Royaume-Uni: le Parlement rejette à nouveau l'accord de May sur le Brexit
Par Robert Stevens
WSWS, 14 mars 2019
La Première ministre britannique Theresa May a perdu un autre vote parlementaire mardi soir sur son projet d'accord de retrait de l'Union européenne (UE). Les députés ont voté contre par 391 voix contre 242, soit une majorité de 149.
À seulement 16 jours de la date prévue pour la sortie du Royaume-Uni de l’UE, aucun accord n'a été conclu sur les relations commerciales entre les deux après le Brexit.
C'était la deuxième défaite écrasante de May dans un vote qualifié de «vote significatif» par les députés. En janvier, son accord avait été rejeté avec une majorité de 230 voix, 432 députés votant contre, le plus fort vote parlementaire de l'histoire contre un premier ministre en exercice.
Le vote de mardi était la quatrième pire défaite jamais subie par un gouvernement britannique. Parmi ceux votant contre May il y avait cette fois 75 députés conservateurs «pro-Brexit irréductibles» et les 10 députés du Parti démocrate-unioniste (DUP) d’Irlande du Nord, dont dépend le gouvernement pour sa majorité parlementaire.
Après la défaite de janvier, May avait promis aux députés de chercher à obtenir des concessions de la part de l'UE. Un groupe important du Parti conservateur, jusqu’à un tiers de ses députés, organisé au sein du Groupe de recherche européen (GRE), s'oppose à la section de l'accord de May qui prévoit un « backstop » (filet de sécurité) pour l'Irlande du Nord qui doit garantir un commerce sans droits de douane avec la République d'Irlande, membre de l'UE. Le «backstop» maintient le Royaume-Uni dans le cadre des règles douanières de l'UE, avec des différences minimes de réglementation entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni.
Dans l'intervalle, May n'a obtenu aucune concession significative de la part de l'UE. Lundi, quelques heures avant le vote, elle a annoncé une avancée décisive dans les négociations de dernière minute à Strasbourg avec le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Le Daily Mail, pro-May et pour un Brexit doux (gardant l'accès au marché unique européen) a publié une photo à la une du négociateur de l'UE sur le Brexit, Michel Barnier, en train d’embrasser May comme preuve d'une « avancée sur un accord de Brexit […] scellé d'un baiser».
Mais le texte de l'Accord de retrait est resté inchangé. Il a juste été convenu d’une déclaration unilatérale du gouvernement britannique définissant dans un langage torturé le « backstop » comme un «instrument interprétatif commun». Ni le Royaume-Uni ni l’UE n’avaient l’intention de considérer le « backstop » comme permanent, dit la déclaration. May a également rapporté une déclaration politique commune affirmant que le Royaume-Uni et l'UE travailleraient à la mise en place d'une nouvelle relation commerciale d'ici 2020, dans l’espoir de rendre le « backstop » inutile.
Avant le vote, le procureur général de May, Geoffrey Cox, a déclaré devant le Parlement que, bien que les garanties de May aient réduit « le risque que le Royaume-Uni soit maintenu indéfiniment et involontairement » [dans l’UE], le risque juridique d'être lié à l'UE après le Brexit « reste inchangé ». Si un accord commercial entre le Royaume-Uni et l'UE n'a pas pu être conclu après le Brexit, le Royaume-Uni n'aurait «aucun moyen internationalement licite» de quitter le « backstop » sans l'accord de l'UE.
Les avocats employés par les députés conservateurs du Groupe européen de recherche sur le Brexit (GER) ont déclaré que les nouvelles garanties « ne modifieront pas de manière significative la position dans laquelle se trouverait le Royaume-Uni s'il devait ratifier l'accord de retrait ». Le DUP a déclaré qu’il rejetait toujours l’accord car « le progrès réalisé n’était pas suffisant jusqu’à là ».
La principale chambre du Parlement était à moitié vide lorsque May a ouvert le débat de mardi, une marque de mépris à son égard de la part des députés. Le verdict du Financial Times fut que May avait «perdu le contrôle du Brexit après que son accord remanié ait été rejeté à une écrasante majorité de 149 voix […], mettant ainsi son autorité en lambeaux».
