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Bolloré, la Françafrique et le capitalisme attrape-tout (InvestigAction)

par Olivier Ndenkop 2 Septembre 2018, 09:30 Bolloré Françafrique Capitalisme néocolonialisme France Articles de Sam La Touch

Bolloré, la Françafrique et le capitalisme attrape-tout (InvestigAction)

En temps de paix comme en période de guerre, il poursuit ses activités en Afrique et y fait toujours plus de bénéfices. Présent dans 46 pays sur les 54 que compte le continent, le groupe Bolloré peut, à juste titre, être présenté comme le plus grand ambassadeur de l’économie française en Afrique. Mais, à quoi doit-il cette performance ? Enquête sur une multinationale qui séduit au Nord mais inquiète au Sud. 

 

De la colonisation au néocolonialisme

L’histoire africaine du groupe Bolloré est intiment liée à celle du colonialisme français en Afrique. Elle commence indirectement en 1927 avec la prise du contrôle du port de Dakar par  la SCAC/SOCOPAO. Le port sénégalais devient le point de passage privilégié du cacao, café et caoutchouc produits sur le sol africain par les colons occidentaux. En 1986, Bolloré rachète les sociétés coloniales SCAC/SOCOPAO à la Compagnie financière de Suez. C’est le début de sa saga africaine.

Au printemps 1991, Bolloré reprend la compagnie maritime Delmas-Vieljeux. L’objectif est clair : tirer d’énormes profits sur le flux des matières premières et des produits finis entre l’Afrique et l’Occident. En ce début de la décennie 90, les économies africaines subissent de plein fouet les contrecoups de la détérioration des termes de l’échange. Pour sortir la tête de l’eau, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international imposent une thérapie de choc : la privatisation des sociétés publiques. Ces institutions financières poussent les Etats africains à céder les pans entiers de leur économie aux acteurs privés. Les multinationales occidentales raflent la mise.

 C’est le sacre du néocolonialisme. Et Bolloré est à l’avant-garde. En 1995, il prend le contrôle de Sitarail, une société ferroviaire binationale qui exploite la ligne ferrée qui va d’Ouagadougou au Burkina Faso à Abidjan en Côte d’Ivoire. En 1999, la Régie nationale des chemins de fer du Cameroun rejoint le portefeuille du Groupe Bolloré et devient Camrail. Depuis la reprise du rail camerounais, Bolloré a privilégié le transport des marchandises, plus rentable et moins exigeant ; délaissant le transport des passagers. L’un des trains exploités au Cameroun par Bolloré a d’ailleurs déraillé le 21 octobre 2016 à Eséka, faisant 79 morts.  Les résultats de l’enquête commise par le président camerounais et conduite par quatre experts a conclu que Bolloré est « totalement et pleinement responsable » de cette catastrophe ferroviaire.

 

Du néocolonialisme à la Françafrique

Depuis son arrivée en Afrique jusqu’à nos jours, les plaintes s’amoncèlent contre ce capitaliste visiblement insatiable. Mais, il enchaine aussi les concessions.  Pour justifier ses nombreuses prises, le groupe Bolloré met en avant la stabilité de son actionnariat qui lui permet de faire des « investissements à long terme », sa « grande surface financière » (10,582 milliards d’euros de capitalisation au 13 janvier 2017), sa « maîtrise des technologies de pointe » et la solide formation/expérience de sa ressource humaine. Mais il y a un envers du décor.

 

Les fruits de la diplomatie parallèle

Selon plusieurs témoignages, Bolloré fait régulièrement recours à des intermédiaires pour remporter ses victoires sur le continent. En l’an 2000, le milliardaire breton a eu l’ingénieuse idée de recruter un vieux routier des réseaux françafricains. Un homme qui peut appeler plusieurs présidents africains sur leur téléphone portable. Michel Roussin puisqu’il s’agit de lui, est un ancien sous-préfet passé par les renseignements. Il a occupé les fonctions de ministre de la Coopération entre mai 1993 et novembre 1994. Le nouveau vice-président du groupe Bolloré peut donc réveiller ses réseaux pour faciliter l’obtention des marchés. Finalement en terrain conquis, Bolloré étend ses domaines d’activités. En 2004-2005, il obtient la gestion des ports d’Abidjan en Côte d’Ivoire et de Douala au Cameroun. En 2018, la multinationale française gère 18 ports en Afrique (cliquez pour voir la liste : https://www.bollore-ports.com/reseau-mondial/afrique.html), trois  compagnies ferroviaires (Sitarail, Camrail et Benirail). A travers la société Socfinal, elle exploite les plantations d’hévéa et d’huile de palme sur 187 000 hectares en Côte d’Ivoire, au Libéria, en République démocratique du Congo, au Nigeria, au Kenya et au Cameroun.

