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Les États-Unis en action sur le marché iranien du pétrole ou un exemple de politique étrangère irrationnelle (Consortium News)

par Patrick Lawrence 3 Août 2019, 06:22 Iran Pompeo USA Pétrole Impérialisme Trump

Les États-Unis en action sur le marché iranien du pétrole ou un exemple de politique étrangère irrationnelle (Consortium News)

Patrick Lawrence évalue le potentiel retour de flamme de l’annulation de Pompeo pour 8 importateurs majeurs des dérogations quant aux sanctions américaines.

Une défaite décisive dans une bataille de longue haleine avec des cerveaux de la politique étrangère

L’annonce faite la semaine dernière par le Secrétaire d’État Mike Pompeo, selon laquelle aucun importateur de pétrole iranien ne bénéficiera désormais de dérogations quant aux sanctions américaines, est aussi risquée que malavisée. Le retrait des dérogations à compter de ce jeudi donne effectivement à huit importateurs dépendants du brut iranien – Inde, Japon, Corée du Sud, Chine, Turquie, Taïwan, Italie et Grèce – un préavis de 10 jours pour revoir leurs achats pétroliers. C’est maintenant une stratégie globale : L’intention est de couper l’accès de l’Iran à tout marché pétrolier dans le cadre de la campagne de « pression maximale » de l’administration contre Téhéran. « Nous allons vers zéro », a déclaré M. Pompeo lorsqu’il a dévoilé cette nouvelle politique.

Personne ne va vers zéro. La décision de l’administration nuira encore davantage à l’économie iranienne, certes, mais peu de gens en dehors de l’administration pensent qu’il est possible d’isoler l’Iran aussi complètement que Pompeo semble l’espérer. La Turquie a immédiatement rejeté les « sanctions et impositions unilatérales sur la façon de conduire les relations avec ses voisins », comme l’a dit le ministre des Affaires étrangères Mevlüt Çavusoglu dans un message Twitter. La Chine pourrait faire de même, mais moins brutalement. D’autres importateurs de pétrole sont susceptibles d’envisager des opérations de troc, des transactions en monnaie locale et d’autres « solutions de contournement » similaires. Dans le voisinage immédiat, l’Irak ignore jusqu’à présent les demandes des États-Unis de cesser d’acheter du gaz naturel et de l’électricité à l’Iran.

Pompeo se joint à une réunion de la diaspora iranienne à Dallas, le 15 avril 2019. (Département d’État/Ron Przysucha via Flickr).

 

Aperçus sur un abus de pouvoir

Il y a quelques enseignements à tirer de ce cas inhabituellement agressif d’abus de pouvoir.

Tout d’abord, le nouveau tournant dans la politique de l’administration vis à vis de l’Iran semble marquer une défaite décisive pour le président Donald Trump dans sa lutte de longue date avec ses responsables de la politique étrangère. Il est maintenant très peu probable que Trump atteigne l’un ou l’autre de ses objectifs politiques, un certain nombre d’entre eux représentant des alternatives utiles aux stratégies étonnamment arbitraires avancées par Pompeo, John Bolton, conseiller à la sécurité nationale, et d’autres fanatiques de l’administration Trump.

Ainsi, affaibli par les enquêtes implacables sur le « Russia-Gate », le président a désormais peu de chances d’améliorer ses liens avec Moscou ou de négocier avec des adversaires comme l’Iran et la Corée du Nord, comme il s’en est longtemps fait l’avocat.

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a déclaré dimanche, lors d’une interview accordée à Face the Nation, que si les conditions étaient réunies, Téhéran serait ouverte à des négociations bilatérales. C’était la deuxième fois en une semaine que Zarif s’exprimait ainsi. Mais ceux qui entourent Trump, notamment Bolton et Pompeo, ont la certitude de pouvoir bloquer de telles éventualités – ou les saboter si elles avaient lieu, comme ils l’ont fait fin février, lors du deuxième sommet de Trump avec Kim Jong-un, le dirigeant de la Corée du Nord.

Deuxièmement, la politique étrangère de ce gouvernement a constamment adopté un aspect irrationnel qui pourrait être sans précédent dans l’histoire des États-Unis. C’est périlleux. L’hostilité quasi paranoïaque de l’administration envers Pyongyang et Moscou en est une illustration. Il en est de même quand il s’agit de s’aliéner, en toute indifférence des alliés de longue date de l’autre côté de l’Atlantique et en Asie. Depuis cette semaine, cependant, la politique de Pompéo, qui consiste à « aller jusqu’à zéro », fait de l’Iran le danger le plus immédiat.

 

Le goulot d’étranglement du golfe Persique

Des responsables iraniens, dont Zarif, menacent maintenant de fermer le détroit d’Ormuz, goulot d’étranglement du golfe Persique, si les pétroliers iraniens sont empêchés d’y passer. Il s’agit d’un avertissement indirect qui pourrait voir l’armée iranienne affronter la cinquième flotte américaine, qui opère dans le golfe et les eaux limitrophes.

Un autre danger auquel l’administration se retrouve aujourd’hui confrontée vient de la forte flambée du prix du pétrole. Conjuguées, les sanctions américaines contre le Venezuela et l’Iran visent à retirer du marché environ 2 millions de barils de pétrole par jour.

