Israël se cache-t-il derrière les attaques contre Jeremy Corbyn ?
Par Jonathan Cook
Middle East Eye
Les preuves de l’intervention du gouvernement Netanyahou dans la politique britannique s’accumulent
Israël alimente-t-il secrètement les allégations faisant état d’une « crise d’antisémitisme » au sein du Parti travailliste britannique depuis qu’il a élu un nouveau dirigeant, Jeremy Corbyn, il y a trois ans ?
Cette question est soulevée par une nouvelle demande d’accès à l’information présentée la semaine dernière par un groupe d’avocats, d’universitaires et d’activistes des droits de l’homme israéliens.
Ils soupçonnent deux ministères du gouvernement israélien – ceux des Affaires étrangères et des Affaires stratégiques – d’avoir aidé à ébranler Corbyn dans le cadre d’une campagne à plus large échelle menée par le gouvernement israélien dans le but de nuire aux activistes de la solidarité avec la Palestine.
Le ministère israélien des Affaires étrangères emploie le personnel de l’ambassade du pays à Londres, qui a été la cible de soupçons d’ingérence dans la politique britannique suite à un documentaire réalisé en infiltration par Al Jazeera et diffusé l’an dernier.
Israël alimente-t-il secrètement les allégations faisant état d’une « crise d’antisémitisme » au sein du Parti travailliste britannique depuis qu’il a élu un nouveau dirigeant, Jeremy Corbyn, il y a trois ans ?
Eitay Mack, un avocat israélien, a écrit aux deux ministères pour demander des informations sur les contacts d’Israël et sur le financement possible d’activités nuisibles à Corbyn par des lobbies pro-israéliens au Royaume-Uni. La lettre demande spécifiquement des informations sur d’éventuels liens entre les ministères et le Board of Deputies of British Jews, le Community Security Trust, les Labour Friends of Israel et les Conservative Friends of Israel, des organisations juives britanniques.
Il demande également des informations sur les efforts que les deux ministères israéliens et l’ambassade d’Israël ont pu fournir pour influencer des journalistes et des groupes de la société civile au Royaume-Uni.
Cette initiative fait suite à un récent accès de colère du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou sur les réseaux sociaux, où il a accusé Corbyn d’avoir déposé une gerbe dans un cimetière tunisien en 2014 en l’honneur d’une faction palestinienne qui avait pris en otage des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972. Onze Israéliens avaient été tués au cours d’une opération de sauvetage manquée des services de sécurité allemands.
L’intervention très médiatisée de Netanyahou faisait suite à plusieurs jours d’accusations similaires proférées contre Corbyn dans les médias britanniques.
Le leader travailliste a pour sa part insisté sur le fait que la gerbe avait été déposée en l’honneur des victimes palestiniennes et tunisiennes d’une attaque israélienne lancée sur le sol tunisien en 1985, une opération qui avait été dénoncée à l’époque par la plupart des dirigeants occidentaux.
Les spéculations portant sur un soutien de Corbyn en faveur de terroristes palestiniens représentent une escalade des allégations faisant depuis longtemps état d’une montée spectaculaire de l’antisémitisme au sein du Parti travailliste depuis qu’il en est devenu le chef. Ces rumeurs vont bon train malgré les statistiques montrant que le parti est moins en proie à l’antisémitisme que le Parti conservateur au pouvoir et la société britannique en général.
Alors que les premières accusations d’antisémitisme au sein du parti ont principalement visé des partisans de Corbyn, l’attention s’est portée de plus en plus sur le dirigeant travailliste en personne.
La semaine dernière, la députée travailliste Joan Ryan, à la tête des Labour Friends of Israel, a écrit dans le journal The Jewish Chronicle une tribune dans laquelle elle a accusé directement Corbyn d’être responsable de ce qu’elle a décrit comme la crise d’antisémitisme du parti. Selon elle, les problèmes du parti sont nés de ses « associations passées avec des négationnistes, des terroristes et des antisémites catégoriques ».
