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L’Amérique des sans-abri (Truthdig)

par Chris Hedges 30 Octobre 2018, 09:28 Précarité USA Sans-abri Crise Economie Libéralisme

L’Amérique des sans-abri (Truthdig)

PORTLAND, Oregon – Il est 8 heures du matin. Je suis dans les petits bureaux de Street Roots, un hebdomadaire qui imprime 10 000 exemplaires par édition. Ceux qui vendent le journal dans la rue, tous victimes de l’extrême pauvreté et la moitié sans abri, se sont rassemblés avant de partir avec leurs paquets pour passer des heures dans le froid et sous la pluie.

 

« Il y a des soins des pieds le lundi à partir de 8 heures du matin avec les infirmières », crie Cole Merkel, directeur de l’emploi du temps des vendeurs, au-dessus du bavardage. « Si vous avez besoin qu’on s’occupe de vos pieds, venez vous faire faire un soin des pieds par les infirmières. Juste un petit mot pour remercier Leo et Nettie Johnson, qui ont appelé à l’hôtel de ville cette semaine pour témoigner de la criminalisation du fait d’être sans abri devant le conseil municipal et le maire. Super génial. »

Les hommes et les femmes, la plupart d’âge moyen ou âgés, s’assoient sur des chaises pliantes qui longent les murs. Ils sont enveloppés dans des couches de vêtements usés et en lambeaux. Certains bercent de petits chiens. D’autres serrent une tasse de café jetable dans leurs mains et en prennent de petites gorgées. L’hebdomadaire a été fondé en 1998. Il met l’accent sur les questions relatives à la justice sociale et environnementale ainsi qu’au sans-abrisme. Il reproduit également des poèmes et des illustrations des 180 vendeurs, qui achètent le journal au prix de 25 cents l’exemplaire et le vendent pour un dollar.

Sur les murs, il y a des rappels poignants de la vie de ces personnes, y compris des affiches d’hommes et de femmes disparus, des notices indiquant où trouver de la nourriture ou des vêtements gratuits, et des notices nécrologiques éparpillées d’une page sur les personnes décédées récemment, dont beaucoup ont été découvertes dans des parcs ou sur des trottoirs. L’âge moyen de décès est de 51 ans pour un homme et de 43 ans pour une femme. Près de la moitié succombent à l’alcool ou aux drogues, 28 pour cent sont renversés par des véhicules et 9 pour cent se suicident. L’espérance de vie s’effondre une fois qu’on devient un sans-abri. Chaque année, de 50 à 80 sans-abri meurent dans les rues de Portland, et beaucoup d’autres dans ses hôpitaux.

« Monica a besoin d’un rein » signale une inscription manuscrite.

« Disparu : Robert Gary Maricelli, qu’on n’a pas vu depuis le 10 février à 23 h », dit une autre. Maricelli, 22 ans, a été aperçu pour la dernière fois près du Steel Bridge à Portland.

Ces hommes et ces femmes, et de plus en plus d’enfants, sont les dommages collatéraux de la corporatocratie [cette nouvelle gouvernance se réfère à un système économique et politique contrôlé par les firmes transnationales ou les représentants de leurs intérêts, NdT], leur dignité et leur vie détruites par le transfert massif de la richesse vers le haut, la désindustrialisation et la réduction des investissements fédéraux dans les logements sociaux amorcée sous l’administration Reagan. Le manque d’emplois stables et offrant un salaire permettant de vivre dans une économie du petit boulot et de l’intérim, l’effondrement des services de santé mentale et des services médicaux pour les pauvres et l’embourgeoisement [en anglais le terme gentrification décrit un phénomène urbain par lequel des arrivants plus aisés s’approprient un espace initialement occupé par des habitants ou usagers moins favorisés, transformant ainsi le profil économique et social du quartier au profit exclusif d’une couche sociale supérieure NdT] transforment l’Amérique en un enfer sur Terre pour des centaines de milliers de ses citoyens. Et ce n’est que le début.

