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[1945] La condamnation du Maréchal Pétain

par Les Crises 8 Novembre 2018, 10:18 Pétain Collaboration Génocide France Seconde guerre mondiale Hitler Antisémitisme Racisme Condamnation Articles de Sam La Touch

[1945] La condamnation du Maréchal Pétain

Comme ce document est très dur à trouver, nous publions l’arrêt de la Haute-Cour de Justice du 15 août 1945, condamnant Philippe Pétain à la peine de mort (qui sera commuée) et à l’indignité nationale (voir ici le contexte du procès).

Nous mettons à la suite l’acte d’accusation de Pétain par le procureur-général Mornet rédigé en avril 1945, ainsi que son complément, rédigé en juillet suivant, à la veille du procès, qui s’ouvre le 23 juillet 1945. Les débats tourneront pendant un mois autour des questions suivantes : 1/ Pétain a-t-il voulu s’emparer du pouvoir avant l’invasion de la France en 1940 et 2/ s’est-il rendu coupable d’intelligence avec l’ennemi ? C’est oui sans hésitation pour le procureur Mornet.

 

 

I. l’arrêt de la Haute-Cour de Justice du 15 août 1945

Attendu que la Haute Cour n’a pas à donner acte de prétendus faits et propos antérieurs à la date de sa constitution et dont elle n’a pu avoir la connaissance directe ;

Attendu qu’il est sans intérêt de rechercher dans quelles conditions a pu être engagée une procédure de contumace, puisqu’elle n’a pas été suivie et que, dès son retour d’Allemagne, l’accusé a été entendu plusieurs fois au cours de l’instruction ;

Attendu qu’il est vrai, qu’il est soutenu que cette audition n’aurait pas porté sur certains points que les conclusions spécifient ; que les témoins essentiels n’auraient pas été entendus ; que des documents n’auraient pas été retenus ni communiqués ;

Mais attendu que l’instruction préalable ne sert qu’à préparer l’examen à l’audience, aux résultats duquel les juges doivent édifier leur conviction ; qu’au cours des longs débats contradictoires, pendant lesquels il a été présenté d’abondantes explications au nom et en présence de l’accusé, celui-ci a répondu lui-même à l’interrogatoire d’identité, a fait une déclaration et a été invité à s’expliquer tant sur l’acte d’accusation que sur chacune des dépositions faites en sa présence ; qu’ainsi il a été mis à même de suppléer aux prétendues lacunes de l’instruction préparatoire ;

 

 

Par ces motifs :

La Cour, après en avoir délibéré,

Rejette les conclusions de donner acte présentées au nom de l’accusé ;

Au fond :

Attendu qu’il résulte des débats et des documents produits que Pétain qui, en 1934 était entré au gouvernement comme ministre de la Guerre du cabinet Doumergue, constitué après la journée du 6 février, et y avait rencontré Pierre Laval, se sentit peu à peu amené à penser qu’il pourrait jouer un rôle de premier plan dans la politique de notre pays ;

Qu’au cours des années précédant la guerre de 1939-1940, des campagnes de presse s’organisèrent autour de son nom, sans qu’il fît rien pour les faire cesser, tendant à le présenter comme le seul homme susceptible de ramener l’ordre en France et de réconcilier notre pays avec l’Allemagne et l’Italie en établissant un régime semblable à celui qui leur avait été donné à elles-mêmes ;

Que, vers la même époque, des mouvements factieux éclataient sous les vocables de synarchie, Cagoule ; C.S.A.R., tant dans l’armée que dans la Nation, ayant pour objet l’instauration en France d’un régime d’autorité ;

Que, parmi leurs dirigeants, ces mouvements comprenaient la plupart des individus qui, après la défaite militaire de notre pays, devaient entrer dans le gouvernement ou les organismes créés par le maréchal Pétain, devenu chef de l’État, et y réaliser leur programme ;

Que Pétain ayant été nommé, peu de temps avant la guerre, ambassadeur de France en Espagne, restait pendant son ambassade en liaison avec les hommes politiques menant sourdement ou ouvertement des campagnes dangereuses pour notre pays, notamment avec Pierre Laval ;

Qu’en mars 1940, alors que la guerre qui avait éclaté en septembre 1939 entre la France et l’Allemagne, se déroulait sons une forme purement défensive et que rien ne faisant prévoir qu’un péril mortel menaçait la France, Pétain annonçait avec une prescience vraiment troublante à de Monzie, qu’en mai suivant, les événements feraient « qu’on aurait besoin de lui » ;

Qu’effectivement, les armées allemandes ayant, en mai 1940, violé la neutralité de la Hollande et de la Belgique, percé nos défenses et pénétré sur notre sol, Pétain était appelé au gouvernement par Paul Reynaud comme ministre d’État et vice-président du Conseil ;

Qu’aidé du Général Weygand, nommé entre-temps généralissime, il se préparait à solliciter un armistice de l’Allemagne ;

Qu’après diverses péripéties et intrigues politiques au cours des journées du début de juin 1940, le gouvernement français ayant dû quitter Paris et s’étant replié successivement sur Briare, Cangé, Tours et Bordeaux, Pétain, appelé le 10 juin 1940 à la présidence du conseil en remplacement de Paul Reynaud, démissionnaire, adressait aussitôt à l’Allemagne une demande de suspension d’armes et annonçait au pays que le moment était venu de « cesser le feu » ;

Que l’Allemagne n’ayant accordé l’armistice que quelques jours plus tard, l’armée française, démoralisée par l’annonce imprudente de la fin du combat, se voyait enlever un grand nombre de prisonniers ;