La députée Margaret Hodge avait auparavant décrit Corbyn comme « un antisémite et un raciste ».
Marie van der Zyl, présidente du Board of Deputies of British Jews, est apparue cette semaine sur i24, une chaîne anglophone israélienne, pour tancer Corbyn : « C’est comme si Jeremy Corbyn avait déclaré la guerre aux juifs […] Nous, la communauté juive, passons notre temps à combattre le chef de l’opposition. »
Un groupe britannique récemment créé, Campaign Against Antisemitism, a sollicité cette semaine des témoignages de juifs britanniques dans une affaire qu’elle a présentée devant la Commission britannique de l’égalité et des droits de l’homme, dénonçant un « racisme institutionnel » au sein du Parti travailliste.
Le tweet de Netanyahou est loin d’être le premier exemple de l’ingérence publique d’Israël dans la politique travailliste britannique. En décembre dernier, Gilad Erdan, ministre israélien des Affaires stratégiques et proche allié de Netanyahou, avait pratiquement accusé Corbyn d’être antisémite.
« Nous reconnaissons et nous voyons que des opinions antisémites sont couvées par beaucoup de dirigeants du Parti travailliste actuel », aurait-il déclaré.
Une application israélienne développée par le ministère israélien des Affaires stratégiques aurait été utilisée ce mois-ci pour amplifier des critiques erronées à l’encontre de Corbyn sur les réseaux sociaux suite à des propos antisémites prétendument formulés lors d’une rencontre en 2010.
Investis d’une « mission », les lobbyistes israéliens ont été exhortés à répandre des allégations selon lesquelles Corbyn avait comparé Israël à l’Allemagne nazie, sur la base d’une interprétation erronée d’un article publié dans le journal britannique The Times. En réalité, Corbyn avait assisté à un événement organisé dans le cadre de la lutte contre le racisme et au cours de laquelle un survivant de l’Holocauste, Hajo Meyer, avait effectué une comparaison de ce genre.
Mais alors que ces interventions ont suscité la colère de Jeremy Corbyn et de nombre de ses partisans, il semblerait qu’en coulisses, Israël ait joué un rôle beaucoup plus important en aidant à attiser la « crise d’antisémitisme » du parti, comme le laisse entendre la demande d’accès à l’information présentée actuellement.
La principale source des problèmes actuellement rencontrés par le Parti travailliste semble être le ministère israélien des Affaires stratégiques, dirigé par Erdan depuis 2015.
Ce ministère a été créé en 2006, principalement dans le but d’empêcher l’homme politique d’extrême droite Avigdor Lieberman de démanteler la coalition gouvernementale. Lieberman et ses successeurs l’ont surtout utilisé comme plate-forme pour alimenter les inquiétudes concernant la construction d’une bombe nucléaire par l’Iran ou un prétendu problème d’« incitation à la haine par les Palestiniens ».
Plus récemment, toutefois, on a rapporté que Netanyahou avait encouragé le ministère à rediriger ses énergies vers ce qu’il appelle la « délégitimation » d’Israël, principalement en réponse à la visibilité croissante du mouvement international BDS qui encourage le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre Israël.
Au cours de l’été 2016, [le ministère des Affaires stratégiques] a publié une annonce pour un poste d’agent de renseignement censé diriger une unité spécialisée dans le « salissement » – ou les sales coups
En conséquence, le ministère des Affaires stratégiques, autrefois un relatif bras mort au sein du gouvernement, est passé à un rôle de premier plan dans la lutte d’Israël sur la scène mondiale contre les « ennemis » qui portent atteinte à son image.
Il est difficile de déterminer avec précision ce que fait le ministère, en raison du caractère sensible de son travail. Même les noms d’une grande partie du personnel sont classés secret.
