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La théorie française lue par la CIA : sur le travail intellectuel de démantèlement de la gauche culturelle (The Philosophical Salon)

par Gabriel Rockhill 25 Janvier 2019, 14:08 Gauche CIA France Infiltration USA Impérialisme Culture

La théorie française lue par la CIA : sur le travail intellectuel de démantèlement de la gauche culturelle (The Philosophical Salon)

On part souvent du principe que les intellectuels ont peu — voire pas — d’influence politique. Du haut de leur tour d’ivoire de privilégiés, déconnectés du monde réel, empêtrés dans de vaines discussions abstraites à propos de broutilles pour spécialistes ou planant dans les brumes absconses de leurs nobles théories, ils sont souvent présentés comme des gens non seulement coupés de la réalité politique mais également incapables d’avoir sur elle un impact véritable, mais la CIA est d’un avis différent.

 

En effet, l’agence responsable de coups d’État, d’assassinats ciblés et de manipulation secrète de gouvernements étrangers ne se contente pas de croire au pouvoir des théories, elle est allée jusqu’à consacrer d’importants moyens à l’étude, par un groupe d’agents secrets, de ce qui constitue pour certains la théorie la plus abstruse et la plus complexe jamais énoncée. Dans un rapport de recherche intrigant écrit en 1985 et récemment publié grâce au Freedom of Information Act (loi sur la liberté de l’information), après avoir été légèrement censuré, la CIA révèle que ses agents ont étudié la complexe Théorie française liée aux noms de Michel Foucault, Jacques Lacan et Roland Barthes, qui donne le ton au niveau international.

Probablement la vision d’espions américains se réunissant dans des cafés parisiens pour étudier minutieusement l’œuvre des grands prêtres de l’intelligentsia française et confronter leurs opinions à ce sujet scandalisera-t-elle ceux pour qui ce groupe d’intellectuels sont des sommités dont la subtilité hors du commun ne saurait se laisser draguer de manière aussi vulgaire ou ceux pour qui, au contraire, ces intellectuels ne sont que des charlatans faisant commerce d’une rhétorique incompréhensible sans — ou avec très peu — d’impact sur le monde réel. Cependant il est peu vraisemblable que cela surprenne ceux qui sont au fait de la participation de longue date de la CIA à la guerre culturelle mondiale, y compris son soutien aux formes avant-gardistes les plus extrêmes, qui a été bien étudiée par des chercheurs comme Frances Stonor Saunders, Giles Scott-Smith, Hugh Wilford (recherche à laquelle j’ai, moi aussi, contribué dans Radical History & the Politics of Art [Histoire radicale et politiques artistiques]).

 

Thomas W Braden, l’ancien directeur des activités culturelles de la CIA, a évoqué franchement l’influence de l’incursion de l’agence dans le domaine culturel dans un témoignage d’initié publié en 1967 : « Je me souviens de l’énorme joie que j’ai ressentie quand le Boston Symphony Orchestra [qui était subventionné par la CIA] a suscité à Paris plus d’enthousiasme pour les États-Unis, que John Foster Dulles et Dwight D. Eisenhower n’auraient pu en obtenir avec cent discours ». Ce rôle dans le domaine culturel n’était pas une petite opération marginale. En fait, comme Wilford l’a soutenu avec pertinence, le Congress for Cultural Freedom (Congrès pour la liberté de la culture), le CCF, qui avait son quartier général à Paris et dont on a, plus tard, découvert qu’il servait de façade à la CIA pendant la guerre froide culturelle, était l’un des plus grands mécènes de l’histoire mondiale et finançait une incroyable gamme d’activités artistiques et culturelles. Il avait des bureaux dans 35 pays, publiait des dizaines de magazines de prestige, avait des activités dans le domaine de l’édition, organisait des conférences internationales et des expositions artistiques très en vue, coordonnait des représentations et des concerts, et subventionnait généreusement différents prix culturels et bourses de recherche, ainsi que des organisations de façade comme la fondation Farfield.

Les « apparatchiks » à Paris : le directeur du CCF et agent de la CIA, Michael Josselson (au centre), lors d’un déjeuner de travail avec John Clinton Hunt et Melvin Lasky (à droite).

