Femmes amérindiennes assassinées : ce génocide qui embarrasse l’Amérique du Nord
Par Margaret Moss*
The Conversation
En tant qu’Amérindienne récemment arrivée au Canada, j’ai été attristée de constater que le racisme systémique et insidieux dont sont victimes les femmes et les filles autochtones aux États-Unis se manifeste également de l’autre côté de la frontière. Ma nouvelle résidence provinciale, la Colombie-Britannique, compte la plus forte proportion de femmes et de filles autochtones du Canada assassinées et disparues.
J’ai encore besoin de temps pour évaluer et assimiler le rapport final sur l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées publié la semaine passée, et intitulée Réclamer notre pouvoir et notre place. Le rapport compte plus de 1 200 pages et comprend plus de 230 recommandations.
Je me réjouis qu’au Canada un tel effort ait été accompli et qu’après un travail de longue haleine, un tel comité et son rapport aient vu le jour, et aient été salués publiquement, courageusement.
Cela n’a certainement pas été le cas aux États-Unis qui ont brillé par un manque d’indignation morale.
Le rapport a en effet conclu non sans fracas et après un long cheminement que les meurtres et disparitions de femmes amérindiennes (y compris Métis et Inuit) constituaient un génocide.
Le terme a suscité une forte controverse au Canada.
Peut-être que cela secouera l’opinion et la sortira de leur complaisance.
Aux États-Unis, une femme amérindienne sur trois est violée au cours de sa vie
Les meurtres et les disparitions de femmes et de filles autochtones se produisent à un rythme effarant des deux côtés de ce que les Premières Nations ont appelé la Medicine Line, frontière entre les États-Unis et le Canada.
Aux États-Unis, les niveaux de violence envers les femmes amérindiennes et autochtones de l’Alaska sont beaucoup plus élevés que dans la population générale.
Dans de nombreuses réserves et comtés, les taux d’homicides parmi ces femmes sont plus de 10 fois supérieurs à la moyenne nationale.
Selon un rapport de février 2017 du National Congress of American Indians, une femme amérindienne ou autochtone d’Alaska sur trois est violée au cours de sa vie ; 86 % des auteurs sont habituellement des non-Indiens.
Les auteurs d’infractions sont rarement arrêtés, poursuivis ou arrêtés. Et cette information ou épidémie est rarement rapportée dans les médias.
Vide juridique
Les causes profondes, bien qu’elles soient largement semblables à celles que l’on trouve au Canada, sont également enchâssées dans le droit américain. Les États-Unis se sont dotés de lois datant des années 1880, permettant l’éclatement progressif des territoires, leur occupation, leur appropriation par des colons non-Indiens ainsi que la libre circulation de ces derniers dans les réserves.
Certains vides juridiques, par exemple celui interdisant des tribunaux autochtones de juger des non-Autochtones. Par ailleurs la police autochtone ne peut détenir au-delà d’un an des non-Autochtones et n’a pas juridiction sur ces individus. Ces phénomènes ont permis à des hommes de commettre des agressions sexuelles et des viols dans les réserves sans être réellement inquiétés. Certains ont requalifié de « chasse ouverte »» sur les femmes autochtones. Le sujet a été notamment traité par l’universitaire Amy Casselman.
L’impunité relative de ces crimes s’est traduit par des séries de meurtres ou de disparitions fréquentes, non élucidés.
Une autre raison expliquant l’ampleur de ces crimes est l’insuffisance des ressources policières au sein des réserves. Ma tribu, par exemple, connue sous le collectif des Nations Mandan, Hidatsa et Arikara, les Trois Tribus associées, est propriétaire d’une réserve d’un million d’acres (490 000 hectares), ce qui équivaut à un petit État. Les forces de police tribales sont partagées d’un extrême à l’autre, avec seulement deux douzaines d’agents de police pour couvrir cette vaste zone. Cette situation est similaire à celles qui existent dans d’autres réserves américaines.
Abandon d’un projet de loi pour protéger les victimes
Contrairement au Canada, il n’y a pas eu d’enquête nationale aux États-Unis. Très peu a été fait pour s’attaquer à ces réalités choquantes et tristes au niveau fédéral. L’an dernier, le « Savanna’s Act » proposait que le ministère de la Justice mette à jour les bases de données fédérales relatives aux cas d’Amérindiens disparus et assassinés afin d’y inclure les renseignements sur l’inscription ou l’affiliation tribale des victimes.
La loi visait également à créer des protocoles et des formations pour les forces de l’ordre et autres, ainsi que des consultations avec les tribus.
Pour diverses raisons, le projet de loi n’a pas été adopté par les deux chambres et a été bloqué.
Exiger une action nationale
Mais il y a de l’espoir. Les législateurs des États américains, en particulier ceux devant gérer des réserves, se sont manifestés. Le représentant de l’état du Buffalo a déjà présenté deux projets de loi sur les peuples autochtones disparus et assassinés.
Le Minnesota, le Montana, le Nevada, le Dakota du Sud et l’État de Washington ont également adopté des lois pour s’attaquer aux violences qui ravagent la vie des femmes et filles autochtones.
Le projet de loi introduit les concepts les plus fondamentaux de la collecte de données exactes et à jour, du partage de ces données avec le FBI et d’autres bases de données, ainsi que le projet d’une formation ciblée sur les cas de disparitions et de meurtres mentionnés dans l’ Enquête nationale canadienne à l’intention des services de police et d’autres intervenants.
Bien que ces développements soient louables, ces États ne représentent que six des 34 États qui détiennent ensemble 573 nations tribales reconnues par le gouvernement fédéral. Quant au Congrès américain et aux autres dirigeants fédéraux, ils devraient prendre exemple sur le Canada afin d’apporter une réponse nationale à ce que je considère comme une épidémie.
Une éducation continue au Canada
Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées propose que les éducateurs et les établissements d’enseignement supérieur informent le grand public de cette crise et présentent les causes profondes de la violence qu’elles subissent.
Cette éducation doit inclure les vérités historiques et actuelles sur le génocide contre les peuples autochtones par le biais des lois, des politiques et des pratiques coloniales des États.
Il devrait inclure, sans s’y limiter, l’enseignement de l’histoire, du droit et des pratiques autochtones du point de vue des Autochtones.
Un guide à l’intention intitulé Leurs voix nous guideront devrait également être largement diffusé afin d’enseigner aux plus vulnérables, adolescents et enfants, les fondements du respect de soi et des autres et les sensibiliser aux violences dont ils peuvent faire l’objet.
En tant qu’Américaine d’ascendance indienne qui a vécu des deux côtés de la Medicine Line, j’espère vivement que les deux pays s’engageront bientôt pleinement dans l’apprentissage de ce fléau horrible et pourtant évitable de la violence envers mes sœurs, et qu’ils prendront les mesures décisives nécessaires pour l’éliminer.
Margaret Moss
* Margaret Moss : Professeur agrégé et directeur de la House of Learning des Premières nations, Université de la Colombie-Britannique
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