Au cours de l’été 2016, il a publié une annonce pour un poste d’agent de renseignement censé diriger une unité spécialisée dans le « salissement » – ou les sales coups. Son rôle, selon Amir Oren, commentateur spécialiste des services de sécurité israéliens, consistait à « créer, engager ou attirer des organisations à but non lucratif ou des groupes non associés à Israël, afin de diffuser les éléments salissants ».
Le ministère dispose désormais d’un budget annuel de plusieurs dizaines de millions de dollars et une multitude d’indices laissent entendre qu’il joue un rôle de premier plan, bien que secret, dans le façonnement des perceptions publiques sur Israël dans le monde.
Sima Vaknin-Gil, numéro deux d’Erdan et ancienne responsable des services de renseignement militaire, a déclaré devant une commission parlementaire en 2016 que la plupart des activités du ministère devaient rester « sous le radar » en raison d’« éléments sensibles ».
« Je ne peux même pas expliquer dans un forum ouvert pourquoi il y a de tels éléments sensibles », a-t-elle déclaré.
Le travail du ministère consistait à créer une « communauté de guerriers », a-t-elle ajouté.
Yossi Melman, un analyste israélien qui suit depuis plusieurs décennies les services de renseignement israéliens, a rapporté à l’époque que le ministère recevait l’aide d’une « unité spéciale » des services de renseignement militaire pour mener des « opérations noires » pouvant comprendre des « campagnes de diffamation » et du « harcèlement ».
Les méthodes sournoises du ministère ont été évoquées il y a deux ans lors d’une conférence contre le mouvement BDS qui s’est tenue en Israël. Un collègue d’Erdan, le ministre du renseignement Yisrael Katz, avait réclamé à cette occasion des « éliminations civiles ciblées » contre des partisans de premier plan du mouvement BDS.
Cet objectif pouvait être réalisé en s’appuyant sur les informations fournies par les services de renseignement israéliens qu’il supervisait, avait-il suggéré.
Katz a employé un langage destiné à jouer sur l’expression « assassinats ciblés » – utilisée par Israël pour décrire ses exécutions extrajudiciaires de dirigeants palestiniens. Katz semblait appeler à des « opérations noires » destinées à tuer la réputation des principaux détracteurs d’Israël.
Si Israël juge nécessaire d’aller aussi loin contre les activistes du mouvement BDS, il semble raisonnable de se demander ce qu’il est prêt à faire pour ébranler Jeremy Corbyn, qui dirige le plus grand parti politique d’Europe et qui avait la victoire aux élections législatives britanniques de l’an dernier à portée de vue.
Si Corbyn finissait par devenir Premier ministre, il serait le premier dirigeant européen à donner la priorité à la cause de la justice pour les Palestiniens plutôt qu’à celle de l’occupation continue d’Israël.
« Ils espèrent qu’en agissant contre [Corbyn], ils pourront décapiter celui qu’ils considèrent comme la figure la plus puissante de ce réseau. En faisant de lui un exemple, ils peuvent semer les divisions, répandre la peur et réprimer la liberté d’expression au sujet d’Israël »
– Asa Winstanley, journaliste
Des indices sont fournis dans un rapport publié l’an dernier par deux lobbies pro-israéliens, l’Anti-Defamation League et l’Institut Reut, réalisé en collaboration avec des « experts » du gouvernement israélien et approuvé par le ministère des Affaires stratégiques. Le rapport a été divulgué sur le site web The Electronic Intifada.
La solidarité avec les Palestiniens avait « migré dans les principaux partis de gauche en Europe », avertissait le rapport, selon lequel les dégâts pouvaient être limités en « creusant un fossé » entre les « fervents détracteurs » et les « détracteurs modérés » d’Israël.
Le rapport proposait de « professionnaliser » le réseau existant de lobbies pro-israéliens et d’améliorer la « collecte d’informations » pour cibler les activistes de la solidarité avec la Palestine, évoquant un « réseau de délégitimation ». Ce genre de travail devait être effectué « en secret » et « sans compromis », ont stipulé les auteurs.