 

L’agence de renseignement a conscience que la culture et la théorie sont des armes essentielles dans l’arsenal d’ensemble qu’elle déploie pour préserver, dans le monde entier, les intérêts des États-Unis. Le rapport de recherche de 1985, publié récemment et intitulé « France : la défection des intellectuels de gauche », étudie, et il ne fait pas de doute que c’est à des fins de manipulation, l’intelligentsia française et son rôle essentiel dans le façonnement des tendances qui mènent à des idéologies politiques. On y suggère qu’il existe un relatif équilibre idéologique entre la droite et la gauche dans l’histoire des intellectuels français et le rapport souligne le monopole de la gauche dans l’immédiat après-guerre — ce à quoi, nous le savons bien, l’agence était farouchement opposée — monopole dû au rôle prépondérant des communistes dans la résistance au fascisme et finalement à la victoire contre celui-ci. Bien que la droite ait été particulièrement discréditée à cause de sa contribution directe aux camps de la mort nazis, de son programme politique globalement xénophobe, anti-égalitaire et fasciste, selon ce qu’en dit la CIA elle-même, les agents secrets restés anonymes qui ont rédigé cette étude soulignent avec une satisfaction perceptible que la droite est de retour depuis à peu près le début des années 70.

 

Surtout les soldats secrets de la guerre culturelle applaudissent à ce qu’ils voient comme un double mouvement qui a amené l’intelligentsia à se concentrer sur la critique de l’URSS plutôt que sur celle des USA comme elle le faisait auparavant. À gauche, il y avait une désaffection croissante des intellectuels envers le stalinisme et le marxisme, un retrait progressif des intellectuels d’extrême gauche du débat public et un désengagement théorique par rapport au socialisme et au Parti socialiste. Plus à droite, les opportunistes idéologiques appelés Nouveaux philosophes et les intellectuels de la Nouvelle droite lançaient une grande campagne médiatique de dénigrement du marxisme.

Tandis que cette organisation mondiale d’espionnage étendait ses tentacules dans d’autres domaines, en renversant des dirigeants démocratiquement élus, en fournissant des renseignements à des dictateurs fascistes et en les finançant, en subventionnant des escadrons de la mort d’extrême droite, la formation parisienne concentrée sur l’intelligentsia rassemblait des données sur la façon dont le virage à droite des intellectuels au niveau mondial pourrait profiter à la politique étrangère des États-Unis. Les intellectuels de gauche de l’immédiat après-guerre avaient critiqué ouvertement l’impérialisme états-unien. L’agence surveillait étroitement et considérait comme un problème sérieux l’écrivain et critique marxiste au franc parler Jean-Paul Sartre, qui jouissait d’une grande influence médiatique et qui avait joué un rôle notable, en tant que fondateur de Libération, en faisant sauter la couverture du chef de poste de la CIA à Paris et de dizaines d’agents sous couverture.

 

A l’inverse, l’atmosphère anti-soviétique et anti-marxiste de l’époque du néolibéralisme naissant détournait la vigilance du public et fournissait une excellente couverture pour les guerres sales menées par la CIA en rendant « très difficile pour quiconque de mobiliser une opposition appréciable au sein des élites intellectuelles contre les politiques des États-Unis en Amérique centrale, par exemple ». Greg Grandin, l’un des chefs de file de l’histoire latino-américaine, a parfaitement résumé cette situation dans le « Last Colonial Massacre » [le dernier massacre colonial] : « Les États-Unis ne se sont pas contentés de se livrer à des interventions manifestement désastreuses et meurtrières au Guatemala en 1954, en République dominicaine en 1965, au Chili en 1973 et au Salvador et au Nicaragua pendant les années 80, ils ont aidé discrètement et régulièrement sur un plan financier, matériel et moral les États terroristes meurtriers contre leurs insurgés. […] Mais l’énormité des crimes de Staline garantit que le récit de ces exactions sordides, aussi convaincant, exhaustif et accablant qu’il soit, ne va pas venir troubler les fondements d’une vision du monde soucieuse de faire valoir le rôle exemplaire des États-Unis comme défenseur de ce que nous connaissons sous le nom de démocratie. »

 