Après sa défaite, May a confirmé que de nouveaux scrutins seraient organisés sur le Brexit mercredi et jeudi. Un « vote libre » (sans contrainte disciplinaire des partis) devait avoir lieu hier soir sur la question de savoir si le Royaume-Uni devait ou non sortir de l'UE par un Brexit «sans accord». May a dû faire cette concession, étant donné qu'une grande partie des conservateurs anti-UE se seraient de toute façon révoltés contre elle. Le partisan du Brexit bien en vue, Boris Johnson, a déclaré dans le débat que « l'accord de May était caduque ». Une sortie sans accord de l'UE était « la seule issue sûre », a-t-il ajouté.
Les députés de tous les partis devraient rejeter massivement un Brexit «sans accord». Par conséquent, un autre vote aura lieu jeudi pour permettre aux députés de demander à l’UE une extension du processus formel de sortie de l'UE au titre de l'article 50.
L'aile dominante de l'élite dirigeante pour le maintien dans l’UE voit dans un report un pas vers son objectif d'un second référendum sur l'adhésion à l'UE visant à inverser le résultat favorable à une sortie de 2016. Mais il n’existe actuellement aucune majorité au Parlement favorable à un second référendum, et de nombreux députés travaillistes représentant des circonscriptions ayant fortement soutenu le Brexit risquent de défier la discipline du parti si le leader travailliste Jeremy Corbyn en impose un.
Les huit députés travaillistes pro-UE qui ont récemment quitté le parti pour former le Groupe indépendant au Parlement estiment que leur fonction principale est d’empêcher que la crise du Brexit ne donne au Labour l’occasion de remporter des élections générales sous Corbyn. Ils collaborent avec ensemble des partis pour faire en sorte que le Royaume-Uni reste dans l'UE.
Corbyn a tout mis en œuvre pour contrôler la crise politique à laquelle l'impérialisme britannique est confronté et pour permettre une solution dans «l'intérêt national». « L'accord de May est clairement mort » et « une sortie sans accord doit être retirée des options », a-t-il insisté après le vote. Il a appelé la « Chambre à se réunir » pour empêcher May de « nous menacer tous du danger du non-accord, sachant pertinemment les dommages que cela va causer à l'économie britannique ».
Corbyn a déclaré que le Labour présenterait à nouveau des propositions pour « une union douanière négociée, l'accès aux marchés et la protection des droits ».
Sans aucune mention d'un second référendum, il a timidement suggéré que « le moment est peut-être venu d'organiser des élections générales » afin que « les gens puissent choisir leur gouvernement ».
L'impasse au parlement traduit la position extraordinairement affaiblie de l'impérialisme britannique sur la scène mondiale. S'adressant à Sky News, le conservateur pro-européen Dominic Grieve a averti que la crise à laquelle la classe dirigeante britannique serait confrontée ne ferait que s'aggraver dans les prochaines années.
S'opposant à un Brexit « sans accord », il a déclaré: « Ce qui va arriver, c'est que dès notre sortie de l’UE le débat reprendra sous une forme tout aussi débilitante, mais alors que le Royaume-Uni sera vraiment affaibli dans son statut international, n’étant plus dans l'UE, un quémandeur en termes de négociation pour la future relation [avec l’UE] et avec un parlement profondément divisé, et dans mon cas les conservateurs profondément divisés, mais Labour est tout aussi divisé et incapable de parvenir à un accord, et nous devrions éviter cela. »
Le refus de l'UE de rien concéder de significatif représente un resserrement des poucettes par les puissances européennes. Cela a été confirmé dans une lettre de Juncker au président du Conseil européen, Donald Tusk, précisant que si le Royaume-Uni était toujours dans l'Union européenne à la fin du mois de mai, il serait obligé de participer aux élections européennes prévues pour le 23 mai.
Des porte-parole de Tusk et Jean -Claude Juncker ont publié un communiqué déclarant: «Du côté de l'UE, nous avons fait tout ce qui était possible pour parvenir à un accord… Compte tenu des garanties supplémentaires fournies par l'UE en décembre, en janvier et hier, il est difficile de voir ce que nous pouvons faire de plus. S'il existe une solution à l'impasse actuelle, elle ne peut être trouvée qu'à Londres ».
Le Brexit est une des manifestations de l'éclatement de l'Union européenne dans le contexte d’une guerre commerciale grandissante et d’une intensification des conflits inter-impérialistes. Il n’existe aucune issue qui puisse éviter à l’impérialisme britannique de continuer de plonger lors d’une tourmente au plan mondial.
(Article paru d’abord en anglais le 13 mars 2019)
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