Le rapport concluait que les fervents détracteurs pourraient alors être « marginalisés à un tel point que [leurs critiques] seraient considérées comme socialement inappropriées ».
Le rapport félicite en outre le ministère israélien des Affaires stratégiques d’avoir « apporté un degré élevé de perfectionnement et de créativité au réseau pro-israélien ».
Citée dans le document, Vaknin-Gil, la directrice générale du ministère, a soutenu ses conclusions : « Je suis heureuse de voir que nous partageons un point de vue très similaire concernant le défi qui se dresse devant nous et la stratégie souhaitée. »
Qu’il y ait une connexion ou non, une grande partie du rapport se lit comme un guide stratégique pour les lobbyistes israéliens qui agissent dans le but de promouvoir l’idée d’une « crise d’antisémitisme » au sein du Parti travailliste. La question a en effet creusé un fossé entre les « fervents détracteurs » d’Israël – Corbyn et ses partisans – et une grande partie du reste de la bureaucratie du parti.
Asa Winstanley, journaliste d’investigation qui a largement couvert les allégations relatives à une crise d’antisémitisme au sein du Parti travailliste pour The Electronic Intifada, soutient que Corbyn est considéré dans les faits par Israël comme la « figure de proue du réseau de délégitimation ».
« Ils espèrent qu’en agissant contre lui, ils pourront décapiter celui qu’ils considèrent comme la figure la plus puissante de ce réseau, a-t-il expliqué à Middle East Eye. En faisant de lui un exemple, ils peuvent semer les divisions, répandre la peur et réprimer la liberté d’expression au sujet d’Israël. »
L’empreinte d’Israël est assurément présente dans les affirmations actuelles faisant état d’une crise d’antisémitisme censée tourner autour de Corbyn.
L’intervention active du gouvernement israélien dans la politique britannique a été soulignée l’an dernier dans un documentaire en quatre parties réalisé en infiltration et produit par la chaîne qatarie Al Jazeera. Le documentaire a filmé en secret les activités de Shai Masot, un agent de l’ambassade d’Israël à Londres.
L’enquête d’Al Jazeera a suscité de nombreuses plaintes selon lesquelles elle aurait enfreint les règles de radiodiffusion, l’accusant d’antisémitisme, de parti-pris, de montage inéquitable et d’atteintes à la vie privée. Cependant, l’Ofcom, l’autorité régulatrice de la radiodiffusion au Royaume-Uni, a disculpé le programme de toutes les accusations.
À LIRE ► Shai Masot, le Machiavel israélien pris la main dans le sac
Le peu de couverture accordé au documentaire dans les médias britanniques portait sur les rencontres entre Masot et des activistes pro-israéliens du Parti conservateur. On y voit Masot en train de comploter en vue de « faire tomber » un sous-secrétaire d’État aux affaires étrangères, Alan Duncan, qui était considéré par Israël comme trop favorable aux Palestiniens.
Mais le documentaire en lui-même se concentrait sur les rencontres beaucoup plus importantes entre Masot et des activistes pro-israéliens du Parti travailliste. L’un des principaux efforts de l’agent consistait à créer une organisation de façade, une branche de jeunesse des Labour Friends of Israel, qui aurait été opposée à Corbyn.
Masot a également été filmé en train de collaborer avec deux lobbys pro-israéliens clés au sein du parti Travailliste, le Jewish Labour Movement (JLM) et les Labour Friends of Israel, organisation dont plusieurs dizaines de députés travaillistes sont membres.
Asa Winstanley, de The Electronic Intifada, a noté que le JLM était devenu au cours des dernières années une organisation largement endormie jusqu’à sa résurgence en février 2016, juste au moment où les allégations faisant état d’une crise d’antisémitisme au sein du Parti travailliste ont commencé à apparaître.
Ceux qui ont essayé d’enquêter sur la manière dont le JLM a pu étendre ses opérations aussi rapidement affirment que ses sources de financement sont « complètement opaques ».
