al-Sideeq dans la capitale yéménite, Sanaa, des dizaines de personnes dorment dans la rue.
Ce sont des habitants de Hodeida, déplacés par l’assaut des forces pro-gouvernementales contre leur ville portuaire sur la mer Rouge. Ils attendent d’être autorisés à entrer dans une école, récemment transformée en camp d’accueil pour les Yéménites en fuite.
Les gardes du camp interdisent à quiconque d’entrer sans la permission des autorités, mais l’école étant déjà pleine, les surveillants en sont réduits à simplement noter les noms des personnes déplacées, et sont impuissants à les aider davantage.
Omar Ahmed Ibrahim, 44 ans, père de six enfants, a quitté son domicile près du marché de Ghulail à Hodeida le 20 juin, une fois que les combats ont atteint son quartier.
Comme beaucoup de gens, il n’a rien emporté d’autre que des vêtements.
« Nous avons fui le quartier en groupes, à pied, car les routes étaient déjà bloquées à cause des combats »
- Omar Ahmed Ibrahim, habitant de Hodeida
« Trois chars houthis à côté de ma maison tiraient sur les forces [du gouvernement pro-yéménite], et les frappes aériennes visaient les Houthis près de notre quartier, à en faire trembler la maison », raconte Ibrahim à Middle East Eye.
Ibrahim travaillait comme manœuvre sur le marché au poisson. Il n’avait pas d’argent pour les transports, ni la possibilité de gagner sa vie loin de chez lui. Mais quand la guerre s’est approchée de son quartier, son seul objectif fut de mettre sa famille en sécurité.
« Quand j’ai entendu les bombardements, je n’ai pas pensé à l’argent, et nous avons fui le quartier en groupes, à pied, car les routes étaient déjà bloquées à cause des combats », raconte-t-il.
« Quand nous sommes arrivés dans la zone du Kilo 16, des bus nous ont emmenés gratuitement à Sanaa. C’était la seule bonne nouvelle : j’ai pu prendre un bus gratuit pour aller de Hodeida à Sanaa."
L’assaut sur Hodeida a été lancé par un groupe de factions yéménites soutenues par des mercenaires étrangers, des forces terrestres appartenant aux Émirats arabes unis, des avions et des cuirassés saoudiens.
Quelque 30 000 personnes ont été déplacées jusqu’à présent, et 600 000 autres résident toujours dans la ville portuaire, où les rebelles houthis confortent leurs positions et se préparent à une longue bataille pour reprendre la ville, une rue après l'autre.
« Le conflit continue de déplacer des personnes à l’intérieur de leurs propres quartiers et dans les gouvernorats voisins, dont Sanaa, Dhamar et Ibb, certains utilisant leurs propres véhicules et d'autres les transports publics », a expliqué la semaine dernière le bureau de la Coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).
Même fuir les combats est dangereux pour les Yéménites.
Les Houthis ont disséminé des mines terrestres dans la périphérie de Hodeida, et les médias pro-Houthis ont rapporté qu’une frappe aérienne de la coalition avait touché un bus transportant des personnes déplacées fuyant leur ville en direction de Ta’izz.
Ibrahim confie qu’il se sentait en sécurité dans le bus, mais il ignorait alors que de nouvelles souffrances l’attendaient à son arrivée à Sanaa.
« Nous sommes arrivés à Sanaa au coucher du soleil. Le bus nous a déposés dans la rue, où nous avons dormi la première nuit », raconte-t-il. « Le lendemain, un philanthrope nous a emmenés chez lui et nous y sommes restés quatre jours. Après cela, il nous a demandé de quitter sa maison et de chercher un abri dans le camp d’Abu-Bakr al-Sideeq ».
« J’ai dormi dans la rue avec ma famille pendant quatre jours »
- Omar Ahmed Ibrahim, habitant de Hodeida
Le camp a été installé par les rebelles houthis qui contrôlent la capitale yéménite. Surveillants et gardes appartiennent tous au groupe rebelle.
Ibrahim, sa femme et ses six enfants dorment derrière le camp d'Abu-Bakr al-Sideeq, en attendant d’être admis par les surveillants.
« J’ai dormi dans la rue avec ma famille pendant quatre jours. J’ai enregistré mon nom auprès des superviseurs du camp, mais ils m’ont dit qu’il était complet et qu’ils ne pouvaient pas accepter de nouveaux venus. Alors ils sont en train de transformer une autre école en camp. »
MEE a essayé d’entrer dans le camp, mais les gardes et les surveillants nous en ont empêchés et interdit les photos. Ils ont aussi refusé de nous parler.
Un nombre insuffisant de camps
Hasan Mohammed, réfugié de 41 ans, a quitté sa maison, proche de l’aéroport de Hodeida, auparavant théâtre de violents combats, le 20 juin, et il est resté cinq jours dans la ville portuaire.
Comme Ibrahim, il a ensuite pris un bus pour Sanaa et dort maintenant avec sa famille à proximité du camp.