Que Pétain adressait alors un message aux Français pour rejeter la responsabilité de notre défaite sur les dirigeants de notre pays et sur l’affaiblissement de notre moralité collective et déclarait faire don à la France de sa personne pour atténuer les malheurs de la Patrie ;

Attendu que Pétain, ayant provoqué la crise politique qui lui avait donné le pouvoir, a, dans les jours qui ont suivi l’armistice, empêché le gouvernement de quitter la France pour aller organiser la poursuite de la guerre en Afrique du Nord ; que c’est ainsi qu’il a pu, sous la pression de l’ennemi qui avait envahi les deux tiers de notre territoire, après avoir replié la représentation nationale de la France à Vichy, obtenir le 10 juillet 1940 un vote confiant au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature de Pétain, la mission d’assurer la direction de l’État et de donner une constitution à la France ;

Qu’ayant pris le pouvoir dans ces conditions, Pétain en arrivait bientôt à supprimer les institutions républicaines, donnait au régime politique qu’il imposait à notre pays une ressemblance de plus en plus grande avec le régime allemand et le régime italien, c’est-à-dire avec le régime des pays dont la victoire lui avait facilité la révolution intérieure qu’il avait accomplie et qu’il n’hésitait pas, par une sorte de dérision verbale, à appeler « notre révolution nationale » ;

Qu’ayant annoncé que l’armistice consenti par nos ennemis nous conservait notre honneur et notre indépendance, il recevait bientôt des faits le démenti le plus cinglant, les Allemands n’ayant pas tardé à rétablir à leur emplacement de 1914 les poteaux frontières en Alsace-Lorraine et à procéder à une réannexion de nos provinces recouvrées ;

Que bientôt Pierre Laval, appelé au gouvernement en récompense des services rendus, organisait en octobre 1940 une entrevue entre Hitler et le chef de l’État français ;

 

Que Pétain, accueilli à Montoire avec une déférence apparente par Hitler, déclarait après cette entrevue, dans un message qu’il adressait aux Français, qu’il entrait « dans l’honneur dans la voie de la collaboration », formule qui cachait mal (l’Allemagne demeurant notre ennemie malgré la suspension des hostilités) l’intelligence nouée avec cette puissance, au mépris de nos alliances antérieures non dénoncées ;

Qu’à partir de cette date commençait une série d’abandons de la part de notre prétendu gouvernement ; que la convention d’armistice était de jour en jour moins observée par l’Allemagne ; que Pétain n’élevait aucune protestation publique contre ses violations ; que 1a France adoptait bientôt une législation raciale calquée sur celle de l’Allemagne, que des concessions économiques et financières suivaient, susceptibles de ruiner pour toujours notre pays ; qu’au début de 1941 une sorte de collaboration militaire s’instituait avec l’Allemagne sous la direction de Darlan, devenu premier ministre en remplacement de Laval, chassé du pouvoir le 13 décembre 1940, mais qui ne devait pas tarder à y être rappelé ; que des troubles ayant éclaté au Levant, la France consentait d’abord des livraisons d’armes à l’Irak en guerre avec la Grande-Bretagne, puis livrait à l’Allemagne, aux termes d’accords formels passés à Paris en mai 1941, des bases navales et aériennes sur des territoires où s’exerçait l’autorité de la France ; alors que Pétain avait, peu auparavant, déclaré que rien ne serait fait contre notre ancienne alliée ; que par ces mêmes accords des avantages importants étaient consentis à l’Allemagne en Afrique du Nord ; que d’autre part il confirmait le 5 juillet 1943 les instructions données à l’amiral Robert en vue de détruire les navires, et les avions stationnés aux Antilles ;

 

Que la coopération militaire avec l’Allemagne aboutissait bientôt au Levant à une lutte meurtrière entre les troupes françaises placées sous le commandement du général Dentz, haut-commissaire en Syrie, et les troupes britanniques et les forces françaises libres du général de Gaulle que l’assujettissement à nos ennemis se poursuivait sur le plan intérieur par la création de juridictions spéciales ou d’un tribunal d’État dont la mission était de réprimer avec rigueur les prétendus attentats terroristes qui commençaient à se produire un peu partout dans notre pays et qui n’étaient que des attentats dirigés par les patriotes contre les troupes allemandes d’occupation et leurs complices ;

Que sous l’autorité de Pétain qui, au moment de l’armistice, avait refusé de quitter la France, sous le prétexte qu’on ne défendait pas son pays en le quittant, s’organisait une levée de troupes françaises sous le nom de « Légion contre le bolchevisme » destinées à aller, sous l’uniforme allemand, combattre au côté de l’armée allemande contre la Russie ; qu’à cette occasion Pétain adressait des messages où il assurait que l’Europe devait sa gratitude à l’Allemagne qui assurait la défense de la civilisation européenne ; qu’il recevait à Vichy et félicitait Doriot, aventurier vendu à l’Allemagne, de la part qu’il prenait à cette campagne franco-allemande contre les Russes ; qu’il félicitait le colonel Labonne, officier français qui avait accepté d’aller combattre dans les rangs allemands, et lui écrivait : « vous détenez une part de notre honneur militaire en participant à cette croisade dont l’Allemagne a pris la tête, acquérant ainsi de justes titres à la reconnaissance du monde » ;

Attendu qu’en avril 1942, suivant l’injonction des occupants, Pétain ramenait au pouvoir Laval, dont, quelques mois auparavant, il avait flétri les menées ;

