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La liberté d’informer selon LREM : chronique d’un pouvoir autoritaire (Acrimed)

par Pauline Perrenot et Benjamin Lagues 6 Mai 2019, 08:49 LREM Fake news Médias Censure France

En juin 2018, nous publiions une chronologie des différentes déclarations, décisions et mesures législatives, portant atteinte à l’indépendance des médias ainsi qu’à la liberté d’informer, à l’initiative d’Emmanuel Macron et de La République en marche. Actualisée en février 2019, en voici le troisième volet, qui couvre les mois de mars et avril 2019. Cette chronologie permet de rendre compte de l’accumulation de ces attaques, témoignant d’un souverain mépris pour le journalisme et pour son indépendance, d’une intolérance à la critique et d’une volonté obsessionnelle de contrôle de la production médiatique. Et de rappeler d’où viennent les menaces les plus pressantes et systématiques vis-à-vis de la liberté d’informer…

 

Avril 2019 : Nouvelles violences policières contre les journalistes lors de l’acte 23 des gilets jaunes, samedi 20 avril. Avec une dramatique montée en puissance de la répression : « À Toulouse, plusieurs journalistes ciblés par la police, blessés, et dont le matériel fut saisi. Une équipe télé délibérément visée par un canon à eau. À Paris, coups de pieds, insultes, entraves à la captation vidéo. Plusieurs journalistes attestent de blessures, visés par des tirs de LBD40, des tirs de gaz lacrymogènes, touchés par des grenades de désencerclement. Deux journalistes indépendants, couvrant les mouvements sociaux depuis des années, interpellés », écrivions-nous dans un communiqué publié suite à cette malheureuse journée pour la liberté de la presse.

En réponse à l’arrestation du journaliste Gaspard Glanz, ce samedi 20 avril 2019, et à son interdiction d’être présent à Paris durant 6 mois, ce qui l’empêche de fait de réaliser son travail de journaliste, Christophe Castaner a déclaré sur France Info : « Ce n’est pas parce qu’on met une go-pro sur un casque et qu’on se revendique journaliste qu’on a une impunité. »Lundi 29 avril, le tribunal correctionnel de Paris a finalement levé le contrôle judiciaire du journaliste, reconnaissant « l’irrégularité de l’ordonnance […] en raison de l’absence de motivations » indique Libération, relayant l’AFP.

 

Avril 2019 : Le ministère des Armées a porté plainte contre deux journalistes du site Disclose. Leur tort ? Avoir révélé dans une enquête que des armes françaises étaient bien utilisées au Yémen, contrairement à ce qu’affirmait le gouvernement. Et plus précisément, « un rapport classé “confidentiel défense” documentant l’usage des armes vendues par la France à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis dans la guerre au Yémen », comme l’indique un communiqué de solidarité signé par plus de trente sociétés de journalistes.

Pour avoir simplement fait leur travail, Geoffrey Livolsi et Mathias Destal (Disclose), de même que Benoît Collombat (cellule d’investigation de Radio France), ont appris le 24 avril leur convocation par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour « compromission du secret de la défense nationale » dans le cadre d’une enquête ouverte par le parquet de Paris. Ils risquent cinq ans de prison et 75 000 euros d’amendes.

 

Avril 2019 : Le parquet du Mans a ouvert une enquête pour « vol en réunion » suite à l’action de quelques militants d’Alternatiba dans l’Hôtel de ville de Rouillon (Sarthe), au cours de laquelle ils ont décroché un portrait d’Emmanuel Macron. Deux journalistes locaux, l’un travaillant pour le Maine-Libre et l’autre comme correspondant de Ouest-France, ont couvert l’événement. Ils ont de ce fait été convoqués par la gendarmerie, le premier étant « soupçonné d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction de vol en réunion », ainsi que le rapporte un communiqué du SNJ. Le 4 avril, et après avoir dénoncé ces actes dans un article intitulé « Macron veut empêcher les journalistes de témoigner », Reporterre annonce que « les convocations de Bruno Mortier et Gaëtan Cruchet ont été requalifiées afin qu’ils ne soient plus entendus comme “soupçonnés”, mais comme “témoins”. » Et Hervé Kempf de poursuivre :

Si on laissait les autorités poursuivre les journalistes couvrant des actions militantes éventuellement délictueuses au motif qu’ils en seraient non les témoins, mais des acteurs, il ne serait simplement plus possible d’informer sur les luttes écologiques et sociales. Dans un contexte de répression judiciaire et policière accrue, mais aussi d’une offensive constante et discrète sur le droit d’informer (un récent épisode se joue sur Internet), il est plus que nécessaire de signifier que cette nouvelle atteinte à la base même du travail de journaliste — témoigner, relater, rendre compte — est tout simplement inacceptable.

Avril 2019 : À peine six mois après l’adoption de loi liberticide dite « relative à la lutte contre la manipulation de l’information » (ou loi anti fake-news), l’entourage proche de Macron s’illustre dans la falsification de l’information. Comme le rapporte le Canard Enchaîné du 3 avril [1], l’ex-conseiller spécial d’Emmanuel Macron, Ismaël Emelien « a admis devant les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale, le 16 janvier, avoir diffusé de fausses nouvelles sur des comptes Twitter anonymes. »Afin de garnir la défense de Benalla (prétendant que les manifestants qu’il a tabassés le 1er mai étaient des « casseurs »), Ismaël Emelien a ainsi « joint deux vidéos dans un même fichier. L’une que Benalla s’était procurée illégalement, montre ses victimes en train de lancer des projectiles sur les policiers ; l’autre a pour vedette un homme, étranger à l’affaire, poursuivant un policier avec une chaise à la main. Emelien a collé les deux et demandé au responsable de la “riposte” du parti présidentiel de diffuser le tout sur deux comptes anonymes ». Le Canard termine en citant l’intéressé (« Sur Twitter, c’est un peu la règle »), et en rappelant une déclaration de Sibeth Ndiaye, devenue depuis ministre et porte-parole de l’Élysée : « J’assume de mentir pour protéger le président de la République. »