Bien que les estimations des administrations fédérales situent le nombre de sans-abri du pays à 554 000, la plupart des villes – y compris Portland, qui compte officiellement environ 4 000 sans-abri – estiment que leur nombre, notoirement difficile à évaluer, est au moins trois fois supérieur. Les écoles de Portland, comme la plupart des écoles publiques du pays, constatent une augmentation de l’itinérance chez leurs élèves – 1 522 enfants dans le district scolaire de Beaverton, soit 4 % des inscriptions totales, et 1 509 dans les écoles publiques de Portland, soit 3 % des inscriptions totales. Le problème s’étend à de nombreuses petites villes de l’Oregon. À Butte Falls (429 habitants en 2010), dans le comté de Jackson, il y a 56 étudiants sans-abri, soit 30 % de l’effectif total du district. Beaucoup d’étudiants sans-abri, parce qu’ils passent souvent d’un endroit temporaire à un autre, n’apparaissent jamais dans les statistiques officielles.

Alors que nous nous dirigeons vers un nouvel effondrement économique, les souffrances endurées par ceux qui vivent dans la rue deviendront de plus en plus familières, en particulier avec l’intention de réduire ou d’éliminer davantage les services sociaux au nom de l’austérité. Rien ne stoppera la spirale descendante si ce n’est une désobéissance civile suivie. Les deux partis politiques au pouvoir sont mariés à un système économique qui sert les riches des entreprises et punit et criminalise les pauvres et les travailleurs pauvres. Plus de la moitié du pays n’est probablement qu’à quelques fiches de paie d’être dans la rue.

Cette partie indigente de Portland était autrefois connue sous le nom de Nihonmachi ou Japantown. Le journal Street Roots se trouve dans l’ancienne Blanchisserie Chitose [Chitose-shi est une ville japonaise situé dans la sous-préfecture d’Ishikari, sur l’île de Hokkaidō, NdT]. De l’autre côté de la rue se trouve l’ancien Oshu Nippo News, le quotidien de langue japonaise qui a été attaqué par le FBI le 7 décembre 1941, lors de l’attaque de Pearl Harbor. Elle a été fermée et son personnel arrêté. La population japonaise du quartier a été raflée, dépouillée de tous ses biens et placée dans des camps de concentration, faisant partie des 120 000 Japonais-américains, la plupart originaires de Californie et du Nord-Ouest, qui ont été internés pendant la guerre. Des gens qui n’étaient qu’un seizième Japonais ont été arrêtés. Soixante-deux pour cent de ces personnes déplacées selon une directive d’internement étaient des citoyens américains. Il n’y a pas eu de rapports dignes de foi indiquant qu’ils constituaient un risque pour la sécurité. C’était une politique fondée sur le racisme.

La communauté japonaise de Portland ne s’est jamais rétablie après la guerre. Les crimes passés de l’État se confondent, aux yeux de Kaia Sand, la directrice exécutive de Street Roots, avec les crimes actuels.

« Ces familles se sont retrouvées sans-abri et incarcérées sur ordre du gouvernement fédéral », dit-elle. « Leurs possessions étaient réduites à ce qui rentrait dans des valises. Maintenant, dans ces mêmes rues, les gens transportent aussi leurs sacs et leurs chagrins sans domicile. »

Charles McPherson, 34 ans, regarde la collection de nécrologies récentes affichées sur le mur près de la porte d’entrée. Il avait environ 2 ans quand son père est mort. Au cours de sa dernière année de lycée, il a été pris en otage par un prisonnier évadé et détenu pendant 12 heures lors d’un affrontement avec la police. Il n’est jamais retourné à l’école.

« SSPT » [Syndrome de Stress Post Traumatique, NdT], dit-il à propos de sa déscolarisation. « Je ne pouvais plus me trouver dans une foule. »

Il est passé d’un emploi à court terme à un autre. Il a vécu deux ans dans un camping-car. Il a déposé d’innombrables demandes de logement, mais elles ont été rejetées. En 2014, il était sans abri.

Je lui demande ce qu’il trouve le plus difficile dans le fait d’être sans abri.

« Ne pas pouvoir aller de l’avant », dit-il. « Tout juste faire en sorte de ne pas perdre tout ce qu’on a. »

Tout au long de la journée, j’entends beaucoup parler de « tout perdre ». De petits tas de biens, ainsi que des tentes ou des bâches, précieuses pour les sans-abri et qu’il est très difficile de se procurer, confisquées lors des descentes de police. Les victimes se retrouvent debout sous la pluie au milieu de la nuit, sans rien. Les biens confisqués sont censés être entreposés par deux sous-traitants, Pacific Patrol Services et Rapid Response Bio Clean, pendant 30 jours, mais beaucoup de gens dans la rue disent ne jamais revoir leurs biens.