Qu’un des premiers actes de Laval, redevenu ministre, fut de proclamer, sans protestation du chef de l’État et même d’accord avec celui-ci : « Je souhaite la victoire de l’Allemagne ». Qu’à partir de cette époque, les entreprises de cette dernière puissance contre notre pays allaient s’aggraver chaque jour ;

Qu’en novembre 1942, l’empire britannique et les Etats-Unis, ayant enfin passé en Afrique du Nord à une offensive qui devait nous libérer du joug allemand, Pétain donnait, en termes formels aux autorités relevant de son gouvernement, l’ordre de résister par les armes à ceux qu’il appelait nos agresseurs ; que les instructions secrètes démentant cet ordre après la cessation du feu n’ont pas empêché le sang de couler ; que l’amiral Estéva, résident général en Tunisie, obéissant à ces ordres, organisait une résistance qui aboutissait à de vifs combats contre nos libérateurs ;

Qu’à la fin de cette opération, Pétain, de concert avec les autorités allemandes adressait à Estéva. des remerciements pour la façon dont il avait rempli son devoir ; que la majeure partie de notre flotte stationnée dans le port de Toulon se sabordait enfin en novembre 1942 plutôt que de se rendre aux Allemands, mais que Pétain ne prenait ni ne faisait prendre aucune mesure pour essayer de la faire sortir en haute mer et gagner l’Afrique du Nord ;

Que pendant ce temps se poursuivait sur notre sol des propagandes de plus en plus haineuses contre le général de Gaulle, l’Angleterre, les Etats-Unis, la, Russie ;

 

Que Pétain qui avait fait entrer dans ses divers gouvernements un certain nombre d’individus tarés, et gravement compromis par leur collusion avec l’Allemagne ou l’Italie (Déat, Bonnard, Alibert, etc…) désignait comme ministre de sa propagande un ancien parlementaire, Philippe Henriot, dont les manifestations oratoires avaient comme thème soit l’insulte à nos anciens alliés, soit les périls et risques auxquels nous exposait la libération ;

 

Qu’on assista ainsi à un déchaînement croissant de fureur contre la Russie, l’Angleterre, les Etats-Unis et les gaullistes ;

 

Qu’à la faveur de cette haine contre les Anglais et les Russes, les divers ministres, sous l’autorité de Pétain, organisaient ce qu’on appelle la « croisade européenne » et qui aboutit à des déportations en masse des travailleurs, enrôlés, sous prétexte de relève des prisonniers, pour aller aider à l’effort de guerre de l’Allemagne ; que malgré des démarches pressantes faites auprès de lui, notamment par le chef des Églises protestantes de France, Pétain qui avait reconnu le caractère monstrueux de ces déportations de Français, n’élevait aucune protestation publique contre elles ; qu’en même temps, les activités de la Gestapo (police politique des occupants) sur notre territoire devenaient de plus en plus audacieuses ; que d’innombrables arrestations et exécutions sommaires se produisaient, que des populations entières de villes ou de villages étaient massacrées sans qu’aucune réaction publique se produisit de la part du gouvernement de Vichy ;

Qu’en réponse à ce régime de terreur, un élan et un sursaut de haine contre l’envahisseur se manifestant chaque jour davantage, le Gouvernement dont Pétain assumait toujours le contrôle, prit des mesures d’ordre intérieur de plus en plus féroces contre les patriotes ;

 

Que c’est ainsi que bientôt Joseph Darnand devenait, quoi qu’en dise Pétain, avec l’assentiment nécessaire de ce dernier, chef du maintien de l’ordre et se mettait bien vite en devoir d’organiser, sous le nom de Milice, une force enrôlée au service d’Hitler, auquel Darnand avait prêté serment de fidélité ; que cet organisme ne tardait pas à faire régner en France l’assassinat et le pillage ; que les adversaires politiques du nouveau régime, en particulier Georges Mandel, tombaient sous leurs coups ;

 

Que, pendant toute cette période, la presse, le cinéma, la radio servaient à des entreprises de démoralisation de notre malheureux pays et ne cessaient d’invectiver contre nos alliés, sans que Pétain, qui prétendait être à la tête d’un gouvernement souverain et indépendant, ne permit aucune réclamation contre de semblables excès ;

 

Que d’ailleurs, son gouvernement avait pris de telles habitudes de soumission à Hitler que, dès novembre 1942, alors que celui-ci avait franchi la ligne de démarcation, au mépris de la convention d’armistice, ainsi délibérément violée, et occupé toute la France, dont les restes de notre armée se trouvaient de ce fait licenciés, Pétain, après une protestation radiodiffusée pendant quelques heures ; se bornait ensuite, dans un message officiel, à s’incliner devant la décision que venait de prendre le chef de l’Allemagne ;

Attendu qu’à la veille de notre libération, se réveillant de l’inertie dans laquelle il paraissait avoir sombré, Pétain adressait au général de Gaulle une proposition tendant à lui permettre de prendre contact avec nos libérateurs, mais en y mettant cette condition, qui fait ressortir à quel point son intérêt personnel le guidait, que la légitimité de son gouvernement fût reconnue par nos alliés ;

Attendu que si Pétain, au cours des audiences de la Haute Cour, a opposé un mutisme systématique aux questions qui lui étaient adressées, il n’en a pas moins fait soutenir que sa politique avait eu pour but de « maintenir » la France en attendant notre libération et de venir ainsi, indirectement, en aide à nos alliés ;

Que, de plus, par des concessions apparentes aux Allemands, il aurait trompé ceux-ci sur la réalité des buts qu’il poursuivait ;

Qu’enfin, Laval, Darlan et tels autres de ses ministres étaient seuls responsables de ce que sa politique pouvait avoir eu de néfaste pour la France ;

