Dans une allocution prononcée mercredi soir devant l’Assemblée nationale, le premier ministre français Édouard Philippe a annoncé une série de mesures d’austérité de grande envergure qui ciblent notamment les pensions et les allocations de chômage, ainsi que de nouvelles attaques contre les immigrants et les musulmans.
L’annonce d’un tel discours s’est fait immédiatement après le vote des élections européennes du 26 mai. Il s’agirait d’un «acte II», correspondant à la seconde moitié du mandat de cinq ans du président Emmanuel Macron. Le parti de Macron (LREM) a perdu de justesse le vote européen au profit du Rassemblement national (RN) d’extrême droite de Marine Le Pen. Le RN a su exploiter la colère sociale face aux inégalités et aux mesures d’austérité imposées par Macron et son prédécesseur du Parti socialiste (PS), François Hollande.
Les déclarations de Philippe montrent clairement que la réponse du gouvernement Macron sera de se déplacer davantage vers la droite. Il se trouve confronté à une opposition croissante de la gauche dans la classe ouvrière. Cela s’est traduit par une augmentation des grèves et des protestations du personnel hospitalier et des enseignants ces derniers mois ainsi que des protestations contre les inégalités sociales par les gilets jaunes. Devant ces offensives, le gouvernement Macron est déterminé à répondre aux exigences de l’élite financière qui veut plus de richesse dans ses poches. La politique esquissée mercredi par Philippe consistait à poursuivre la destruction des droits sociaux acquis par la classe ouvrière française au XXe siècle.
Son gouvernement adopte également les politiques anti-immigrées de la RN pour attiser l’hystérie xénophobe et détourner la colère sociale produite par ses politiques.
La mesure la plus significative annoncée par Philippe est l’allongement effectif de l’âge de la retraite de deux ans. Le gouvernement introduira un nouvel «âge d’équilibre» de 64 ans tout en maintenant l’âge minimum légal de la retraite à 62 ans, avec des «incitations à travailler plus longtemps» en réduisant les prestations de retraite pour les moins de 64 ans. Cela forcera les travailleurs déjà à la retraite à retourner à des emplois de misère pour survivre.
«Chacun pourra faire son propre choix, en toute liberté et responsabilité», a déclaré Philippe, avec toute l’hypocrisie grandiloquente de la bourgeoisie française. Les personnes âgées seront poussées à travailler plus longtemps, avec l’annonce d’un «grand plan d’emploi pour les aînés».
Philippe a également fait référence à une restructuration du système national des retraites qui doit être annoncée cette année. Elle supprimera les 42 droits à pension différents selon le secteur et l’employeur, et les remplacera par un système national unique de retraite. Les prestations de retraite plus généreuses obtenues par certaines catégories de travailleurs, notamment les cheminots nationaux, les enseignants et d’autres employés du secteur public, seront ainsi réduites à néant. C’est un système de retraite «par points» qui doit remplacer les plans actuels. La valeur du point peut être arbitrairement modifiée par l’État en fonction de ses intérêts financiers jusqu’au moment où un travailleur prend sa retraite.
Les prestations de chômage seront également réduites. «Le deuxième objectif de cette réforme est de faire en sorte que le travail soit plus rémunérateur que l’inactivité, a-t-il dit. Si c’est «en général [déjà] le cas», il y a des «situations où l’indemnité mensuelle de chômage est supérieure au salaire mensuel. Nous devons y mettre fin».
Le 7 juin, Les Échos a publié un rapport exclusif sur les plans du gouvernement qui visent à réduire les prestations de chômage, basé sur les commentaires de fonctionnaires non identifiés. Tous les détails seront dévoilés le 17 juin. Le plan comprendra, semble-t-il, un relèvement des critères d’admissibilité pour recevoir des paiements de chômage. À l’heure actuelle, un travailleur doit avoir un contrat d’emploi pendant l’équivalent de quatre mois au cours des 28 mois précédents. Cette durée sera portée à au moins six mois, mais au cours des 24 mois précédents.