Entretemps, Bolloré a créé des médias qui lui permettent de relooker l’image de ses partenaires africains. Sur la chaîne Direct8, les présidents des pays où le Groupe opère sont présentés comme des modèles de bonne gouvernance. Les présidents Sassou Nguesso, Paul Biya, Abdoulaye Wade y sont couverts d’interminables éloges. En 2007 par exemple, alors que le chef de l’Etat camerounais est en visite en France, Matin Plus, quotidien gratuit édité par le groupe Bolloré consacre sa grande une à ce dictateur invétéré avec pour titre : « Paul Biya. Le président du Cameroun reçu à l’Elysée ». Ce n’était plus arrivé depuis longtemps qu’un journal français réserve un traitement aussi bienveillant à un président au pouvoir depuis… 25 ans.

 

De la communication à la corruption

Le milliardaire Vincent Bolloré a été placé en garde à vue  le 24 avril 2018 à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales de Nanterre avant d’être mis en examen pour « corruption d’agent public étranger », « complicité d’abus de confiance » et « faux et usage de faux ». Il est soupçonné d’avoir obtenu des concessions portuaires en Guinée et au Togo dans des conditions douteuses. Les faits reprochés à Vincent Bolloré remontent à 2010. Au mois de novembre de cette année-là, l’une de ses sociétés dénommée Havas et spécialisée dans la communication conduit la campagne électorale du candidat victorieux Alpha Condé. L’investiture du nouveau président guinéen a lieu le 21 décembre 2010. Le vieil opposant reçoit ses attributs de chef d’Etat.

Première surprise : trois mois seulement après sa prise de fonction et contre toute attente, le président Alpha Condé signe un décret portant résiliation du contrat de Necotrans. La décision présidentielle est d’autant plus surprenante que trois ans avant (en 2008), Getma, la filiale locale de Necotrans avait obtenu un contrat de 25 ans pour gérer le port  de Conakry.

Deuxième surprise : le port de Conakry est aussitôt confié  au groupe Bolloré. Une bataille judiciaire s’ouvre en France pour contester la nouvelle cession. Necotrans qui vient d’être chassé comme un malpropre saisit  le Tribunal de commerce de Nanterre. Le 10 octobre 2013, le groupe Bolloré est  condamné à lui verser 2,1 millions d’euros pour des travaux déjà réalisés sur la place portuaire de Conakry.

 Les difficultés de Bolloré ne s’arrêtent pas là. Il est soupçonné d’avoir sous-facturé ses prestations de communication lors de la campagne électorale pour obtenir la concession du port de Conakry comme cadeau en cas de victoire du candidat Condé. Autre lieu, même grief. En 2010, le port de Lomé est confié à Bolloré dont la société Havas venait d’assurer la campagne du candidat Faure Gnassimbé. Saisis, les courriels de Jean-Philippe Dorent, cadre d’Havas confirmeront les soupçons de la police. D’où la mise en examen de l’industriel breton.

 

Bolloré poursuivi pour avoir fait ce qu’il a toujours fait

Si ses démêlés avec la justice sont suivis avec autant d’attention en Afrique comme en témoignent les échos dans la presse et les commentaires sur les réseaux sociaux, c’est que Vincent Bolloré est bien connu en Afrique où il a réalisé 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017.

Vue du continent, la mise en examen de M. Bolloré fait sourire. Pour le commun des Africains, il est poursuivi pour avoir fait au Togo et en Guinée ce qu’il a toujours fait ailleurs. Au Cameroun par exemple, sa prise du Terminal à containeurs du Port autonome de Douala a fini devant les tribunaux. En effet, le 13 novembre 2006, Dupuydauby dépose une plainte contre Bolloré au Tribunal de première instance de Douala Bonanjo pour « corruption et favoritisme dans l’attribution de la Douala international terminal (DIT) ». Le dimanche 29 avril 2018, sur le plateau d’Equinoxe TV, maître Simon Kack Kack donnera des détails sur ce que les Camerounais ont toujours appelé le scandale de la privatisation du Port autonome de Douala. « Ce qui arrive aujourd’hui en France aurait dû arriver au Cameroun il y a dix ans. La société Progrosa dirigée par monsieur Jacques Dupuydauby qui a déposé cette plainte en France  l’avait déjà déposée au Cameroun en 2008. La justice camerounaise avait été saisie mais curieusement, dans ce dossier et ça je vais le dire ici, le magistrat qui avait la charge de ce dossier et qui a eu l’outrecuidance de convoquer Bolloré, […] avait été sanctionné.  [Comme sanction pour avoir osé convoquer Vincent Bolloré devant un tribunal], on l’a affecté dans une ville de la région du Sud-Ouest où il n’arrivait même pas à accéder. […] Pendant près de 3 ans, il n’avait pour seule activité que l’apprentissage de l’anglais. Il ne faisait donc plus le travail de magistrat », a détaillé le juriste. 