C’est dans ce contexte que les mandarins masqués saluent et soutiennent la critique incessante qu’une nouvelle génération de penseurs anti-marxistes comme Bernard Henri Lévy, André Glucksmann et Jean-François Revel ont formulée contre « la dernière clique des savants communistes » composée, selon les agents restés anonymes, de Sartre, Barthes, Lacan et Louis Althusser. Comme,dans leur jeunesse, ces anti-marxistes étaient généralement de gauche, ils fournissent le modèle parfait visant à élaborer des récits trompeurs qui amalgament une prétendue maturation politique et la marche vers le progrès du temps, comme si aussi bien la vie d’un individu que l’Histoire n’étaient qu’une question de « passage à l’âge adulte » et de reconnaissance qu’une transformation sociale profonde et égalitaire appartient, du point de vue historique et personnel, au passé. Ce défaitisme omniscient et condescendant ne sert pas seulement à discréditer les nouveaux mouvements, surtout ceux qui sont menés par les jeunes, mais il interprète également, de façon erronée, les succès relatifs de la répression contre-révolutionnaire comme un progrès naturel de l’histoire.

Le philosophe français anti-marxiste Raymond Aron (à gauche) et sa femme Suzanne en vacances avec un agent de la CIA sous couverture, Michael Josselson, et Denis de Rougemont (à droite).

 

Même des théoriciens moins opposés au marxisme que ces intellectuels réactionnaires ont contribué, de façon significative, à créer un environnement de désenchantement à l’égard de l’égalitarisme transformateur, de détachement vis-à-vis de la mobilisation sociale et d’une « enquête critique » dépourvue de radicalisme politique. Cela est très important pour comprendre la stratégie d’ensemble de la CIA dans ses vastes tentatives approfondies de démantèlement de la gauche culturelle en Europe et ailleurs. En se rendant compte qu’elle ne pourrait probablement pas l’anéantir totalement, l’organisation d’espionnage la plus puissante du monde a cherché à détourner la culture de gauche d’une politique résolument anticapitaliste et déterminée à de vrais changements pour l’amener à des positions réformistes de centre-gauche, moins ouvertement critiques de la politique intérieure et étrangère des USA. En fait, comme Saunders l’a montré en détail, dans l’après-guerre, l’agence a agi dans le dos d’un Congrès dominé par McCarthy pour financer et promouvoir directement des projets de gauche qui éloignaient les producteurs et consommateurs d’objets culturels de la gauche plus résolument égalitariste. En mettant à l’écart et en discréditant cette dernière, la CIA aspirait aussi à diviser la gauche en général, laissant à ce qui restait du centre-gauche très peu de pouvoir et de soutien des citoyens (tout en étant en butte à un discrédit dû sans doute à sa connivence avec la politique de droite, un problème qui continue d’ailleurs à tourmenter, encore maintenant les partis de la gauche institutionnelle.

C’est à la lumière de ces éléments que nous devons comprendre le goût de l’agence de renseignement pour les récits de conversion et sa gratitude sans réserve pour les « marxistes repentis », un leitmotiv qui traverse le rapport de recherche sur la théorie française. Selon les taupes de la CIA, « les intellectuels qui ont été encore plus efficaces dans la lutte pour l’affaiblissement du marxisme, ce sont ceux qui souhaitaient, au départ, appliquer, en disciples convaincus, la théorie marxiste aux sciences sociales mais qui avaient fini par repenser puis rejeter cet héritage tout entier ». Elles évoquent en particulier la contribution majeure apportée par l’école des Annales de l’historiographie et du structuralisme — notamment Claude Lévi-Strauss et Foucault — « à la démolition critique de l’influence marxiste dans les sciences sociales ». Foucault, qualifié de « penseur le plus profond et influent de France », se voit particulièrement salué pour son éloge des intellectuels de la Nouvelle droite, qui ont rappelé aux philosophes que « de “fichues” conséquences » ont « découlé de la théorie rationaliste progressiste du siècle des Lumières et de l’époque révolutionnaire ». Ce serait certes une erreur de réduire la politique d’une personne ou les effets de sa politique à une position ou un résultat unique, le gauchisme antirévolutionnaire de Foucault ainsi que son constant chantage au goulag — c’est-à-dire l’affirmation selon laquelle les larges mouvements radicaux visant une profonde transformation sociale et culturelle ne font que ressusciter la plus dangereuse des traditions — sont parfaitement en accord avec les stratégies d’ensemble de l’agence d’espionnage en matière de guerre psychologique.