Mais attendu qu’on ne saurait admettre un pareil système de défense et qu’on ne comprend pas comment une aide aux alliés se serait en fait traduite par une aide certaine aux Allemands (Syrie, Afrique du Nord, relève, protocole de mai 1941, etc…) ;

Attendu, d’ailleurs, que s’il est peu probable que cette politique ait trompé les Allemands, elle a eu par contre pour effet certain d’égarer un nombre considérable de Français qui, de bonne foi, sous la caution d’un maréchal de France et au vu de nombreux textes émanant de la main de celui-ci et dont le sens était non équivoque (lettres à Hitler, lettre au roi George VI, à Roosevelt, félicitations pour le « nettoyage » de notre sol, après la tentative manquée du débarquement anglais de Dieppe, innombrables messages où étaient flétries les agressions anglo-américaines, etc…), ont cru que le devoir était d’abandonner nos anciens alliés et d’entreprendre une collaboration avec l’Allemagne, en vue de l’établissement d’un nouvel ordre européen, formule qui dissimulait d’ailleurs mal le désir d’hégémonie d’Hitler ;

 

Attendu, enfin, que quels que soient les crimes que ceux qui ont exercé le pouvoir dans cette période sous l’autorité du maréchal, celui-ci, qui avait accepté de les appeler à ses côtés, et avait, aux termes même de ses actes constitutionnels, déclaré assumer toutes les conséquences de sa politique, doit dès lors être tenu pour responsable des actes accomplis sous son autorité ;

Attendu que si de lourdes présomptions peuvent être tirées contre Pétain du fait qu’il a appelé dans ses divers gouvernements des hommes mêlés à des mouvements factieux, la preuve n’est pas suffisamment rapportée qu’il y ait eu entre eux et lui un véritable complot contre la sûreté intérieure de l’État.

Attendu, par contre, qu’il ressort de l’instruction que, en prenant le pouvoir, Pétain a eu pour objet de détruire ou changer la forme du gouvernement et qu’il l’a effectivement changée ;

Attendu que la preuve de la préméditation et de la pensée profonde de l’accusé résulte de sa réponse en date du 11 décembre 1943 à une lettre outrageante de Ribbentrop ;

Que, dans cette réponse, en effet, Pétain prétend faire valoir « le bien-fondé d’une politique pour laquelle il avait demandé l’armistice » ;

Qu’il est difficile d’imaginer un aveu plus clair du dessin politique dans lequel l’accusé avait misé sur la capitulation ;

Attendu enfin qu’il n’est pas douteux qu’il a entretenu des intelligences avec l’Allemagne, puissance en guerre avec la France, en vue de favoriser les entreprises de l’ennemi ; crimes prévus et punis par les articles 75 et 87 du Code pénal ;

Par ces motifs,

Condamne Pétain à la peine de mort, à l’indignité nationale, à la confiscation de ses biens.

Tenant compte du grand âge de l’accusé, la Haute Cour de Justice émet le vœu que la condamnation à mort ne soit pas exécutée.

II. L’acte d’accusation de Pétain par le procureur-général Mornet

Le procureur général près la Haute Cour de Justice,

Vu la procédure suivie contre Pétain, Philippe, du chef de complot contre la Sûreté intérieure de l’État et d’intelligences avec l’ennemi, (…) en date du 21 avril 1945,

Expose :

Le soir du 16 juin 1940, à Bordeaux, sentant que, sous la pression conjuguée du général Weygand et du maréchal Pétain, une importante partie de son cabinet ne le suivrait pas dans son dessein de continuer la lutte contre l’Allemagne, Monsieur Paul Reynaud remit sa démission au président de la République.

Celui-ci appela pour le remplacer le maréchal Pétain qui, aussitôt, sortit de son portefeuille une liste arrêtée d’avance comprenant Monsieur Chautemps comme vice-président du Conseil, le général Weygand à la Défense Nationale, l’amiral Darlan à la Marine et Laval aux Affaires Étrangères. Toutefois ce dernier fut momentanément écarté et remplacé par Paul Baudouin, mais pour rentrer quelques jours après en qualité de Ministre d’État, ainsi que Marquet.

Sans plus tarder, le maréchal entama des négociations en vue de la conclusion d’un armistice.

Devant l’avance des troupes allemandes, la question se posa alors de savoir si le gouvernement ne devrait pas se transporter en Afrique du Nord, tandis que le maréchal, qui n’avait, d’accord avec Laval, cessé de manifester une volonté bien arrêtée de ne pas s’éloigner de France, resterait dans la métropole avec les titulaires des départements ministériels ressortissant à la Défense Nationale. Le président de la République, les présidents des deux chambres et les ministres s’embarqueraient à Port-Vendres, et les membres du Parlement au Verdon, sur le “Massilia”, paquebot mis à leur disposition par Darlan.

Finalement, le projet de départ des trois présidents et des ministres fut abandonné, seuls une vingtaine de parlementaires s’embarquèrent sur le “Massilia”, à destination de Casablanca d’où ils revinrent dans le courant de juillet.

Cependant l’armistice était signé le 22 juin. Il comportait l’occupation par l’ennemi des trois cinquièmes du territoire, le désarmement de la France avec la livraison de son matériel, et ce qui, en dépit des déclarations d’Hitler qu’il ne formulerait aucune revendication de ce chef, ne laissait pas d’inquiéter nos alliés, le rassemblement de la flotte française, sous le contrôle de l’Allemagne, dans des ports à déterminer.

