Le Brésil divisé au premier tour des élections. Le Nordeste contre « l’extrême-droite » de Bolsonaro
Par Micheline Ladouceur
Mondialisation.ca
Le Brésil vient de tourner une autre page de son histoire en élisant le « candidat d’extrême-droite »(1) Jair Bolsonaro (PSL). Dimanche soir, en direct, la télévision brésilienne annonçait le résultat des élections. Il manquait le comptage final du vote de plusieurs états quand on a annoncé que Bolson (Bolsonaro) avaient obtenu 49% des voix, donc très proche du 51% exigé pour être élu président dès le premier tour. L’annonce d’un deuxième tour a provoqué des cris de joie chez les partisans du PT et les « contre-Bolson » réunis au Café da Democracia au centre de Rio de Janeiro. Peu après, les résultats ont changé accordant à Bolsonaro 46,06% et Haddad (PT) passait à 29,23%, suivi par les candidats Ciro Gomes (PDT).
Le second tour pour les élections a été ainsi confirmé. Les Brésiliens iront de nouveau aux urnes le dimanche 28 octobre 2018.
C’est sur un ton neutre et sans sourire que Bolson a fait la déclaration sur internet suite à sa victoire pour le premier tour. L’enthousiasme de la victoire était totalement absente de son discours. Un discours pointant du doigt les sympathisants du PT qui ont empêché son élection dès le premier tour. (Agressé au couteau, Bolsonaro n’a depuis participé à aucun débat.)
Dans une émission en direct sur Facebook aux côtés de l’économiste Paulo Guedes, il a déclaré que s’il était élu, il unirait le pays.
« Nous sommes en train de perdre dans le Nord-Est, mais notre vote dans le Nord-Est était très bon et je suis sûr que Dieu nous aidera au deuxième tour », a déclaré Bolsonaro.
« Nous avons tout pour être une grande nation, nous devons unir notre peuple, unir les fragments que le gouvernement nous a laissés dans le passé … Unissons notre peuple, Unis, nous serons une grande nation. Personne n’a le potentiel que nous avons « , at-il ajouté.
Dans une autre partie de l’émission, Bolsonaro a déclaré que le pays « est au bord du chaos » et que, par conséquent, il ne peut « pas faire un pas de plus ».
https://g1.globo.com/politica/eleicoes/2018/noticia/2018/10/07/bolsonaro-comemora-resultado-do-primeiro-turno-e-diz-que-unira-o-pais-se-for-eleito.ghtml
Je me sens extrêmement honoré par les votes que j’ai reçus aujourd’hui qui garantissent le PT au second tour. Je me sens contesté par les résultats plutôt expressifs, afin de nous faire prendre en compte les risques encourus par la démocratie au Brésil. il est pratiquement inestimable et nous devons savoir en tirer parti avec sobriété et sens des responsabilités.Nous voulons unir les démocrates, les personnes qui portent l’attention sur les plus pauvres de ce pays très inégalitaire. Nous voulons un vaste projet de justice démocratique et sociale. Souveraineté populaire, concepts indissociables, par-dessus tous les autres concepts: commençons demain la campagne pour être victorieux au second tour. Nous voulons unir le pays autour de ce concept.(…)
Je termine en célébrant la démocratie et la liberté, valeurs que je cultive depuis toujours. Je ne renoncerai pas à mes valeurs, aussi pour les membres de ma famille, qui ont été attaqués ces derniers jours. Mais le second tour nous donne l’occasion de débattre à l’unanimité sans craindre d’être heureux.
(Fernando Haddad, le 7 octobre 2018)
Les résultats électorales à travers le Brésil ont montré l’image géographique et sociale d’un pays divisé. La région du Nordeste a voté en grande majorité pour le candidat pétiste. Tous les états de la région pauvre au niveau économique, sauf un, a voté largement pour Haddad comme président. Le Maranhao, le Piaui et Bahia se sont démarqués particulièrement du Brésil par le vote largement pétiste, sauf le Ceara qui a voté pour Ciro Gomez (PDT). Le Nord, sauf l’état du Para (en rouge sur la carte), le Sud-Est (où se trouvent les mégapoles de Sao Paulo et Rio de Janeiro) du pays ont voté majoritairement pour Bolson.