 

La lecture par la CIA de la théorie française devrait ainsi nous inciter à réfléchir et réexaminer l’élégante façade radicale qui a accompagné une bonne partie de sa réception anglophone. Selon une représentation de l’histoire progressiste (d’habitude inconsciente de sa finalité implicite), le travail de personnalités comme Foucault, Derrida et d’autres théoriciens français d’avant-garde est souvent intuitivement lié à une forme de critique profonde et sophistiquée qui surpasse sans doute de loin n’importe quelle découverte de la tradition socialiste, marxiste ou anarchiste. Il est certainement vrai et mérite d’être souligné que la réception anglophone de la théorie française, comme John McCumber l’a justement remarqué, avait d’importantes implications politiques comme pôle de résistance à la fausse neutralité politique, aux prudentes subtilités logiques et linguistiques, ou au conformisme idéologique directement en vigueur dans la tradition de la philosophie anglo-américaine soutenue par McCarthy. Cependant, les pratiques théoriques des personnalités qui ont tourné le dos à ce que Cornelius Castoriadis a appelé la tradition de la critique radicale — c’est-à-dire la résistance anticapitaliste et anti-impérialiste — ont sans doute contribué à la dérive idéologique qui se démarquait de la politique de changement. Selon l’agence du renseignement elle-même, la théorie française post-marxiste a directement contribué au programme culturel de la C.I.A. d’entraîner avec douceur la gauche vers la droite, tout en discréditant l’anti-impérialisme et l’anticapitalisme, nourrissant ainsi un environnement intellectuel dans lequel ses projets impérialistes pourraient être poursuivis sans l’obstacle d’un examen critique sérieux mené par l’élite intellectuelle.

 

Les recherches sur le programme de guerre psychologique de la C.I.A. nous informent que l’organisation a non seulement poursuivi des individus pour chercher à les embrigader, mais qu’elle a toujours été encline à comprendre et à transformer les institutions de production et de diffusion culturelles. En effet, son étude sur la théorie française met en évidence le rôle structurel des universités, maisons d’édition et médias dans la formation et la consolidation d’une philosophie politique collective. Par des descriptions qui, comme le reste du document, devraient nous inciter à la réflexion critique au sujet de l’actuelle situation académique du monde anglophone et au-delà, les auteurs du rapport mettent en avant la façon dont la précarisation du personnel universitaire contribue à la démolition du gauchisme radical. S’il est impossible pour les fervents de gauche de garantir les moyens matériels nécessaires à la réalisation de leurs travaux, ou si nous sommes forcés de façon plus ou moins subtile à nous conformer afin d’avoir un emploi, de publier nos travaux ou d’avoir un public, les conditions structurelles propres à une communauté de gauche déterminée sont en effet affaiblies. La professionnalisation de l’enseignement supérieur est un autre outil utilisé à cet effet, car elle a pour but transformer les gens en pions techno-scientifiques dans un dispositif capitaliste au lieu de citoyens autonomes munis d’outils fiables pour une critique sociale. Les mandarins théoriques de la C.I.A. acclament ainsi les efforts du gouvernement français visant à « pousser les étudiants aux études dans des filières commerciales et techniques ». Ils mettent également en évidence les contributions apportées par les grandes maisons d’édition comme Grasset, les médias de masse et la culture américaine, très tendance, à la mise en œuvre de leur plateforme post-socialiste et anti-égalitaire.

 

Quelles leçons pourrions-nous tirer de ce rapport, notamment dans le contexte politique actuel où les intellectuels critiques sont constamment malmenés ? D’abord, il serait cohérent de rappeler que si, pour certains, les intellectuels sont impuissants et que nos orientations politiques ne comptent pas, l’organisation qui a été l’un des agents d’influence les plus puissants dans la politique mondiale contemporaine, n’est, elle, pas de cet avis. La Central Intelligence Agency, comme son nom le suggère ironiquement, croit au pouvoir de l’intelligence et des théories et nous devrions prendre cette conviction très au sérieux. En partant faussement du principe que le travail intellectuel n’a pas ou peu d’impact sur « le monde réel », nous présentons non seulement une image erronée du travail théorique, mais nous courons aussi le risque d’ignorer fâcheusement les projets politiques dont nous pouvons facilement devenir, sans le vouloir, les ambassadeurs culturels. Même s’il est certain que l’État nation français et son système culturel offrent aux intellectuels une tribune publique beaucoup plus large que cela n’est le cas dans beaucoup d’autres pays, l’obsession de la CIA pour la planification et la manipulation de la production théorique et culturelle devrait nous servir à tous d’avertissement.