Le 29 juin, le gouvernement et les chambres quittaient Bordeaux pour se rendre en zone non occupée, à Clermont-Ferrand d’abord, puis à Vichy. C’est dans cette ville que, le 10 juillet, à la suite d’une série de manœuvres où les interventions de Laval devaient tenir la première place, la Chambre et le Sénat réunis en Assemblée Nationale remirent au maréchal Pétain le gouvernement de la République avec mission d’élaborer une constitution que la Nation serait appelée à ratifier.

Voici en quels termes était donné ce mandat :

« L’Assemblée Nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République sous l’autorité du maréchal Pétain à l’effet de promulguer par plusieurs actes une nouvelle constitution de l’État Français. Cette constitution devra garantir les droits de la famille et de la patrie. Elle sera ratifiée par la nation et appliquée par les assemblées qu’elle aura créées ».

Dès le lendemain, 11 juillet, le maréchal promulguait trois actes constitutionnels.

Aux termes du premier, l’article 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 sur l’élection du président de la République était abrogé.

 

Aux termes du second, le chef de l’État (Pétain se considérait désormais comme tel) avait la plénitude du pouvoir gouvernemental. Il nommait et révoquait les ministres, qui n’étaient responsables que devant lui et, en attendant qu’il exerçât le pouvoir judiciaire, cumulait le pouvoir législatif avec l’exercice du pouvoir exécutif.

Enfin, l’acte constitutionnel n° 3 disposait que les deux chambres subsisteraient jusqu’à ce que fussent formées les assemblées prévues par la déclaration du 10 juillet, mais qu’elles demeureraient ajournées jusqu’à nouvel ordre, et ne pourraient se réunir que sur la convocation du chef de l’État.

Ces trois actes allaient, sensiblement au-delà, voire même à l’encontre des pouvoirs conférés au maréchal par Assemblée Nationale. Ils étaient l’aboutissement d’un complot fomenté depuis longtemps contre la République, un complot qui, grâce à la défaite, avait réussi, mais dont le succès définitif n’était assuré qu’à la condition que cette défaite ne fût pas mise en question.

 

Le rôle de Pétain dans la préparation de ce complot au cours des années qui ont précédé la guerre, apparaît surtout comme celui de l’homme sur le nom duquel on se compte et sur qui l’on compte pour prendre en mains le pouvoir, sans d’abord attendre de lui autre chose que l’apport de son nom et de son autorité. Il n’est d’ailleurs pas douteux qu’il ait nourri des sentiments hostiles au régime républicain, communiant en cela avec Maurras aux idées duquel il rendait volontiers hommage, ainsi que cela résulte de la correspondance échangée entre eux, et singulièrement d’un document saisi à l’hôtel du Parc, où, sans assigner de délais à la réalisation de ses vœux Pétain n’en exprime pas moins l’espoir de voir la France revenir au principe de l’hérédité monarchique. Mais, sans doute estimait-il nécessaire d’instaurer, au préalable, un régime autoritaire auquel il se sentait prêt pour l’incarner, à faire don de sa personne.

Aussi bien un homme comme Gustave Hervé, d’autant plus chaud partisan d’un ordre moral et militaire qu’il en était davantage écarté dans le passé, mettait-i1 en lui sa confiance et s’écriait-il dans une brochure bien connue : « C’est Pétain qu’il nous faut ».

Une réclame plus fâcheuse devait lui venir de Pemjean, Directeur du journal mensuel Le Grand Occident où, dans le numéro d’avril 1939, sous l’emblème de la Francisque et la formule habituelle « Le Judéo Maçonnique, voilà l’ennemi » on pouvait lire en grosses lettres, comme pour résumer tout un programme : « Pétain au pouvoir ». Hommage bien compromettant de la part d’un homme comme Pemjean, puisqu’à cette date, 1939, on constate qu’il était Directeur local d’une agence d’où dépendait le « Grand Occident », et dont le directeur général n’était autre que Ferdonnet, le futur traître de Stuttgart.

Pétain était-il en relations avec Pemjean et Gustave Hervé ? On peut se poser la question. Plus certains semblent avoir été ses rapports avec quelques-uns de ceux que liait ce qu’on appelle le pacte synarchique, dont le but était de faire de l’organisation professionnelle le cadre même d’un état autoritaire et hiérarchique, idée chère à Pétain, dont la loi du 16 août 1940 marque une première application.

Il était également en rapport avec de Brinon, le fondateur avec Abetz, du comité France-Allemagne.

Enfin, il est établi que Pétain entretenait des relations avec les principaux membres de l’Association connue sous le nom de « La Cagoule », ou encore, sous les initiales C.S.A.R., dont le but était de renverser la République et de la remplacer par un régime dictatorial à l’instar de ceux de Rome et de Berlin, opération en vue de laquelle d’importants dépôts d’armes en provenance d’Italie et d’Allemagne avaient été constitués. Il suffit de citer les noms d’Alibert et de Deloncle. D’autre part, comment ne pas être frappé de voir dans l’entourage du maréchal, à Vichy, des hommes comme Méténier, chef du service de protection à sa personne, Gabriel Jantet, attaché à son cabinet, Darnand en attendant qu’on fît de cet assassin un ministre, Filiol, dit le tueur, ami de Ménétier, tous membres de la Cagoule, en relations avec le docteur Menetrel, médecin intime du maréchal.

Comment passer sous silence, les déclarations faites au cours de son procès par le général Roatta, ex-chef du contre-espionnage italien sous les ordres du comte Ciano, déclarations dans lesquelles le général parle de Pétain comme d’un des chefs de la Cagoule, association qu’il connaissait pour s’être mis en rapport avec Méténier, le futur chef du service de protection du Maréchal, en vue de l’assassinat des frères Rosselli à Bagnoles-de-l’Orne ?