Leo Rhodes, 53 ans, un Indien Pima, a grandi dans la pauvreté dans la réserve indienne de Gila River au sud de Phoenix. Il s’est engagé dans l’armée à 19 ans. Quand il est revenu de l’armée après trois ans, il a commencé à abuser de drogues et d’alcool. Il est sans-abri depuis 30 ans, un coup oui, un coup non. Il a également été l’un des défenseurs les plus efficaces des sans-abri à Seattle et à Portland. Il a aidé à fonder et à organiser la gestion de deux villages de tentes et d’une aire de repos à Portland où les sans-abri peuvent dormir par quarts de 12 heures dans un environnement sûr appelé Right to Dream Too [le droit de rêver aussi, NdT]. Il garde des cahiers pleins de sa poésie. Il divise le monde en « sans-abri et non sans-abri ».

Il me tend un de ses poèmes, publié sur le journal Street Roots et intitulé « Être humain? » Voici ce qu’il a écrit :

Je suis la voix qu’on n’entend jamais

Si je parlais, m’écouterais-tu ?

Je suis le vilain petit canard

Visible dans ton joli petit monde

Je suis le criminel quand je dors

Je suis celui qui dérange

Essayant de rester au sec à l’abri de la pluie

Je suis la personne sans abri

À la recherche de dignité et d’un lieu sûr

« Le problème, c’est que lorsque vous trouvez un emploi et qu’ils découvrent que vous êtes sans-abri, ils vous virent », dit-il. « Peu importe que vous soyez sobre et travailleur. Dès que vos collègues savent que vous êtes ou avez été sans-abri, ils vous stigmatisent. Ils pensent que vous êtes un ivrogne, un drogué, un criminel ou un malade mental et qu’on ne peut pas vous faire confiance. »

Le stress induit par le fait de vivre dans la rue nuit à la santé mentale et pousse souvent à bout ceux qui ont déjà des problèmes de santé mentale.

« Quand vous êtes dehors, le moindre petit bruit, c’est une vraie menace », dit Dan Newth, un vétéran de l’armée qui dit qu’il a tenté de se suicider en janvier 2015 en surdosant des médicaments sur ordonnance. « J’ai reçu un coup de pied dans la tête pendant que je dormais. J’ai été réveillé par les coups que des gens que je ne connaissais pas me donnaient. Ils le font juste parce qu’ils voient un sans-abri sur le trottoir. On essaie de se cacher quand on dort, on s’écarte du chemin. J’ai ma tente, mon sac de couchage, mon matelas gonflable et un oreiller. C’est crucial. Quand je ne dors pas pendant deux jours, je vois des choses qui n’existent pas. J’entends des choses que personne n’a dites. Et ces choses sont négatives. Mes hallucinations deviennent très négatives. Quiconque ne dort pas pendant plusieurs jours va avoir des hallucinations. Quand vous voyez quelqu’un dans la rue et qu’il pique une colère sans raison, c’est qu’il ne dort pas assez. Ces gens ont dû faire face à tant de négativité. Ça peut être un regard. Dire bonjour à quelqu’un et on vous ignore. Tous ces trucs s’additionnent. Tu t’en veux à toi-même. Inconsciemment, tu commences à te détester. Même si vous essayez de penser, vous commencez à en vouloir à ces trucs dans toutes les directions. Vous réagirez face à des gens qui ne sont pas nécessairement là pour vous blesser. Mais vous pensez que tout le monde l’est. C’est écrasant. »

« Vous sautez par-dessus tous ces obstacles », dit-il en parlant des services sociaux de la ville. « Et puis ils t’excluent et tu ne sais pas pourquoi. Ils ne vous laissent pas entrer dans le logement. On ne sait jamais pourquoi. Tu ne ressens alors que frustration. Portland a besoin d’un autre MSW [diplômé en travail social] comme ils ont besoin d’un autre mendiant. L’argent va aux salariés. Ils continuent à se faire de l’argent. Et ils utiliseront l’énergie d’un sans-abri, à sauter par-dessus tous les obstacles, à aller à des réunions avec telle personne, à aller à telle réunion, tous ces trucs. Nous sommes épuisés la plupart du temps. A la fin, vous êtes toujours sans abri. D’une certaine façon, les MSW sont comme des vampires. Je n’aime pas la façon dont le système est mis en place. Je l’évite. Je dors dehors. Je vends Street Roots. Je réponds à mes besoins du mieux que je peux. »