« Le bus nous a amenés jusqu’à ce camp, mais les superviseurs ne nous ont pas admis parce que le camp est plein », témoigne Mohammed à MEE. « Mais ils nous ont promis d’en ouvrir des nouveaux. »
Les personnes déplacées à l’intérieur et à l’extérieur du camp reçoivent un repas par jour. Le déjeuner est composé de riz, de yaourt et de pain, et on leur sert des haricots secs et du pain au petit-déjeuner et au dîner.
« Ici, nous recevons de la nourriture, mais nous n’en obtiendrons pas ailleurs. Nous allons donc attendre ici jusqu’à ce que nous ayons un abri », affirme Mohammed.
Des dizaines de familles massées autour du camp rêvent d’y entrer, mais les personnes déplacées qui y habitent ne sont pas non plus satisfaites de leur situation, en raison de la surpopulation.
« Nous recevons un repas par jour dans le camp, mais il est bondé, et plusieurs familles partagent la même pièce », confie à MEEun réfugié admis dans le camp six jours plus tôt.
Les surveillants empêchent les personnes déplacées logées dans le camp de s’exprimer dans les médias.
L’homme s’est confié à nous à l’extérieur du camp, pendant qu’il allait acheter des médicaments pour sa fille, qui souffre de maux de tête. Il raconte aussi que les superviseurs ne leur permettent pas de quitter le camp lorsqu’ils le souhaitent. « Si on veut sortir du camp, on doit s’arranger avec les surveillants, sinon les gardes ne nous laissent pas partir. »
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« C’est comme ça que ça se passe dans le camp, et il est impossible d’y changer quoi que ce soit. Nous espérons néanmoins que les officiels ouvriront de nouveaux camps pour diminuer le nombre de personnes dans celui-ci ».
Il explique aussi que des humanitaires sont bien venus au camp et ont recueilli les coordonnées des personnes déplacées. Mais les réfugiés n’ont pas encore reçu d’aide de leur part, déplore-t-il.
Certains activistes ont accusé les surveillants houthis du camp de maltraitance envers les personnes déplacées. Ils disent que la nourriture fournie n’est pas convenable et qu’ils ne les autorisent pas à quitter le camp pour acheter du qat, un stimulant narcotique à mâcher, populaire dans le pays.
« Les personnes déplacées à Sanaa préfèrent retourner à Hodeida plutôt que de subir les mauvais traitements des surveillants, car la vie dans les camps est plus impitoyable que sous la menace des missiles », relève Ghamdan Abu Ali, journaliste yéménite et rédacteur en chef du site web d’al-Hodeidah News, dans un post sur Facebook.
« Les personnes déplacées mangent de la nourriture que même les chiens ne toucheraient pas »
- Ghamdan Abu Ali, journaliste yéménite
« Les réfugiés mangent de la nourriture que même les chiens ne toucheraient pas. Au déjeuner, ils ne reçoivent que du riz et du yaourt, mais pas de viande, ni poulet, ni poisson, et ils mangent des haricots secs au petit-déjeuner. Les surveillants empêchent les personnes déplacées de quitter le camp pour acheter du qat, comme si elles étaient en prison. »
Cependant, les militants qui aident les personnes déplacées à Sanaa disent qu’il revient aux organisations internationales, et non aux Houthis, d’aider ceux qui ont fui Hodeida.
L’activiste social Mohammed Gaber, qui aide au transport des réfugiés, explique à MEE : « Les Houthis ne peuvent rien faire pour les personnes déplacées, et les organisations internationales en sont encore à prendre des dispositions pour travailler avec les réfugiés. Elles devraient pouvoir commencer bientôt. »
Suze van Meegan, conseillère en matière de protection et de plaidoyer au Conseil norvégien pour les réfugiés, a, avant l’attaque de Hodeida, déclaré à MEE que les organisations humanitaires n’étaient pas équipées pour faire face à la crise imminente.
« L’ampleur des besoins pourrait submerger les organisations humanitaires – nous avons déjà du mal à répondre à l’inflation des besoins dans tout le pays », a-t-elle confié.
Quelque 22 millions de personnes au Yémen ont besoin d’une aide alimentaire, dont huit millions sont au bord de la famine. Selon l’ONU, le Yémen est en proie à la pire crise humanitaire du monde.
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Alors que les déplacements se poursuivent, les organisations humanitaires ont intensifié l’assistance coordonnée aux personnes concernées dans toutes les zones accueillant des familles déplacées, dont des colis d’intervention rapide contenant des rations alimentaires prêtes à consommer, entre autres produits de première nécessité.
Cependant, dans certains quartiers, les combats limitent l’accès aux personnes déplacées, souligne l’OCHA.
Ibrahim se dit choqué de voir autant de personnes déplacées souffrir à Sanaa et de constater le manque d’organisations capables d’installer de nouveaux camps pour tous ceux qui déferlent dans la ville.
« Abris et nourriture sont les principaux besoins des réfugiés. J’espère que les organisations pourront rapidement ouvrir de plus en plus de nouveaux camps », insiste-t-il. « Nous ne pouvons pas endurer plus de souffrances dans les rues ».
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.