Mais un document décisif vient d’être porté à la connaissance des magistrats instructeurs : il s’agit d’un procès-verbal relatant les révélations faites par Alibert en novembre 1942, et d’où il résulte que ledit Alibert faisait partie de la Cagoule, ainsi que Darlan, Huntziger, Déat, Laval, et autres, et aussi le maréchal Pétain qui en était le drapeau ; que leur intention était de prendre le pouvoir pour instituer un régime sur le modèle de Franco en utilisant les services de celui-ci, et au besoin l’appui d’Hitler.

Profitant de son ambassade à Madrid, Pétain, selon les dires d’Alibert, s’était servi de Franco comme intermédiaire auprès d’Hitler, lequel s’était montré favorable au projet des conjurés, leur avait même fourni un concours financier, en même temps que promis un appui militaire. Alibert ajoutait qu’après que la guerre eut éclaté et que l’armée française eut été vaincue, l’Armistice fut demandé selon les termes qui avaient été convenus d’avance avec Hitler, mais que celui-ci ne tint nullement ses promesses, et au lieu d’aider à refaire la France sans la République, laissa son parti nous imposer des conditions draconiennes, d’où rupture entre ceux qui, comme Alibert, ne voulaient plus avoir de relations avec Hitler et ceux qui, comme Laval et Déat, voulaient, au contraire, s’engager dans la voie de la collaboration.

L’évolution du complot contre la sûreté intérieure de l’État est aussi nettement indiquée et comme quoi il devait aboutir à une entente avec l’ennemi en vue d’un résultat qui ne pourrait être obtenu qu’en favorisant ses entreprises.

Le document en question projette un singulier jour sur le rôle de Pétain lorsqu’il était ambassadeur à Madrid. Sa sympathie pour le régime de Franco était certaine, et non moins certains ses efforts en vue d’un rapprochement étroit de la France avec le nouveau dictateur, rapprochement qui ne se concevait qu’en corrélation avec un accord avec Hitler. La crainte du communisme était un bon terrain à exploiter en ce sens et, sans parler des voyages que l’ambassadeur faisait incognito à Paris, on ne peut pas ne pas être frappé de ce qu’ont révélé les débats de la cour de Riom à l’occasion de la déposition du général Gamelin au sujet des renseignements fournis par l’ambassade de France à Madrid à l’effet d’être communiqués aux commandants de régions et d’après lesquels un putsch communiste était sur le point de se produire dans l’armée.

A ce point de l’exposé des faits reprochés à l’inculpé, la preuve de l’attentat contre la sûreté intérieure de l’État, dont il s’est rendu coupable, est incontestablement établie, celle du crime d’intelligence avec Hitler dans la période précédant la guerre ne l’est pas moins. Reste à exposer comment après la défaite et l’accession, grâce à elle, du maréchal Pétain au pouvoir, a continué de se manifester la politique de trahison dont la France a été victime.

Mais ici les faits parlent suffisamment haut : il suffira de les rappeler et de des coordonner.

La France est en droit de reprocher au maréchal, en premier lieu, d’avoir fait de l’acceptation définitive de sa défaite l’article fondamental de la politique à suivre, et d’avoir ensuite admis le principe de sa responsabilité dans le passage de l’état de paix à l’état de guerre.

 

Elle peut lui reprocher en outre, comme une atteinte à sa dignité, l’accord de Montoire en tant que collaboration du vaincu avec son vainqueur, et le lui reprocher encore en tant qu’il ne consacrait pas seulement une collaboration humiliante, mais bien l’asservissement de la France à l’Allemagne, asservissement auquel, sur le terrain législatif, le gouvernement de Vichy s’est prêté en calquant sa législation sur celle du Reich, en ne se bornant pas à cela, en mettant hors la loi commune des catégories entières de Français et en organisant la persécution contre elles à l’instar de ce qui se passait sous le régime hitlérien, puis encore en livrant lui-même aux bourreaux les victimes qu’exigeait de lui le Reich comme pour mieux marquer son humiliation.

La France est encore fondée à reprocher au gouvernement du maréchal d’avoir contribué au fonctionnement de la machine de guerre allemande en lui fournissant volontairement des produits et de la main d’œuvre, allant dans cette voie jusqu’à ordonner une véritable mobilisation au profit du Reich.

Elle ne saurait, d’autre part, pardonner au maréchal d’avoir mis sa main dans celle de l’homme qui a déclaré souhaiter la victoire de l’Allemagne.

Et n’est-ce point parce que son gouvernement et lui-même la souhaitaient qu’ils abandonnaient notre Indochine au Japon, qu’en Afrique du Nord ils permettaient à l’Axe de disposer de Bizerte et de la Tunisie pour le ravitaillement de ses armées en Libye, et qu’en Syrie ils accordaient aux Allemands l’usage d’aérodromes pour prêter aide à l’Irak dans sa lutte contre l’Angleterre ?

N’est-ce point parce qu’ils la souhaitaient qu’ils autorisaient l’ouverture de bureaux de recrutement en vue de constituer des contingents pour aller se battre en Russie pour le compte du Reich, et que Pétain ne rougissait pas de féliciter des Français d’avoir endossé l’uniforme allemand en même temps qu’il rendait hommage à Hitler, sauveur de l’Europe et de la civilisation ?

Voilà ce qu’on ne saurait pardonner au gouvernement du maréchal et encore moins d’avoir fait ouvrir le feu en Syrie contre nos alliés et les troupes françaises libres, à Madagascar contre nos alliés venant défendre Diégo-Suarez contre l’entreprise que méditait le Japon, en Tunisie contre les Anglo-Américains et les troupes d’Algérie et du Maroc, pas plus qu’on ne peut oublier qu’il a laissé notre flotte s’enfermer à Toulon où elle n’avait d’autre alternative que de se livrer ou de se détruire.