Deuzio, les agents d’influence présents ont tout intérêt à cultiver une élite intellectuelle dont le sens critique aura été limé ou détruit grâce à la création d’institutions intéressées au commerce et à la techno-science, en assimilant la politique de gauche à l’anti-scientificité, en corrélant la science avec une prétendue (mais fausse) neutralité politique, en favorisant les médias qui saturent les ondes de discours conformistes, en écartant les fidèles de la gauche des principales institutions universitaires et des projecteurs des médias, enfin en jetant le discrédit sur tout appel à un changement radical, égalitaire et écologique. Théoriquement, elles cherchent à nourrir une culture intellectuelle qui, si elle est de gauche, se verra neutralisée, immobilisée, apathique et se satisfera de lamentations défaitistes ou de critiques passives de la gauche radicale mobilisée. C’est une des raisons pour lesquelles nous devrions envisager une opposition intellectuelle au gauchisme radical prépondérant dans l’Académie américaine, comme position politique dangereuse : car n’est-ce pas directement un complice de la stratégie impérialiste de la C.I.A. autour du monde ?

 

Tertio, afin de parer cette atteinte institutionnelle au développement d’un gauchisme résolu, il est impératif de résister à la précarisation et la professionnalisation de l’enseignement. Il est également important de créer des cercles publics propices au débat réellement critique, offrant ainsi une plus large plateforme à ceux qui reconnaissent qu’un autre monde, plus que possible, est nécessaire. Il est également nécessaire que nous nous unissions afin de contribuer aux médias alternatifs, aux modèles d’éducation différents, aux collectifs contre-institutionnels et radicaux, ou de continuer à les développer. Il est vital de maintenir ce que les combattants culturels déguisés cherchent précisément à détruire : le développement d’un gauchisme résolu pourvu d’un large cadre de soutien institutionnel, d’un appui public important, d’une présence médiatique prédominante et d’un vaste pouvoir de mobilisation.

 

Enfin, nous, intellectuels de par le monde, devrions nous accorder à reconnaître notre puissance et nous en saisir afin de faire tout notre possible pour développer une critique systémique et radicale qui soit aussi égalitaire et écologique que anticapitaliste et anti-impérialiste. Les positions défendues dans les amphithéâtres ou publiquement sont importantes pour fixer les modalités du débat et déterminer le champ des possibles politiques. En opposition directe à la stratégie culturelle de l’agence d’espionnage visant à fragmenter et à polariser, par laquelle elle a cherché à diviser et isoler la gauche anti-impérialiste et anticapitaliste tout en l’opposant aux positions réformistes, nous devrions nous fédérer puis nous mobiliser en reconnaissant l’importance de travailler ensemble — d’un bout à l’autre du spectre de la gauche, comme nous l’a récemment rappelé Keeanga-Yamahtta Taylor — pour qu’une intelligentsia véritablement critique puisse exister. Au lieu de proclamer ou de déplorer l’impuissance des intellectuels, nous devrions canaliser la capacité de dire la vérité face au pouvoir en travaillant ensemble et en mobilisant notre capacité de créer collectivement les institutions nécessaires pour un monde culturel de gauche. Car c’est seulement dans un tel monde et dans les caisses de résonance de l’esprit critique qu’il produira, que les vérités exprimées pourront être effectivement entendues, transformant ainsi les structures mêmes du pouvoir.

 

Gabriel Rockhill est philosophe, critique culturel et théoricien politique. Il enseigne à l’université de Villanova et à la prison de Grateford. Il dirige l’atelier de théorie critique à la Sorbonne.

Source : The Philosophical Salon, Gabriel Rockhill, 28-02-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

Lien vers la source déclassifiée sur le site de la CIA ici. (pdf)

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