Unilatéralisme et sanctions : Quand protectionnisme et libre-échange changent de camp
Par Ahcène Amarouche
Le Soir d'Algérie
Introduction
La 73e Assemblée générale des Nations unies qui s’est tenue au mois de septembre 2018 aurait pu ressembler à toutes les précédentes si Donald Trump ne s’était pas évertué à justifier une dérogation spéciale au très classique principe du libre-échange de la pensée économique libérale par les sanctions que son administration applique désormais à de nombreux concurrents (et subsidiairement adversaires) des Etats-Unis. Non seulement la Russie, habituée à présent à se voir ostraciser par la plupart des pays de l’Otan au motif de sa supposée implication dans la guerre du Donbass et de l’annexion de la Crimée sur un référendum prétendument manipulé, ou encore en représailles dans l’affaire Skripal, mais l’Iran, mais le Venezuela, mais la Chine (voire la Turquie, peut-être l’Algérie demain) sont en butte à de sérieuses (quoique variables) difficultés commerciales résultant de la politique des sanctions de la nouvelle Administration états-unienne. Ces sanctions ne seraient-elles pas une forme déguisée de protectionnisme ? Aussi légitimes qu’elles puissent paraître politiquement (ce qui n’est rien moins qu’improbable au regard du droit international), se justifieraient-elles autrement que par les difficultés actuelles et prévisibles de l’économie états-unienne induites par la montée en puissance des pays émergents ? C’est à ces questions que nous voudrions esquisser une réponse dans la présente contribution.
1. Mondialisation et libre-échange : un diptyque en perte de sens économique
L’opposition protectionnisme/libre-échange, qui était au centre des débats théoriques depuis l’avènement de la science économique, a cessé brusquement de représenter un intérêt pour elle après l’effondrement du bloc socialiste, tandis que voyait le jour le Consensus de Washington qui allait servir de socle à la doctrine du libre-échange, que les principaux organismes multilatéraux en charge des affaires du monde (Fonds monétaire international, Banque mondiale, Organisation mondiale du commerce(1)) ont adoptée depuis les accords de Bretton Woods. Alors que le libre-échange, associé aux idées d’efficacité économique et de compétitivité commerciale par les théories du commerce international depuis Ricardo devait pousser à la convergence des niveaux de développement de tous les pays sous l’effet conjugué du progrès technique et de l’esprit d’innovation, la mondialisation était censée rendre possible la circulation sans entraves qu’il supposait des facteurs de production, pourvu que fussent partout mis en œuvre les principes de liberté d’entreprendre et de bonne gouvernance institutionnelle.
Partout dans le monde, le Capital se mit à la recherche de territoires attractifs et de secteurs à forte valeur ajoutée ; la disponibilité d’une main-d’œuvre locale ou étrangère qualifiée mais sous-payée, les ressources naturelles encore abondantes et la permissivité fiscale des gouvernements garantissant des rendements élevés aux investisseurs. De simples espaces du marché mondial de biens et services qu’ils étaient, des pays jusqu’alors sous-développés entrèrent en «émergence grâce aux flux incessants d’IDE (Investissements directs étrangers), tandis que se formaient des «hubs» bancaires pour les alimenter en crédits à faible coût mais à forte rentabilité en situation d’excédents planétaires d’actifs financiers. De grandes entreprises mondialisées investissaient dans ces nouveaux eldorados du Capital, en délocalisant ou en prenant des parts dans les entreprises en difficulté de ces pays où l’étroitesse du marché domestique représentait plus un atout qu’un handicap pour leurs exportations subventionnées par un dumping social, fiscal, monétaire (de change) et environnemental. Remontées de filières industrielles, prises de participation dans des filières parallèles et recherches de nouvelles filières en partenariats horizontaux ont proliféré dans les pays émergents, tandis que s’opérait en sourdine une désindustrialisation rampante des pays de vieille industrialisation, que montait le chômage de masse et que se creusaient les inégalités de revenus sous le double effet de la séparation des sphères réelle et financière et de l’opposition frontale entre maind’œuvre hyperqualifiée et main-d’œuvre peu ou non qualifiée induite par l’entrée en lice des nouvelles technologies de production et de communication...
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