Mais ayant ainsi résumé tous ces chefs d’accusation, il importe de dissiper une équivoque, celle qui consiste à désolidariser Pétain de son gouvernement.

Tantôt l’on prétend qu’il n’agissait que sur la contrainte et pour épargner à son pays de plus grands maux, et tantôt qu’il n’avait pas d’autre but que de donner le change à l’Allemagne et de l’abuser sur la politique qu’il poursuivait en sous-main.

Ces thèses ne résistent pas à l’examen.

Lors des événements de Syrie, c’est sous sa présidence, alors que les ministres ne sont responsables que devant lui, donc doivent suivre ses directives, qu’est décidée la coopération de Vichy avec l’Allemagne et une lettre écrite par lui au général Dentz nous montre l’importance que personnellement il attachait à ce que cette politique fût suivie.

Même documentation personnelle lors des événements de Tunisie en novembre 1942 d’où la conclusion, qui s’impose, que les ordres signés Pétain, de tirer contre les Anglo-Américains et les troupes françaises d’Algérie n’étaient que l’expression fidèle d’une politique non moins fidèle à Hitler.

Il est fait allusion plus haut à la flotte française qui, sous les ordres de l’amiral de Laborde, malgré l’émouvant appel de l’amiral Auboyneau adjurant ses camarades de ne pas rester exposés à l’ultimatum d’Hitler, était demeurée à Toulon, comme si ces chefs l’avaient condamnée par avance à se détruire.

Or, au lendemain de cette destruction qui privait la France d’un admirable instrument de combat, le maréchal Pétain loin de regretter que la flotte ne s’y soit pas soustraite, en gagnant le large, félicitait l’amiral de Laborde d’être resté sourd à l’appel de la dissidence.

 

Plutôt le sabordage que de se joindre aux Forces Françaises libres ou à nos alliés, c’est toujours la même consigne de Pétain quand, en juillet 1943, de crainte que les navires et avions, sous la garde de l’amiral Robert, aux Antilles, ne servent aux Américains, il lui télégraphia de couler sans retard les navires et de brûler les avions.

Au surplus, il est des manifestations et des actes qu’aucune argumentation, si subtile soit-elle, ne peut, dans les conditions où se trouve la France, expliquer en dehors d’une volonté de complaisance équivalant à la trahison.

 

Comment se justifier d’avoir, au lieu de se retrancher derrière l’impossibilité d’aller à l’encontre de toute la législation, comme de toutes les traditions françaises, édicté ces abominables lois raciales dont il eût cent fois mieux valu laisser aux autorités occupantes le soin d’en appliquer les principes ?

Comment justifier la monstrueuse création des sections spéciales des cours d’appel, avec injonction aux magistrats, d’ordre des autorités allemandes, d’assassiner par autorité de justice les malheureux qu’on leur déférait ?

Comment justifier la création d’une Cour Suprême de Justice, avec mission d’établir, sous le contrôle de l’envahisseur, la responsabilité de la France dans la guerre, puisqu’on chargeait la cour de rechercher les responsabilités encourues dans les actes qui ont contribué au passage de l’état de paix à l’état de guerre et dans ceux qui ont aggravé la situation ainsi créée, ce qui, d’une part, tendait à mettre la responsabilité de la guerre à la charge de la France, et de l’autre, à l’aggraver du fait qu’elle n’avait pas, dès le mois de mai, demandé l’armistice ?

Et lorsque les Magistrats, refusant de donner cette satisfaction à Hitler, se bornent à rechercher à qui incombent dans l’impréparation de la guerre des responsabilités que les débats mettront en partie à la charge de Pétain, n’est-ce point consacrer officiellement l’asservissement de la France que de dessaisir, sur l’ordre d’Hitler, la juridiction qui a pris sur elle de se dérober à ces exigences ?

Un associé aux ordres du Führer, tel apparaît le chef d’État qui, jusqu’à la fin, a couvert de son autorité de tels actes.

Quelques citations empruntées à ses messages ou allocutions eussent à la rigueur suffi à le démontrer, tant il est vrai qu’il est de ces phrases excluant, dans les circonstances où elles sont dites, toute possibilité d’en désavouer ultérieurement la portée.

« Je ne fais que me répéter chaque matin que nous sommes vaincus et que la France doit renoncer à des prétentions auxquelles nous n’avons plus droit »… C’est ce qu’un maréchal de France trouve à dire à des officiers réunis pour le saluer à son passage dans une ville du Centre.

« En participant à la croisade dont l’Allemagne a pris la tête, acquérant ainsi de justes titres à la reconnaissance du monde, vous contribuez à écarter de nous le péril bolcheviste »… C’est ce discours qu’adresse Pétain aux légionnaires, au début de novembre 1941.

Même thème en 1944, à la fin du mois d’avril. « Quand la tragédie actuelle aura pris fin et que, grâce à la défense du continent par l’Allemagne, notre civilisation sera définitivement à l’abri du danger que fait peser sur elle le bolchevisme, l’heure viendra où la France retrouvera sa place ».

Enfin cette dernière phrase, où l’on serait tenté de voir une ironie déplacée à l’adresse des Français travaillant en Allemagne : « Ayez sans cesse à l’esprit cette certitude que vous travaillez pour la France ».