« Le JLM [Jewish Labour Movement] ressemble étrangement à un intermédiaire de l’État israélien »
- Asa Winstanley, journaliste
Peu de temps après que le JLM est devenu plus actif, une nouvelle directrice, Ella Rose, a été nommée. C’est Winstanley qui a révélé que Rose avait été recrutée directement depuis l’ambassade d’Israël à Londres, où elle travaillait comme responsable des affaires publiques.
Bien que le JLM ait fait valoir qu’il représentait la diversité de l’opinion juive au sein du Parti travailliste, ce point de vue est contesté depuis l’enquête d’Al Jazeera. Une nouvelle faction, Jewish Voice for Labour, a depuis été créée dans le but déclaré de montrer qu’un grand nombre des membres juifs du parti soutiennent Corbyn.
« Le JLM ressemble étrangement à un intermédiaire de l’État israélien », a indiqué Winstanley.
« Ce n’est pas un mouvement populaire organique, comme il se plaît à le prétendre. Et ce n’est pas un hasard s’il a été l’élément moteur des accusations d’antisémitisme sous Corbyn. »
Ella Rose et le JLM ont tous deux été contactés par MEE pour commenter ces allégations. Aucune réponse n’a été reçue de leur part au moment de la publication.
Pour qui travaillait Masot ? Comme on pouvait s’y attendre, les responsables israéliens et les médias israéliens ont minimisé son importance, le dépeignant comme un acteur mineur de l’ambassade qui poursuivait une politique personnelle véreuse.
Ce point de vue a semblé être accepté par le gouvernement et les médias britanniques, qui ont laissé la controverse s’éteindre rapidement après le renvoi de Masot en Israël.
Mais il existe des preuves considérables que le travail de collaboration de Masot avec des organisations britanniques pro-israéliennes contre Corbyn était mené sous la direction du ministère israélien des Affaires stratégiques.
En septembre 2016, alors qu’Al Jazeera filmait son documentaire en infiltration, Haaretz a fait état d’une guerre de territoire de plus en plus intense entre le ministère israélien des Affaires étrangères et celui des Affaires stratégiques, les deux organes visés par la demande d’accès à l’information.
Dans un câble envoyé au ministère israélien des Affaires étrangères et divulgué par Haaretz, ses hauts responsables à l’ambassade à Londres déploraient le fait que le ministère des Affaires stratégiques d’Erdan « exploitait » les organisations juives britanniques dans le dos de l’ambassade.
La préoccupation apparente de l’ambassade concerne le fait que de telles opérations risquent d’enfreindre le droit britannique et pourraient avoir des répercussions « dangereuses » sur le travail de l’ambassade. « La Grande-Bretagne n’est pas les États-Unis ! », stipule le câble.
Haaretz a expliqué le sentiment d’inquiétude sous-jacent à ce câble : « Le problème juridique potentiel provient du fait que la plupart des organisations juives britanniques sont définies comme des organisations caritatives. En tant que telles, elles sont exclues de toute activité de nature politique à moins que celle-ci soit directement liée aux objectifs caritatifs de l’organisation. »
Selon l’article d’Haaretz, le ministre des Affaires stratégiques Gilad Erdan s’était rendu en Grande-Bretagne deux semaines plus tôt pour tenter de régler les différends. Ses conseillers au Royaume-Uni avaient promis « de ne pas se prendre pour l’ambassade », bien que le câble identifie un incident, survenu peu après, lors duquel l’un des conseillers en question a agi de la sorte.
Masot était-il un autre de ces « conseillers » d’Erdan au Royaume-Uni qui opèrent hors de l’ambassade ? Ses opérations secrètes – captées par la caméra – relèvent précisément de ce dont se plaignait sa propre ambassade.
À un certain moment au cours des nombreuses semaines de tournage secret d’Al Jazeera, Masot change radicalement de direction. Il annonce au reporter infiltré qu’il ne peut plus être directement impliqué dans la création d’un mouvement de jeunesse travailliste et qu’il doit rester en retrait. On le voit faire un clin d’œil au journaliste.