Mars 2019 : Invité dans l’émission de Jean-Jacques Bourdin le 29 mars, le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin suggérait de supprimer la redevance télé : proposition a été faite au Premier ministre et à Emmanuel Macron. Ce serait une saignée de plus de l’audiovisuel public, comme l’a résumé Véronique Marchand, du SNJ-CGT France Télévisions lors de la manifestation « Urgence sociale dans les médias » le 2 avril, devant le ministère de la Culture :

France Télévisions est dans l’œil du cyclone depuis un bon moment. Sur le budget 2019, on nous retire 160 millions d’euros mais en fait, avec les diverses économies, on arrive à 400 millions d’ici 2022. Gérald Darmanin a lancé un ballon d’essai concernant la suppression de la redevance audiovisuelle. Oui, c’est un impôt de 1932 ; oui, tout le monde est d’accord pour revoir le financement du service public de l’audiovisuel, mais plutôt en pérennisant et en pluri-annualisant son budget. Ce n’est pas avec moins d’argent qu’on y arrivera. Nous sommes soumis à des injonctions contradictoires : on nous demande deux fois plus de programmes régionaux et trois fois plus d’information, mais en nous supprimant de la matière grise et des moyens. Une rupture conventionnelle collective est en négociation à France Télévisions et le gouvernement a demandé à l’entreprise de faire partir 2 000 personnes, qui ne seront pas toutes remplacées. Nous sommes déjà passés de 10 800 salariés à 9 500 [dont 8 600 CDI] en quelques années. La réalisation de l’émission « Thalassa » va partir au privé, « Un jour un livre » aussi… Ce qui se passe actuellement dans les médias n’est vraiment pas le meilleur service à rendre à la démocratie. Nous sommes tous associés dans un même combat.

Mars 2019 : Dans la revue Afrique contemporaine, un dossier sur le Mali critique vis-à-vis de l’intervention militaire française a été censuré, provoquant la démission de plusieurs spécialistes en sciences humaines [2]. Qui a sorti les ciseaux ? L’Agence française de développement (AFD), « une institution financière et gouvernementale qui, au fil des ans, a fini par concentrer un bon nombre d’outils et de moyens de la “coopération outre-mer” » et qui a la tutelle du contenu rédactionnel de la revue. Dans une tribune publiée le 27 mars sur Le Monde appelant à « l’indépendance des chercheurs », près de 200 universitaires affirment :

[Ce cas de censure] interroge la liberté d’expression académique sur des sujets sensibles, en particulier à propos d’un pays, le Mali, où l’armée française intervient massivement depuis 2013. Un tel réflexe de la part d’une agence de l’État questionne aussi la politique gouvernementale de mutualisation des moyens de l’action extérieure de la France. Qu’adviendrait-il de la recherche en sciences sociales sur les pays en développement si celle-ci était placée sous la tutelle d’un organisme qui répond directement aux ordres de l’Élysée ?

 

Mars 2019 : Dans le cadre d’une interview à Télé Loisirs publiée le 28 mars, Marlène Schiappa donnait un point de vue intéressant sur le journalisme d’investigation, et plus particulièrement sur les émissions « Cash investigation » et « Envoyé spécial » diffusées sur France 2 :

Je trouve que quand on montre sans cesse, sur le service public de surcroît, aux gens, des exemples de politiciens corrompus, d’hommes et de femmes politiques véreux, de gens qui détournent de l’argent, de gens haineux et magouilleurs, je crois qu’on installe dans l’esprit des gens “Wouah, ils sont tous comme ça”. Et je trouve que c’est un peu une forme de populisme de dire ils sont tous pourris.

La secrétaire d’État, que n’effraie jamais l’interventionnisme dans les médias, suggère ainsi une autre ligne éditoriale :

J’aimerais bien qu’on alterne et que de temps en temps il y ait de belles histoires et des prismes politiques. Que l’on parle des responsables politiques, qui s’engagent, souvent pour pas grand-chose, au service de l’intérêt général. Il y en a des milliers.

Mars 2019 : Le Parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire contre le site Lundimatin pour « provocation à commettre des atteintes volontaires à la vie ». Cette procédure fait suite à la condamnation du rappeur Nick Conrad, poursuivi pour avoir diffusé un clip intitulé « Pendez les bancs », et à qui Lundimatin avait donné la parole dans un article. La rédaction de Lundimatin et son équipe juridique ont réagi dans un communiqué publié le 27 mars, s’interrogeant sur le bien-fondé et la diligence de l’ouverture de cette enquête préliminaire [3].
 

Mars 2019 : L’avocat du gilet jaune Maxime Nicolle (surnommé Fly Rider), Juan Branco, dénonce sur Twitter un cas de censure mené conjointement par l’Élysée et Vincent Bolloré :

Citant un article du Huffington Post, Juan Branco rappelle que quelques jours auparavant, « Hanouna lui aussi a fait part publiquement d’appels venant de l’Élysée afin de faire annuler ses émissions sur les gilets jaunes. »

Pour poursuivre la chronologie de ces attaques, de mai 2017 à février 2019, rendez-vous sur le deuxième volet.

Source : ACRIMED, Benjamin Lagues, Pauline Perrenot,

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