Exclusivité AP : La coalition anti-Maduro est née de discussions secrètes
Article originel : AP Exclusive: Anti-Maduro coalition grew from secret talks
Par Joshua Goodman, Luis Alonso Lugo & Rob Gillies,
Associated Press, 26.01.19
CARACAS, Venezuela (AP) – Selon les participants aux tractations la coalition des gouvernements latino-américains qui se sont joints aux États-Unis pour s’empresser de reconnaître Juan Guaido comme président intérimaire du Venezuela, s’est réunie après des semaines de diplomatie secrète incluant des messages chuchotés aux militants et suite à un voyage à l’étranger à haut risque du chef de l’opposition disputant le pouvoir à Nicolas Maduro.
Selon son allié l’ancien maire de Caracas en exil Antonio Ledezma, à la mi-décembre, Guaido s’est discrètement rendu à Washington, en Colombie puis au Brésil pour informer les responsables de la stratégie de manifestations de masse de l’opposition pour coïncider avec la cérémonie d’investiture de Maduro pour son second mandat le 10 janvier malgré la condamnation internationale généralisée.
Pour quitter le Venezuela, il a dû se faufiler à travers la frontière risquée avec la Colombie afin d’éviter les agents de l’immigration qui ont coutume de harceler les représentants de l’opposition à l’aéroport et les empêchant parfois de voyager à l’étranger, a déclaré un autre dirigeant anti-gouvernement, parlant sous couvert d’anonymat.
L’établissement d’un consensus au sein de la coalition antigouvernementale fragmentée s’est avéré une rude bataille. Pendant des années, l’opposition à été divisée par les ego, la stratégie et la répression du gouvernement, ce qui a poussé plusieurs dirigeants éminents à l’exil, rendant les rencontres physiques impossibles. D’autres personnalités au Venezuela étaient surveillés de près par les services de renseignement, et tous craignaient d’alerter le gouvernement.
De longues séances de rédaction de SMS cryptés sont devenues la norme, a déclaré le chef de l’opposition. Un responsable américain a déclaré que des intermédiaires ont été utilisés pour délivrer des messages au mentor politique de Guaido et figure de l’opposition Leopoldo Lopez, qui est assigné à résidence suite à une tentative avortée de soulèvement de masse contre Maduro en 2014. Le responsable américain a pris la parole sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité.
Malgré l’assurance de Guaido qu’il se déclarerait président par intérim lors du rassemblement du 23 janvier coïncidant avec l’anniversaire du coup d’État de 1958 qui a mis fin à la dictature militaire du Venezuela, le suspense a duré jusqu’aux heures précédant son annonce, selon un diplomate latino-américain du groupe de Lima qui a demandé l’anonymat parce qu’il n’était pas autorisé à parler avec les médias. Certaines factions modérées ont été délaissées ou souhaitaient une approche plus modérée, craignant qu’un geste audacieux ne conduise à un nouvel échec pour l’opposition. En fin de compte, ces différences ont été aplanies en interne, sans qu’il y ait de discorde publique.
« C’est la première fois, depuis au moins 5 ans, que l’opposition a montré une capacité à converger de manière constructive » disait un officiel canadien aguerri parlant sous couvert de l’anonymat parce que non autorisé à faire des déclarations publiques.
La décision de l’affrontement direct avec Maduro a été possible seulement grâce au vigoureux soutien de l’administration Trump, qui conduit un chœur majoritairement conservateur de gouvernements Latino américains qui ont immédiatement reconnu Guaido.
Cela n’a pas été un mince exploit, comparable récemment seulement avec la façon dont l’hémisphère en 1994 s’est rallié derrière Jean Bertrand Aristide pour le ramener au pouvoir en Haïti après son éviction par un coup d’état, compte-tenu de la méfiance de l’Amérique latine à l’égard des États-Unis, découlant des interventions militaires américaines dans la région pendant la guerre froide. Tout aussi impressionnante est l’approche musclée qui a reçu l’appui des deux partis, deux des démocrates les plus influents du Sénat, Dick Durbin et Bob Menendez, qui ont fait l’éloge de cette approche.
Le moment décisif a été la remarque stupéfiante du président Donald Trump en août 2017, sur les marches de son club de golf du New Jersey, selon laquelle une « option militaire » était sur la table pour faire face à la crise vénézuélienne.
Dans les semaines qui ont suivi, M. Trump a fermement condamné Maduro dans son discours à l’Assemblée générale de l’ONU, ainsi que ses discrets assistants de presse et certains dirigeants latino-américains au sujet d’une invasion militaire du pays.
Dès lors, les pays de la région se sont rendu compte qu’ils avaient un partenaire aux États-Unis qui était prêt à s’attaquer à une crise qui durait depuis des années mais que les gouvernements américains précédents avaient choisi de minimiser en raison de ses implications limitées en matière de sécurité nationale, a déclaré Fernando Cutz, ancien conseiller principal du président Barack Obama et de Trump pour la sécurité nationale en Amérique latine.
Pour certains, en particulier le Mexique, qui renégocie l’ALENA, l’adoption d’une position plus agressive est aussi l’occasion d’exercer une influence dans les relations bilatérales avec l’administration Trump.
« Trump est personnellement à l’origine d’un grand nombre de ces problèmes », a déclaré M. Cutz, qui travaille aujourd’hui pour le groupe Cohen, une société de conseil de Washington. « Carrément dans tous les échanges qu’il a eues avec les dirigeants latino-américains depuis son arrivée au pouvoir, il évoque le Venezuela. Cela a forcé beaucoup de mains. »
Le 4 janvier, la veille de l’investiture de M. Guaido à la présidence de l’Assemblée nationale, les ministres des affaires étrangères de 13 pays du Groupe de Lima, qui ne comprend pas les États-Unis, ont déclaré qu’ils ne reconnaîtraient pas le second mandat de Maduro.
Cela a déclenché une grande agitation à la Maison-Blanche pour s’assurer qu’elle ne serait pas laissée pour compte, a déclaré un ancien fonctionnaire et membre du personnel du Congrès américain qui était en contact étroit avec le Conseil national de sécurité. Tous deux ont parlé sous le couvert de l’anonymat parce qu’ils n’étaient pas autorisés à discuter de la stratégie du Gouvernement.
Le Canada, membre du Groupe de Lima, a joué un rôle clé dans les coulisses, sa ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, s’est entretenue avec M. Guaido la veille de la cérémonie d’investiture de Maduro pour offrir l’appui de son gouvernement s’il affrontait le dirigeant socialiste, a dit le représentant canadien. La Colombie, qui partage une frontière avec le Venezuela et a accueilli plus de 2 millions de migrants fuyant le chaos économique, ainsi que le Pérou et le nouveau président brésilien d’extrême droite Jair Bolsonaro, ont également été actifs.
Gillies a fait un reportage à Toronto et Alonso un autre à Washington. Anna Jean Kaiser, journaliste de l’Associated Press à Sao Paulo, Brésil, y a contribué.
Source : Associated Press News, Joshua Goodman, Luis Alonso Lugo & Rob Gillies, 26-01-2019
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
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