L’Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic) a déclaré que même si le délai n’est pas porté de 28 à 24 mois, l’augmentation de quatre mois à six mois des besoins en travail annulera automatiquement les prestations pour 236.000 chômeurs, soit 11 pour cent du nombre total des chômeurs indemnisés.
Ces attaques sociales s’ajoutent à des réductions globales d’impôts qui totalisent quelque 5 milliards d’euros par an. Les détails ne sont pas encore publics et il ne fait aucun doute que davantage de concessions seront accordées aux riches et aux couches supérieures de la classe moyenne. Philippe a seulement déclaré que pour les personnes qui se situent dans la première et la deuxième tranche de revenus les plus faibles, les réductions entraîneraient des réductions dérisoires de 350 euros et 180 euros, respectivement. En même temps, l’impôt foncier, qui est calculé sur la valeur foncière d’une personne est supprimé. Cela profite de façon disproportionnée aux riches puisque: plus on paye, plus on économise.
Il y aura des coupes dans des fonds sociaux dont bénéficient les couches les plus vulnérables de la classe ouvrière. En même temps, Philippe a réaffirmé l’engagement de son gouvernement à fournir des milliards d’euros pour financer les forces militaires et policières responsables de réprimer l’opposition de la classe ouvrière. «Garder le contrôle, c’est avant tout garantir l’ordre public, et l’une de nos premières décisions a été de lancer un grand programme de recrutement et d’équipement de la police», a déclaré Philippe. L’engagement de Macron de porter les dépenses militaires à 2 pour cent du PIB conformément aux objectifs de l’Union européenne est «un effort massif», a-t-il dit, «mais il est nécessaire d’être cohérent».
Le contenu autoritaire du discours de Philippe est apparu le plus clairement lorsqu’il s’est lancé dans une diatribe contre les immigrés, les demandeurs d’asile et la croissance de l’«islamisme».
Ses déclarations allaient dans le sens des mensonges de l’administration Trump et des partis d’extrême droite sur le plan international. Selon ces affabulations, les travailleurs immigrés qui fuient la guerre et la pauvreté causées par les politiques de l’impérialisme européen et américain et qui exercent leur droit légal à demander asile «abusent» du «système».
«Le nombre de demandeurs d’asile a chuté de 10 pour cent en Europe l’année dernière, mais continue de baisser en France de l’ordre de 22 pour cent». La France doit «prendre le contrôle de ces flux migratoires», a-t-il déclaré. «Le droit d’asile est un trésor», dit Philippe, «mais nous devons lutter avec fermeté contre les abus… Nous devons nous assurer que les demandeurs d’asile choisissent la France pour ses valeurs, pour son histoire, pour sa langue. Mais non parce que notre système est plus favorable que ceux mis en place par nos voisins en Europe».
Cela suggère que le gouvernement s’attaquera davantage aux conditions des immigrés en France, ce que Macron avait déjà suggéré à la suite des élections européennes. Le Monde a publié lundi un article intitulé «Nouvelle offensive de l’exécutif sur l’immigration», basé sur des déclarations anonymes de représentants du gouvernement Macron. Il a noté que lors d’une réunion interne la semaine dernière, le ministre de l’Intérieur a parlé «de la trop grande attractivité de la France» pour les immigrés.
Macron a tenu une réunion avec ses ministres le 30 avril, au cours de laquelle il a déclaré que «la question de l'immigration est de nouveau devant nous».
Philippe a annoncé que le gouvernement Macron organisera un débat annuel au Parlement sur «l’asile et l’immigration», dont la première édition aura lieu en septembre, car elle «touche aux fondements de notre souveraineté et de nos principes». Ce ne sera guère plus qu’une plate-forme de dénonciation des immigrés et d’incitation à la xénophobie par l’ensemble de l’establishment politique.
Le discours de Philippe était une démonstration de la trajectoire d’extrême droite de l’establishment politique en France et à l’étranger. La classe dirigeante est terrifiée par les luttes croissantes de la classe ouvrière contre plus d’une décennie d’attaques sociales et la préparation de grandes guerres. Sa réaction est de construire les forces d’un État policier, promouvoir le nationalisme, et faire des immigrés des boucs émissaires.
(Article paru d’abord en anglais le 13 juin 2019)
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