Deux ans avant la saisine du Tribunal de première instance de Douala, la Banque mondiale (BM) avait déjà émis des réserves sur les conditions d’attribution du Terminal à containeurs du Port de Douala au Groupe Bolloré. La BM qui finance l’économie camerounaise a marqué sa désapprobation à travers deux courriers datant des 24 mars et 9 avril 2004. On peut y lire : «Le contenu de cette convention semble donc aller à l’encontre tant des intérêts économiques du pays quant à son objectif de compétitivité que de ceux des chargeurs et des opérateurs camerounais […]. La Banque mondiale estime que la convention proposée à l’issue des négociations ne peut être jugée satisfaisante». Rien n’y fait, le port est confié à… Bolloré.

En Côte d’Ivoire, l’attribution du second Terminal à containeurs du port d’Abidjan a également été émaillée de contestations. Excédé par ce qu’il appelle « les pratiques anticoncurrentielles » de Bolloré, l’entrepreneur et homme politique ivoirien Jean-Louis Billon se lâche dans les colonnes du magazine Le Nouvel Observateur (juin 2013) en ces termes : « son offre technique, par exemple, était beaucoup moins intéressante que celle de ses concurrents ».Non sans avoir ajouté : « je ne serais pas surpris si demain on me disait qu’il y a eu des problèmes de gouvernance dans l’attribution du deuxième terminal ». Les problèmes de gouvernance évoqués par Jean-Louis Billon ont commencé en Guinée voisine.

 

Plongée dans les eaux troubles de la Françafrique

Dans les colonnes du quotidien Le Monde, édition du 8 décembre 2012, Bolloré lui-même reconnait que ses méthodes de travail relèvent « plutôt du commando que de l’armée régulière ». Bravo pour l’honnêteté ! Il ne pouvait en être autrement pour un groupe qui compte des anciens ministres et anciens agents du renseignement parmi ses salariés.

 Fidèles à cette logique commando, les émissaires du groupe Bolloré vont à la rencontre des gestionnaires de marchés et leur font toutes sortes de promesses pour remporter les appels d’offres. Depuis la mise en examen du milliardaire breton, les langues se délient dans ce sens. Le 27 avril 2018, sur les antennes de Radio France internationale, l’ancien président du patronat guinéen a fait des révélations troublantes. Mamadou Sylla a commencé par fixer l’opinion, en rappelant que les faits remontent à 2007 (période de mise en concession du port de Conakry qui fait grand bruit aujourd’hui). Selon ses dires, l’homme d’affaires guinéen a été approché par les mandataires de Vincent Bolloré qui souhaitaient obtenir le port de Conakry sans appel d’offres. « J’ai déjeuné même avec eux, chez moi, au cinquième étage ici. Donc, ils m’ont demandé d’avoir le port pour un franc symbolique. J’ai dit que je n’avais pas la qualité pour donner le port, pas moi, je ne pouvais pas le donner ». Visiblement satisfait par la mise en examen de Bolloré, Mamadou Sylla a annoncé sa disponibilité à collaborer avec la justice pour que la vérité sur les conditions d’attribution du port de Conakry éclate et que les coupables soient punis.

Tenter de corrompre les « agents publics étrangers » semble une méthode bien à la mode chez Bolloré. La pratique semble également avoir été utilisée en Côte d’Ivoire, lors de la mise en concession du second Terminal du port d’Abidjan. « En 2004, quand je critiquais vivement le contrat sur le premier terminal [du Port d’Abidjan], j’avais été approché par quelqu’un du groupe Bolloré. Cette personne m’avait fait des propositions pour que je révise ma position, mais je n’avais pas cédé», révèle encore Jean-Louis Billon. « Je me demande pourquoi, chaque fois qu’on arrive sous les tropiques, on se permet ce qu’on ne ferait jamais chez soi», fulmine ce dernier.

 

  De la Françafrique au capitalisme attrape-tout

En 32 ans de présence africaine, le Groupe Bolloré ne s’est pas seulement comporté en digne héritier de la Françafrique. Il est allé au-delà du pré carré français qui rassemble les anciennes colonies pour s’établir dans les pays anglophones, notamment au port de Tenma au Ghana, de Lagos au Nigeria ou encore dans les plantations au Libéria, au Kenya… Outre les clôtures linguistiques, Vincent Bolloré renverse toutes les barrières idéologiques sur son passage. Il est aussi bien reçu par les libéraux Paul Biya, Abdoulaye Wade que par les membres de l’International socialiste comme Laurent Gbagbo ou Alpha Condé. Un vrai capitaliste attrape-tout.

Rappelons que le groupe Bolloré tire 25% de ses bénéfices de l’Afrique. Un chiffre appelé à augmenter substantiellement avec la ruée des Africains vers les produits Canal+, l’autre marque du Groupe, spécialisée dans la commercialisation des contenus radio et télé. Canal+ compte déjà 2 millions d’abonnés en Afrique.

Source : Le Journal de l’Afrique N°41

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