Jasmine Rosado, 39 ans, travaille périodiquement comme strip-teaseuse. Elle vit actuellement dans un logement subventionné, où elle paie 530 $ par mois pour un studio. Son seul enfant, un fils de 24 ans, Darius, est dans l’armée en Syrie. Elle ne l’a pas vu depuis plus de quatre ans. Quand elle mentionne son nom, ses yeux s’embuent.

« Ça a été très dur pour moi », admet-elle. « Je l’aime beaucoup. On ne peut rien faire. Il est entre les mains de Dieu. »

Elle a étudié la musique et la danse à l’Université de l’Oregon et joue du violon et du violoncelle. Ses instruments sont chez un garde-meubles.

« Les propriétaires des clubs de strip-tease sont très soudés », dit-elle à propos de ses employeurs. « S’ils ont un problème avec une fille, ils appelleront les autres et tu ne trouveras de travail nulle part. »

Art Garcia, 71 ans, est assis avec un chien de 5 livres sur ses genoux

« Migo », dit-il quand je demande le nom du chien. « Comme Amigo sans le A. C’est un chihuahua. J’ai Migo depuis quatre ans. Je l’ai pris dans un refuge quand il avait un peu plus de 9 mois. Mon meilleur ami. Ce gars m’a vraiment beaucoup aidé. J’ai un trouble de l’anxiété. Lorsqu’il y a beaucoup de gens, je n’arrive pas à respirer. Il me calme beaucoup. Il m’aide beaucoup. Parfois, il me réveille la nuit si j’ai une crise. Dans mon sommeil, ma respiration change. »

Garcia a été élevé dans un foyer violent, puis dans un orphelinat. Lorsqu’il a obtenu son diplôme d’études secondaires en 1966, il a rejoint le Corps des Marines et a été envoyé au Vietnam. Il avait 19 ans. Il s’est battu à Da Nang pendant l’offensive du Têt.

« Des gens mouraient tout autour de nous », dit-il. « C’était comme un film. Il y a eu une explosion. Elle a tué l’un des nôtres dans la salle de bain où il se cachait. On ne savait pas qui c’était. Le lieutenant a crié : “Si vous êtes américain, sortez”. Il avait peur. Il a tenté sa chance et s’est caché là-dedans. On a juste égalisé les choses. On l’a tué. Il avait tué un des nôtres. »

« J’avais peur comme jamais », dit-il de la guerre. « Tous ces gens qui te tirent dessus. C’est là que j’ai commencé à me droguer. Tu ne savais pas si tu allais vivre ou mourir. Héroïne. Au début, je prenais du speed. Nous travaillions sept jours sur sept. Pas de jours de congé. Je ne pouvais pas rester éveillé. Le type a dit : “Tiens, prends ça, ça va te tenir éveillé”. Ça nous a tous branchés de rester éveillés. Mais alors tu n’arrivais pas à dormir. Alors, j’ai pris de l’héroïne pour dormir. Mais après l’avoir utilisée, tu deviens complètement accro. »

Il est revenu de la guerre en héroïnomane et sans foyer. Il a été sans-abri par intermittence et a souvent été en prison. Il a fait des petits boulots dans la construction. Il ne se drogue plus depuis dix ans et prend de la méthadone. Il a publié deux livres à son compte. Celui sur la guerre s’appelle Sitting on the Edge [Assis au bord du gouffre, NdT]. Celui sur le retour à la maison en tant que drogué s’appelle Falling Off the Edge [La chute dans le gouffre NdT].

« J’ai raté 10 Noëls d’affilée pour aller en prison », dit-il. « Trois ans, un mois pour sortir, un mois pour y retourner. Je suis sorti quelques semaines, j’y suis retourné. Vendre de la drogue. Voler des gens pour de la drogue. Tous liés à la drogue. J’y ai passé beaucoup d’années. J’ai été en liberté conditionnelle pendant de nombreuses années. Je suis allé au feu en Californie. Pendant un incendie, on gagnait 1 $ de l’heure. C’était vraiment bien. »

En 2012, Garcia a reçu une indemnisation suite à un recours collectif découlant de l’utilisation de l’agent Orange par les militaires, qui a causé des dommages à son cœur et à sa mobilité. Il a donné un chèque de 10 000 $ à Street Roots et a utilisé le reste de l’argent pour trouver un logement et aider ses proches.