L’Arabie saoudite s’est engagée à compenser la perte d’approvisionnement, mais de nombreux analystes s’interrogent sur sa capacité à soutenir une augmentation de la production compte tenu de l’épuisement progressif de son champ de Ghawar, longtemps productif. La capacité de réserve des producteurs est déjà très faible. Faut-il prendre le risque d’une nouvelle crise pétrolière, compte tenu de l’essoufflement de l’économie mondiale ?

En Iran, Zarif : ouvert aux pourparlers bilatéraux. (YouTube)
 

Les responsables de la politique étrangère de Trump risquent aussi de se mettre à dos des alliés – la Corée du Sud, le Japon, l’Inde, les Européens – alors même que leur coopération sur de nombreuses autres questions politiques est nécessaire. Dans le cas de la Chine, l’administration met en péril les progrès d’un accord commercial presque achevé et compromet l’influence de Pékin sur la Corée du Nord.

Il y a d’autres cas qui démontrent l’indifférence apparemment totale de l’administration Trump à l’égard des dommages collatéraux et de l’animosité des alliés. Depuis que les États-Unis ont abandonné les accords de Paris sur le climat et l’accord de 2015 sur le programme nucléaire iranien, les Européens ont peine à contenir leur colère; ils sont maintenant ouvertement furieux que les des sanctions contre l’Iran se fassent plus sévères. Les Sud-Coréens, contrariés par la position intransigeante de Washington à l’égard de Pyongyang, cherchent maintenant les moyens de nouer des accords avec le Nord au mépris des nombreux degrés de sanctions imposées par l’ONU et les États-Unis.

La question est de savoir pourquoi la politique étrangère de cette administration est si déconcertante et relève de l’amateurisme. Question subsidiaire: Pourquoi le président s’entoure-t-il de conseillers politiques qui vont totalement à l’encontre de ceux de ses objectifs qui en valent la peine ?

Trump est arrivé à Washington sans être issu du corpus politique: c’est probablement là que commencent les réponses à ces questions. Le décideur new-yorkais avait un choix très limité à partir duquel il pouvait bâtir son administration. Son interminable problème avec le « Russia-Gate » l’handicape encore plus. Cette administration est l’une des plus opaques de l’histoire récente, ce qui fait que les certitudes quant à son fonctionnement interne sont difficiles à obtenir. Mais il est fort possible que Trump n’ait pas choisi son équipe de politique étrangère et que les membres de celle-ci lui aient été imposés.

Cependant, ses conseillers font maintenant partie de l’administration, ils forment une combinaison toxique de néoconservateurs, dont nombre proviennent de la Heritage Foundation, et des chrétiens évangéliques. Bolton est emblématique de la première, Pompeo de la seconde. C’est la couleur actuelle de la politique étrangère américaine.

 

Zélotes et Croisés

Les deux camps sont peuplés de fanatiques et de croisés; tous deux cultivent des visions du monde irrationnelles enracinées dans une idéologie et des positions extrémistes. L’obsession de Bolton est la restauration d’une suprématie américaine incontestée. On dit que Pompeo considère des adversaires tels que la Corée du Nord et l’Iran comme George W. Bush l’a fait : Les États-Unis sont dans une guerre de “fin des temps” avec Gog et Magog [référence à l’eschatologie biblique, NdT], manifestations bibliques du mal à l’étranger dans le monde.

Pour être clair, il y a plus de mal que de bien dans la façon de penser du président en matière de politique étrangère. Il était évidemment derrière la décision de déplacer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem ainsi que l’annonce en mars que Washington reconnaissait la juridiction israélienne sur le plateau du Golan.

« C’est très important stratégiquement pour la victoire, les sommets, parce que vous êtes très haut, très important », a déclaré Trump ce week-end. « Il y a cinquante-deux ans, cela a commencé [quand Israël a capturé le Golan en Syrie pendant la guerre de 1967] et je l’ai fait rapidement. C’est fait. C’est fini. »

Il est peu probable que l’on fasse quoi que ce soit en ce qui concerne le déménagement de l’ambassade et la décision concernant le plateau du Golan. Tous deux sont diamétralement contraires au droit international et tous deux ont considérablement entamé la crédibilité des États-Unis au Moyen-Orient. En bref, Trump fait ses propres erreurs de calcul, et elles sont aussi graves que celles faites par l’axe Pompeo-Bolton. Il y a peu de sages dans cette administration.

En même temps, le désir de Trump de négocier avec ses adversaires – Russie, Iran, Corée du Nord – est entièrement défendable. Mais la politique iranienne « vers le degré zéro » qui entrera en vigueur cette semaine peut être interprétée comme une preuve de l’échec du président à contrer la politique étrangère des manichéens qui l’entourent.

Il y aura peut-être des escarmouches à venir, mais la bataille est terminée. Nous devons maintenant regarder les idéologues extrémistes accélérer le déclin déjà évident de l’Amérique en tant que puissance mondiale – ainsi que son isolement croissant.

Patrick Lawrence, correspondant à l’étranger depuis de nombreuses années, principalement pour l’International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, auteur et conférencier. Son livre le plus récent est « Time No Longer : Americans After the American Century » (Yale) [« La fin d’une époque: les Américains après le siècle Américain » (Yale), NdT]. On peut le suivre à @thefloutist. Son site Web est www.patricklawrence.us. Soutenez son travail via www.patreon.com/thefloutist.

Source : Consortium News, Patrick Lawrence, 29-04-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

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