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Éloge de la gratuité (Le Monde diplomatique)

par Paul Ariès 25 Novembre 2018, 15:50 Gratuité Marchandisation Résistance Capitalisme

Éloge de la gratuité
Par Paul Ariès 
Le Monde diplomatique

Matthew Rose. — « The Big Step » (Le Grand Pas), détail, 2006

Matthew Rose. — « The Big Step » (Le Grand Pas), détail, 2006

Le projet de revenu universel suscite l’enthousiasme de certains, dans leur immense majorité animés par un souci d’équité et de générosité. Mais leur ambition repose-t-elle sur des fondations solides dès lors qu’elle postule l’idée d’une « crise du travail », laquelle suggère qu’une partie de plus en plus importante de la population ne trouvera plus à s’employer ? La croissance de la productivité s’établissant à un niveau historiquement faible depuis la fin de la seconde guerre mondiale, on pourrait au contraire conclure que les humains n’en ont pas fini avec le labeur. Ne vaudrait-il pas mieux asseoir sa réflexion sur l’identification d’une autre crise : celle de la marchandisation ?

 

Le capitalisme, dont la vocation consiste à transformer le monde en marchandises, ne peut poursuivre ce processus sans menacer l’humanité d’un effondrement à la fois financier, social, politique et écologique. Prendre acte de cette situation conduit à prôner un autre type de revenu d’existence, démonétarisé. En d’autres termes : la gratuité, dont il s’agirait de défendre l’extension, car elle n’a jamais totalement disparu. Revenu universel ou gratuité, ainsi se résume le dilemme : vaut-il mieux donner de l’argent aux citoyens ou leur fournir des services gratuits ?

On peut identifier trois éléments de réponse. En 2017, l’University College de Londres a comparé le coût d’un revenu universel de base à celui d’une mise en œuvre de la gratuité pour les services universels élémentaires (logement, nourriture, santé, enseignement, services de transport, services informatiques, etc.) au Royaume-Uni (1). La seconde coûterait 42 milliards de livres sterling (environ 48 milliards d’euros), contre 250 milliards pour le revenu universel (environ 284 milliards d’euros). D’un côté, l’équivalent de 2,2 % du produit intérieur brut (PIB) britannique ; de l’autre, 13 %. Des résultats similaires s’observeraient en France, suggérant un premier constat : la gratuité semble a priori plus « réaliste » économiquement que le revenu universel.

Outre son coût, le revenu universel présente un écueil : la perspective de maintenir, voire d’étendre, le mécanisme de mise en équivalence de tous les aspects de la vie avec une certaine somme d’argent. Proposer de rémunérer les parents pour l’éducation des enfants, les étudiants pour leurs lectures ou les paysans pour les services qu’ils rendent à l’environnement ne participe-t-il pas finalement de l’approfondissement de la logique de marchandisation ? Une réflexion de ce type avait conduit l’intellectuel André Gorz à abandonner l’idée d’allocation universelle (qu’il avait un temps considérée comme « le meilleur levier pour redistribuer aussi largement que possible à la fois le travail rémunéré et les activités non rémunérées ») au profit de celle de gratuité (2).

Même les meilleurs projets de revenu universel ne parcourent que la moitié du chemin : d’une part, rien ne garantit que les sommes allouées soient utilisées pour des produits à valeur écologique, sociale, démocratique ; de l’autre, le dispositif maintient la société dans une logique de définition individuelle des besoins. Bref, de société de consommation...

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