En attendant que d’ici sa comparution les événements et, plus tard, l’histoire, apportent de nouveaux éléments à l’appui de la culpabilité de Pétain, celle-ci est dès maintenant suffisamment établie pour justifier son renvoi devant la Haute Cour.

Attendu, en conséquence, qu’il résulte des faits ci-dessus exposés, charges contre ledit Pétain d’avoir, depuis un temps non prescrit :

1 – Commis le crime d’attentat contre la sûreté intérieure de l’État ;

2 – Entretenu des intelligences avec l’ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrélation avec les siennes.

Crimes prévus et punis par les articles 87 et 75 du Code Pénal.

Le Procureur Général soussigné :

Requiert qu’il vous plaise, à la commission d’instruction de la Haute Cour, de décerner ordonnance de prise de corps et renvoyer ledit Pétain devant la Haute Cour de Justice, pour y être jugé conformément à la loi.

Paris, le 23 avril 1945

Le Procureur Général,
Signé : MORNET.

Complément à l’acte d’accusation du 23 avril 1945, dressé par Monsieur le Procureur Général dans l’affaire suivie contre Pétain

Le supplément d’information auquel il a été procédé depuis l’arrivée en France du Maréchal Pétain appelle les observations suivantes concernant, d’une part, quelques précisions, au besoin rectifications sur certains points. D’autre part, de nouveaux et importants éléments venant s’ajouter aux charges retenues contre l’accusé :

1 – Le document, d’origine espagnole, relatif au projet du putsch communiste, a été remis au général Gérodias à une date antérieure à l’Ambassade de Pétain à Madrid, mais il l’a été par Loustaneau-Lacau, officier appartenant à l’état-major du maréchal Pétain.

2 – Au sujet du document relatif aux révélations faites par Alibert à un interlocuteur de Monsieur Jean Rist, aujourd’hui décédé, révélations dont le défunt a dressé procès-verbal. Il n’a pas été possible d’identifier l’interlocuteur désigné dans le procès-verbal par la lettre N.

L’honorabilité de M. Jean Rist n’en demeure pas moins une garantie de l’authenticité des propos rapportés par lui.

3 – En ce qui concerne les allusions au maréchal Pétain faites au cours de l’instruction suivie à Florence contre le général Roatta et autres, les allusions en question n’émanent pas de Roatta, mais du colonel Santo Emanuele, attaché au service d’information militaire, co-inculpé du général.

4 – Parmi les nouveaux éléments relevés à la charge de l’accusé, il convient d’abord de retenir deux lettres écrites par Loustaneau-Lacau à Pétain à la fin de l’année 1939, où il est question de la constitution éventuelle d’un ministère Pétain-Laval.

5 – De ces deux lettres, il convient de rapprocher la déposition de Mademoiselle Petit, ex-secrétaire d’un sieur Giobbé, familier de l’ambassade d’Italie, et d’où il résulte qu’à la fin de 1939 et au début de 1940, la constitution d’un ministère Pétain-Laval était favorablement envisagée dans les milieux italiens.

6 – Il convient également d’en rapprocher les déclarations de Monsieur. Gaze, attaché à l’ambassade de Madrid : « A diverses reprises, le maréchal m’a montré de petites listes de 6 à 7 ministres dont il formerait son gouvernement au cas où il serait appelé au pouvoir ». Sur ces listes, un nom figurait toujours, celui de Laval.

7 – Un témoin, Monsieur Winckler, directeur de l’Agence de Presse, a relaté le propos suivant à lui rapporté par un invité du maréchal, propos tenu par celui-ci au cours d’un déjeuner offert au fils de Primo de Rivera : « Vous nous jugez, nous, Français, sous l’aspect du Front Populaire. Attendez au printemps prochain, nous aussi, nous aurons notre révolution nationale dans le genre de la vôtre ».

A rapprocher de la phrase reproduite par Monsieur de Monzie : « Ils auront besoin de moi dans la seconde quinzaine de mai ».

8 – Il convient encore de mentionner la déposition de Monsieur Michel Clemenceau, à qui Pétain lui-même a déclaré qu’au moment où le général Weygand a pris le commandement des armées, il lui avait dit : « Vous vous battrez tant que vous pourrez maintenir vos liaisons, et puis j’imposerai l’armistice ».

9 – Une importance particulière s’attache aux protocoles de mai 1941, aux termes desquels le gouvernement de Vichy cédait à l’Allemagne :

1) L’utilisation de bases aériennes et navales en Syrie pour venir en aide à l’Irak dans sa révolte contre l’Angleterre ;
2) L’utilisation du port de Bizerte et du chemin de fer Bizerte-Gabès en vue du ravitaillement de l’Axe en Libye ;
3) L’utilisation du port et des installations de Dakar.

10 – Aux instructions adressées personnellement par Pétain au général Dentz, lors des événements de Syrie, à celles concernant des hostilités à ouvrir contre les forces anglo-américaines et françaises libres, lors des événements d’Afrique du Nord en novembre 1942, il convient d’ajouter les instructions formelles du maréchal au gouverneur général Boisson, lui enjoignant de rompre toutes négociations avec la dissidence et de résister à ce qu’il appelle : « l’agression anglo-américaine ».

11 – Enfin, l’on ne saurait passer sous silence la lettre adressée par Pétain à Hitler le 21 août 1942, à la suite de l’exercice de débarquement anglais à Dieppe, lettre dans laquelle il exprime le désir, si le chancelier l’accepte, que la France participe à la défense de son sol contre les agressions britanniques, et que, par son intervention, elle contribue à la sauvegarde de l’Europe.

Fait à Paris, le 11 juillet 1945.

Le Procureur Général,
Signé: MORNET

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