Rhodes m’emmène faire le tour de la ville. Il se remémore laconiquement d’avoir été battu dans des parcs, d’avoir été forcé de quitter des coins de rue et d’avoir été réveillé au milieu de la nuit par la police qui lui a dit de dégager.

« Vous voulez savoir ce que c’est que d’être sans-abri ? », demande-t-il. « Réglez votre réveil pour qu’il sonne toutes les deux heures, ramassez tout ce qui vous entoure et marchez quelques pâtés de maisons pour trouver un autre endroit pour dormir. »

« On avait l’habitude de dormir sur ce quai de chargement », dit-il en montrant du doigt un entrepôt. « Puis les propriétaires ont commencé à allumer les systèmes d’arrosage à 3 h du matin. On était trempés. Nous marchions dans les rues, dans nos vêtements trempés, portant nos affaires mouillées. »

Rhodes a dit que même lorsque les sans-abri trouvent un endroit où vivre, il est souvent difficile de se séparer de la communauté des autres sans-abri.

« Je suis retourné volontairement dans la rue à quelques reprises », dit-il. « Mes amis me manquaient, les bons et les mauvais moments. Vous vous sentez coupable de les avoir abandonnés. Et je suis un défenseur des sans-abri. Ce sont les miens. »

Il porte un parapluie d’enfant avec un manche en bois en forme de tête de canard. En 2009, il était sous la pluie en train d’essayer de vendre Street Roots à l’extérieur d’un restaurant Panera Bread lorsqu’un passant le lui a tendu. Il l’appelle Ducky.

« C’est comme mon doudou », dit-il. « Ducky a été partout avec moi, dans la chaleur, la pluie, le froid glacial. Il était avec moi quand les flics nous ont chassés des renfoncements de portes où on dormait. Je dis à Ducky : “Ne t’inquiète pas, un jour nous aurons un endroit à nous. Un jour, nous serons dans un intérieur”. Quand on est sans abri, quand on est abandonné, on a besoin de quelque chose comme Ducky. C’est pourquoi vous verrez des sans-abri avec des poupées ou des animaux domestiques. Et c’est pour ça qu’ils leur parlent. Cela nous aide à faire face à la négativité, à tous ceux qui, dans la société, nous méprisent. »

Rhodes, affable et éloquent, me régale d’histoires sur la vie dans la rue, les efforts répétés et épuisants pour créer de petites communautés et des « coups de balai » soudains de la police qui les font voler en éclats.

« J’étais dans un village de tentes, c’était notre deuxième déménagement », dit-il. « C’était juste à côté d’une autoroute. Le trafic n’arrêtait pas. Les gens klaxonnent même la nuit. Les voitures diesel passent. Il nous a fallu littéralement trois jours pour nous acclimater à ce bruit assourdissant. Tu savais qui dormait là parce qu’ils avaient tous les yeux bouffis. Je n’arrivais pas à dormir à cause du bruit. Mais après trois jours, nous avons commencé à bien dormir. L’endroit suivant où nous sommes allés, c’était calme. Le seul bruit qu’il y avait était juste un coq ou un corbeau. Toutes les deux heures. Quand on est allés au premier endroit, les gens ont dit : “Je ne peux pas dormir ici, c’est trop bruyant”. Puis ils se sont installés. A l’endroit suivant, ils ont dit : “Mec, je ne peux pas dormir ici, c’est trop calme. J’ai besoin d’un peu de bruit !” »

Il rit

Dans son poème « Excuse-moi si je ne pleure pas », il écrit :

Excusez-moi si je ne pleure pas.

Je mets mon masque de poker

Le monde est grand

Et ils ne comprennent pas

Alors, je me battrai jusqu’à ce que le monde comprenne

Ou jusqu’à ce que je sois trop fatigué pour me battre

D’ici là

Excusez-moi si je ne pleure pas.

Je mets mon masque de poker.

Reposez en paix

Mes frères et sœurs

 

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

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