Son changement soudain de discours semble coïncider avec la querelle entre le personnel de l’ambassade et le ministère des Affaires stratégiques.
Un activiste travailliste, qui a souhaité rester anonyme compte tenu des purges qui ont lieu à l’intérieur du parti, a déclaré à MEE : « Corbyn est confronté à une alliance contre-nature et de circonstance entre des députés de droite au sein du Parti travailliste comme du Parti conservateur, le gouvernement israélien et ses lobbyistes, et les services de sécurité et médias britanniques.
« Ils ont opté pour l’antisémitisme comme la meilleure arme à utiliser contre lui en raison du tabou que constitue la question. C’est comme des sables mouvants. Plus il se débat contre les allégations, plus il est aspiré dans le bourbier. »
Cela a été on ne peut plus évident au cours des mois de querelles au sein du Parti travailliste au sujet de la définition de l’antisémitisme. Sous la pression des détracteurs de Corbyn, le parti a approuvé en juillet un nouveau code de conduite basé sur une « définition de travail » hautement controversée, élaborée en 2016 par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA).
L’adoption de la définition de l’IHRA n’a cependant aucunement contribué à apaiser les organisations dirigeantes juives telles que le Board of Deputies ou le JLM. Leur objection est venue du fait que le code de conduite du travail excluait quatre des onze « exemples » possibles d’antisémitisme de l’IHRA – les principaux exemples qui se rapportent à Israël.
Les responsables travaillistes craignaient que leur inclusion ne réduise sérieusement la capacité du parti à critiquer Israël.
Les experts sont de cet avis. David Feldman, directeur de l’Institut Pears pour l’étude de l’antisémitisme au Birkbeck College de l’Université de Londres, a mis en garde contre « le danger de voir l’effet global obliger les détracteurs d’Israël à démontrer qu’ils ne sont pas antisémites ».
Sous la pression de groupes pro-israéliens, cependant, le Parti travailliste semble proche d’adopter tous les exemples formulés par l’IHRA.
L’empreinte d’Israël est manifeste dans ces efforts visant à redéfinir l’antisémitisme d’une manière qui éloigne son centre de gravité de la haine des juifs pour le déplacer vers les critiques envers Israël.
Ce revirement menace inévitablement tout dirigeant politique qui, comme Corbyn, souhaite exprimer sa solidarité avec les Palestiniens.
La définition de l’IHRA est elle-même basée sur celle qui a été proposée en 2004 – et rejetée après de nombreuses critiques – par l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC), un organe de l’Union européenne aujourd’hui disparu.
Cette définition dérive des travaux d’universitaires israéliens tels que Dina Porat, qui faisait partie d’une délégation du ministère israélien des Affaires étrangères lors d’une conférence sur la lutte contre le racisme organisée à Durban (Afrique du Sud) en 2001. À cette époque, Israël était confronté à un barrage de critiques pour son recours à la force meurtrière lors de la répression d’un soulèvement palestinien.
Nathan Thrall, analyste de l’International Crisis Group basé à Jérusalem, a observé que le but de Porat et des autres était de créer « une nouvelle définition de l’antisémitisme qui assimilerait les critiques contre Israël à la haine des juifs ».
Le rôle du ministère des Affaires stratégiques, compte tenu de sa nature secrète, est plus difficile à évaluer. Toutefois, l’existence d’une unité spécialisée dans les « sales coups » porte à croire qu’il existe une stratégie visant à diffamer et à isoler d’éminents activistes de la solidarité avec la Palestine tels que Corbyn
Ces personnes ont été en grande partie responsables de la manière dont la « définition de travail » de l’EUMC a été formulée.
Israël et ses lobbyistes étaient cependant frustrés par l’incapacité de cette définition à gagner du terrain. Les choses ont commencé à changer en 2015.