Qui a vaincu dans chacune des unités de la fédération (états du Brésil)
Cette carte montre nettement la division. Il faut comprendre que la région du Nordeste a largement bénéficié des programmes sociaux lors des gouvernements du PT comme celui de « Luz para todos » (l’électricité pour tout le monde), bourses d’études pour les familles pauvres, etc. Les populations du Nordeste sont également largement noire et métisse. Il faut comprendre que le discours de Bolson est particulièrement raciste envers les noirs, les autochtones… et « les pauvres ». Avec humour et ironie, des anti-Bolson (pas seulement les pro-pétistes ou pro Lula) disaient « on va tous déménager dans le Nordeste ».
Bref Bolsonaro a gagné dans 17 états contre 9 autres états votant majoritairement pour Haddad et l’état « rebelle » du Ceara pour Gomez (un ancien ministre du gouvernement Lula – PT). Lors de la réélections de Lula en 2006, tout le Nordeste, une grande partie du Nord et les états du Minas Gerais avaient voté pour le PT. São Paulo, le Centro-Ouest (région de la capitale fédérale, Brasilia) et une partie du Sud et du Nord (Amazonie) votaient pour le PSDB (parti de l’ex-président FHC, Fernando Henrique Cardoso). Ce parti représenté par Geraldo Alckmin (PSDB) pour la présidence de 2018 s’est complètement effondré avec ces dernières élections. Le PSDB a cédé la place au PSL de Bolson. Pourtant 50% de la propagande électorale à la télévision était mené par Ackim. Suite aux premières élections directes post-dictature (Collor de Mello fut alors élu, 1990, puis destitué et substitué, 1992, par le vice-président Itamar Franco), le PT et le PMDB se sont disputés les régions brésiliennes.
Pour beaucoup de Brésiliens, l’élection de Jair Bolsonaro serait un véritable désastre pour la démocratie, très fragile, du Brésil. Les premières élections directes datent de 19… suite à la dictature militaire (1964-1984) idéalisé par le candidat d’extrême-droite. Les évangélistes et les forces armées appuient largement le candidat Bolson qui saura également compter sur les leaders de l’agrobusines, des entreprises étrangères, les grandes banques et les créanciers internationaux. Bolsonaro se dit pour le néo-libéralisme sans présenter un programme économique. Le candidat à la vice-présidence, le général… interviewé suite à la victoire du PSL était incapable de formuler une réponse sur les projets économiques du pays desviant vers d’autres sujets.
Pourquoi voter pour Bolsonaro s’il est incapable de formuler clairement un programme économique? La réponse de plusieurs Brésiliens en sa faveur vont dire qu’ils ne le savent pas, connaissant en réalité très peu ou pas du tout le candidat. Ils ne veulent pas voter pour le PT qui est corrompu et a plongé le Brésil dans une grave crise économique. On le qualifie de « dictateur », mais le danger pour la démocratie brésilienne est bien qu’il soit élu et devienne un gouvernement légitime… Gouvernement légitime qui pourrait empêcher l’opposition de s’exprimer et « en finir avec l’activisme » (discours de Jair Bolsonaro, le 7 octobre 2018).
De leur côté, les candidats (se présentant comme gouverneur, député fédéral…) font la promotion de leurs politiques économiques durant les années Lula. « Nous avons payé la dette du Brésil » ! Bref ils ont accepté de se soumettre aux demandes des créanciers et du Fonds monétaire internationale…
Quels seront les résultats du deuxième tour sans une stratégie du PT et la mobilisation de tous les partis dits de gauche ? D’un côté, Fernando Haddad continue (et c’est l’image que veut donner le PT) d’être associé à Lula condamné à la prison pour fraude. Haddad n’aurait pas su mettre de l’avant l’intention de mettre en place un programme économique pouvant mettre fin à la crise économique qui a pris de l’ampleur depuis la destitution de Dimanche Rousseff comme présidente. De l’autre côté, Jair Bolsonaro, un militaire de réserve raciste, misogyne et fanatique, voulant armer la population « contre la violence » et qui prétend que Dieu est au dessus du parti…
Si Haddad est près de Lula (la « gauche néolibérale »), ironiquement Bolson veut-il donner l’impression d’être le « sauveur du Brésil » avec des politiques ultra néolibérales en étant « près » de Dieu ? « Brasil, que pais é este » (Brésil, quel est ce pays?)
Micheline Ladouceur
Notes
(1) Le journal A Folha de Sao Paulo a banni l’expression « extrême-droite » pour parler de Jair Bolsonaro.
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