Roland Hureaux : Syrie, le grand aveuglement...
Par Richard Labévière
Proche et Moyen-Orient.ch
On commence enfin à y voir plus clair sur la Syrie… La chape de plomb idéologique finit par se craqueler grâce à quelques orfèvres à qui on finira bien par rendre hommage un de ces jours prochains : l’ambassadeur Michel Raimbaud, le journaliste Majed Nehmé, l’ancien espion Alain Chouet, l’historien Frédéric Pichon, le politologue René Naba, l’oncle Bassam Tahhan, le géographe Fabrice Balanche, l’essayiste Michel Collon et quelques autres qui nous pardonneront de ne pas les avoir cités nommément.
Une dernière contribution de choix (qui sort actuellement en librairie1) mérite la plus grande attention : celle de Roland Hureaux. Sans être à proprement parler un spécialiste des Proche et Moyen-Orient, il est ancien élève de l’Ecole normale supérieure et de l’ENA. Agrégé d’histoire, membre du comité de rédaction de la revue Commentaire et du comité scientifique de la Fondation Charles de Gaulle, Roland Hureaux est ancien auditeur de l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale). Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages dont Pour en finir avec la droite (Gallimard 1998), Les nouveaux féodaux – l’erreur de la décentralisation (Gallimard 2004), Jésus et Marie Madeleine (Perrin 2005) et L’actualité du gaullisme (François-Xavier de Guibert 2007).
Commençant par rappeler la célèbre assertion de Rudyard Kipling – la première victime d’une guerre, c’est la vérité -, Roland Hureaux déconstruit méthodiquement avec une clarté limpide les enjeux régionaux et planétaires de la guerre de Syrie (2011 – 2019), avant d’en tirer quelques enseignements essentiels, rarement abordés avec autant de pertinence et de courage. Et c’est sans doute par ses conclusions et mise en perspective critique que l’ouvrage est le plus important. Nous y reviendrons.
DETRUIRE LA SYRIE : UNE VIEILLE IDEE
Avant de remonter aux causes profondes de l’aveuglement idéologique généralisé depuis le début du conflit syrien, Roland Hureaux nous rappelle quelques vérités à la manière d’Aristote : en puissance et en acte. « Robert F. Kennedy, avocat new-yorkais, petit-fils de Robert Kennedy, frère de John, a vendu la mèche en affirmant dans un article de Politico2 que renverser Assad pour lui substituer un régime pro-occidental était une décision prise par les Etats-Unis dès 2009, immédiatement après le refus d’Assad de laisser passer le gazoduc venant du Qatar, deux ans donc avant les premiers troubles. Roland Dumas, sollicité à Londres en 2010 pour participer à l’opération, le confirme. Le général Wesley Clark, ancien commandant en chef des forces de l’OTAN en Europe, aussi ».
En fait, Bachar al-Assad était dans le collimateur de Washington depuis plus longtemps : dès 2002, John Bolton, alors collaborateur de George W. Bush, avait inscrit la Syrie sur la liste des Rogue States (Etats voyous) dont il fallait renverser le régime. Mais la Syrie bénéficia d’un sursis avec la deuxième guerre du Golfe au printemps 2003, Damas observant une stricte neutralité dans l’invasion anglo-américaine de l’Irak qui mettait ainsi fin au régime de Saddam Hussein – incarnation de la branche concurrente et honnie du Baath irakien.
Dès 2005, Washington somme Damas de rompre avec l’Iran et le Hezbollah libanais. Plusieurs diplomates américains impliquent l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri dans le système de pressions mis en place pour faire plier Bachar al-Assad. Le 14 février 2005, Rafic Hariri est victime d’un attentat-suicide en plein cœur de Beyrouth. Dans les minutes qui suivent l’explosion, Washington et les chancelleries européennes accusent la Syrie et Bachar al-Assad personnellement. Même si les théories les plus fumeuses ont circulé sur la mort de Rafic Hariri, plusieurs bons connaisseurs de la région le disaient depuis plusieurs mois : « seule une disparition brutale de l’ancien Premier ministre libanais pourrait faire tomber le gouvernement syrien » !
Richard Labévière
18 mars 2019
1 Roland Hureaux : La France et l’OTAN en Syrie – Le grand fourvoiement. Bernard Giovanangeli/Orbis Géopolitique, janvier 2019.
2 Politico, 23 février 2016.
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