Une conférence à Jérusalem parrainée par le ministère israélien des Affaires étrangères, le Forum mondial pour la lutte contre l’antisémitisme, a recommandé cette année que la définition de l’antisémitisme « soit réintroduite sur la scène internationale dans le but de lui conférer un statut juridique ».
La tâche a été confiée à Mark Weitzman, un lobbyiste pro-israélien de haut rang du Simon Wiesenthal Center de Los Angeles. En tant que président de la commission de l’IHRA sur l’antisémitisme et le négationnisme, il a fait pression en faveur de la définition discréditée de l’EUMC. L’IHRA l’a officiellement adoptée en 2016.
Dans un nouveau livre intitulé Cracks in the Wall, l’analyste Ben White renvoie à un document du gouvernement israélien approuvant ce changement d’orientation dans la définition de l’antisémitisme. Le document stipule : « La principale innovation dans la définition de travail est qu’elle inclut également les expressions d’antisémitisme dirigées contre l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme un collectif juif. »
Destiné à l’origine à réprimer les débats d’étudiants sur Israël et à contrecarrer la semaine contre l’apartheid israélien organisée sur les campus, l’outil a désormais été mis en service avec succès contre le chef d’un parti politique britannique majeur.
Selon Winstanley, si la définition complète de l’IHRA est approuvée par le Parti travailliste, « la chasse sera ouverte contre Corbyn et ses partisans au sein du parti. »
Il a ajouté que la stratégie décrite dans le rapport de l’Anti-Defamation League et de l’Institut Reut était suivie de près. « Des stratégies de désinformation éprouvées sont employées pour isoler Corbyn de sa base de soutien », a-t-il expliqué.
Les universitaires et avocats israéliens qui ont demandé un accès aux informations relatives aux activités de deux ministères israéliens – ceux des Affaires étrangères et des Affaires stratégiques – estiment que les documents officiels pourraient contribuer à mettre en lumière le rôle joué par Israël dans la fomentation des problèmes auxquels Corbyn est actuellement confronté.
À LIRE ► Ne cédons pas maintenant à l’intimidation d’Israël sur l’« antisémitisme »
Le ministère des Affaires étrangères a manifestement été au centre des efforts visant à élargir la définition de l’antisémitisme en la faisant passer de la haine des juifs à une fourre-tout regroupant toute critique d’Israël – une définition avec laquelle Corbyn et ses partisans ne peuvent qu’entrer en contradiction.
Le rôle du ministère des Affaires stratégiques, compte tenu de sa nature secrète, est plus difficile à évaluer. Toutefois, l’existence d’une unité spécialisée dans les « sales coups » porte à croire qu’il existe une stratégie visant à diffamer et à isoler d’éminents activistes de la solidarité avec la Palestine tels que Corbyn.
Il existe des preuves qu’en coopération avec le ministère des Affaires étrangères, l’institution a géré au moins un agent à l’extérieur de l’ambassade londonienne chargé d’aider et potentiellement de diriger des lobbies pro-israéliens dans le but d’amplifier une prétendue crise d’antisémitisme au sein du Parti travailliste.
Compte tenu de sa longue expérience, en première ligne, d’initiatives de lutte contre le racisme mettant l’accent sur la solidarité avec la Palestine et les critiques envers Israël, Jeremy Corbyn pourrait constater l’existence d’une mine interminable de « scandales » prêts à l’emploi dans laquelle les deux ministères pourraient perpétuellement creuser.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Les articles du blog subissent encore les fourches caudines de la censure cachée via leur déréférencement par des moteurs de recherche tels que Yahoo, Qwant, Bing, Duckduckgo...Si vous appréciez notre blog, soutenez-le, faites le connaître ! Merci.
- Contrairement à Google, Yahoo & Co boycottent et censurent les articles de SLT en les déréférençant complètement !
- Censure sur SLT : Les moteurs de recherche Yahoo, Bing et Duckduckgo déréférencent la quasi-totalité des articles du blog SLT !