Le conflit militaire russo-ukrainien dans le détroit de Kertch illustre une fois de plus à quel point cette guerre froide est plus dangereuse que la précédente.
Stephen F. Cohen, professeur émérite de politique et d’études russes à Princeton et à NYU, et John Batchelor poursuivent leurs discussions (habituellement) hebdomadaires sur la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Russie. (Les contributions précédentes, qui en sont maintenant à leur cinquième année, sont sur TheNation.com.)
Un thème majeur du livre récemment publié par Cohen, En guerre avec la Russie ? De Poutine et l’Ukraine à Trump et Russiagate, est que la nouvelle guerre froide est plus dangereuse à plusieurs égards que la précédente, qui a duré 40 ans et à laquelle le monde a survécu. Deux de ces nouveaux périls ont été prouvés le 25 novembre lorsque les forces russes ont tiré sur de petits navires militaires ukrainiens et les ont saisis dans les eaux territoriales contestées près du pont de Kertch récemment construit reliant la Russie continentale à la Crimée annexée.
Deux facteurs sans précédent dans l’histoire de la guerre froide ont marqué cet épisode. Contrairement à la précédente guerre froide, dont l’épicentre politique se trouvait dans la lointaine Allemagne, celle-ci s’est déroulée directement aux frontières de la Russie, et plus spécifiquement en Ukraine. En effet, le gouvernement de Kiev est en fait un régime client américano-OTAN. Ainsi, un « incident frontalier », comme l’a appelé le président russe Poutine dans l’épisode de Kertch, pourrait déclencher une guerre générale entre la Russie et l’Occident.
Deuxièmement, pendant la guerre froide qui a duré 40 ans, les présidents américains étaient censés négocier et en mesure de le faire avec leurs homologues du Kremlin pour désamorcer de telles crises, comme l’a fait JFK lors de la crise des missiles de Cuba en 1962. Mais en raison des allégations du Russiagate selon lesquelles Donald Trump aurait été de connivence avec le Kremlin pour accéder à la présidence en 2016, malgré l’absence encore de toute preuve, le président Trump n’a pas été en mesure ou n’avait pas la volonté de le faire. Au lieu de cela, en raison de l’épisode de Kertch, il a annulé une réunion prévue avec Poutine. C’est-à-dire qu’une crise qui rendait impérative une telle réunion était au contraire, en raison de l’état de la politique américaine, la cause de son annulation. Le résultat le plus important a été la militarisation accrue de la nouvelle guerre froide au détriment de la diplomatie, un thème qui a été débattu assez longuement ici.
Il est peu probable que Kertch soit le dernier conflit potentiellement explosif de ce type entre Washington et Moscou le long des frontières de la Russie, très probablement encore en Ukraine, en raison de l’expansion continuelle de l’OTAN vers l’est. Si le président Trump n’est pas pleinement habilité à mener des négociations de crise avec le Kremlin, comme tous les présidents depuis Eisenhower l’ont été, le prochain épisode pourrait ne pas être aussi limité et rapidement résolu, si en fait celui-ci l’a été.
Cela explique un autre thème de En guerre avec la Russie ? Les allégations du Russiagate et ses promoteurs sont devenues une grave menace pour la sécurité nationale américaine, à la fois en entravant Trump et en diabolisant davantage Poutine, qui était amplement exposé et accusé dans les récits de l’épisode de Kertch faits par les médias grand public américain. Il n’est donc pas surprenant que peu de ces témoignages aient porté sur l’importance de l’utilisation par le président ukrainien Porochenko de l’épisode de Kertch pour imposer la loi martiale aux régions ukrainiennes les moins susceptibles de voter pour lui lors des prochaines élections présidentielles de mars 2019 – ou sur les raisons pour lesquelles il a provoqué le conflit maritime pour renforcer ses déclinantes perspectives électorales. (Dans la lutte parlementaire qui a limité la loi martiale, les rivaux présidentiels potentiels de Porochenko étaient beaucoup moins réticents à cet égard.)
M. Cohen termine avec un témoignage personnel sur la façon dont le défunt président George H.W. Bush a mené la politique envers la Russie soviétique. En novembre 1989, face à des avis partagés sur la question de savoir s’il fallait poursuivre les relations pro-détente du président Reagan avec l’Union soviétique sous Mikhaïl Gorbatchev ou reprendre la politique de la guerre froide, Bush convoqua à Camp David un débat entre des opinions opposées auquel participèrent pratiquement toute son équipe nationale de sécurité. Cohen a été invité à présenter l’argument en faveur d’une politique de détente radicale, et feu le professeur Richard Pipes de Harvard a présenté le point de vue opposé.
Il était clair que le président Bush voulait entendre les opinions érudites les plus divergentes à un moment crucial de ses relations avec Moscou, ce qui est tout à son honneur. Rien ne prouve que les présidents Clinton, George W. Bush ou Obama en aient ressenti le besoin, ce qui est l’une des principales raisons pour lesquelles Washington est maintenant engagé dans une nouvelle et plus dangereuse guerre froide avec Moscou. C’est là une leçon pour le Président Trump.
*Stephen F. Cohen est professeur émérite d’études russes et de politique à l’Université de New York et à l’Université de Princeton et rédacteur en chef adjoint de The Nation.
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
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