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Quand on rampe vers la tyrannie (Truthdig)

par Chris Hedges 28 Juin 2019, 11:25 Trump Tyrannie USA Impérialisme

Quand on rampe vers la tyrannie (Truthdig)

La destruction de l’État de droit, une action essentielle à l’établissement d’un État autoritaire ou totalitaire, a commencé bien avant l’arrivée de l’administration Trump. L’invasion de l’Irak et l’application d’une doctrine de guerre préventive par l’administration de George W. Bush étaient des crimes de guerre au regard du droit international. La surveillance continue et généralisée de la population par le gouvernement fédéral, un autre héritage de l’administration Bush, se moque de notre droit constitutionnel à la vie privée. Assassiner un citoyen américain sur ordre du pouvoir exécutif, comme l’a fait l’administration Obama en exécutant le religieux radical Anwar al-Awlaki au Yémen, annule le droit à une procédure régulière. L’annulation constante des droits constitutionnels par décret judiciaire – un tour de passe-passe juridique qui a permis aux entreprises d’acheter le système électoral au nom de la liberté d’expression – a transformé les politiciens des deux partis dominants en outils amoraux du pouvoir des entreprises. Les lobbyistes de Washington et des capitales des États rédigent des lois pour légaliser les boycotts fiscaux, détruire les règlements et la surveillance gouvernementale, injecter des sommes faramineuses dans la machine de guerre et accélérer le plus important transfert de richesse de l’histoire des États-Unis, celui qui a entraîné la spoliation du Trésor américain de milliers de milliards de dollars, à la suite de la fraude financière massive qui a déclenché la crise économique de 2008. Les élites dirigeantes, en défendant servilement les intérêts des entreprises, ont créé un système de gouvernement qui a en réalité refusé au citoyen l’usage du pouvoir de l’État.

 

Ce mépris de plusieurs décennies de la part des deux principaux partis politiques pour la primauté du droit et la dénaturation du gouvernement en serviteur des entreprises ont ouvert la voie au mépris flagrant de Donald Trump pour la légalité et la responsabilité. Il a rendu inévitable notre kakistocratie, gouvernée par les pires ou les moins scrupuleux (« kakistocratie » est dérivé des mots grecs kakistos, qui signifie pire, et kratos, qui signifie règle).

 

Les imbéciles, arnaqueurs, escrocs, théoriciens du complot, racistes, membres de la famille Trump, charlatans, généraux et fascistes chrétiens, qui tous voient souvent le pouvoir comme un moyen de s’enrichir aux dépens des contribuables, sont trop nombreux pour être énumérés ici. Il s’agit notamment de l’ancien ministre de la Santé et des Services sociaux Tom Price, d’Ivanka Trump, de Jared Kushner, du vice-président Mike Pence, du ministre du Trésor Steven Mnuchin, de l’ancien ministre de l’Intérieur Ryan Zinke (qui a accusé des « groupes terroristes environnementaux » des feux de forêt de 2018 en Californie, a loué des jets privés pour s’envoler à travers le pays et a ouvert des terres publiques à l’exploitation minière et gazière), de l’ancien administrateur de l’Agence de protection de l’environnement Scott Pruitt (qui a organisé des dîners somptueux avec les dirigeants des mines de charbon et des entreprises chimiques dont il a ensuite dérégulé les activités) et de Mitch McConnell, chef de la majorité au Sénat. Ce marécage moral contient aussi des personnages bizarres, à l’image de Svengali [personnage extrêmement manipulateur du roman Trilby de George du Maurier, NdT], qui entrent et sortent de l’ombre, comme Stephen Miller, Michael Flynn, Steve Bannon, Kellyanne Conway, Sarah Huckabee Sanders, Anthony « The Mooch » Scaramucci [« La sangsue », NdT] et Omarosa Manigault Newman, sans parler des maîtresses et stars du X payées, des avocats véreux et des directeurs de campagne incompétents et corrompus.

Au centre de cette cour de carnaval se trouve Trump, qui, si la primauté du droit était en place, aurait été destitué le premier jour de son mandat pour avoir violé la clause sur les émoluments de la Constitution ; en violant cette interdiction, ce chef de l’exécutif ratisse des millions auprès de fonctionnaires de gouvernements étrangers et de lobbyistes qui séjournent dans ses hôtels et stations balnéaires et utilisent son golf. Trump non seulement n’essaie pas de masquer le profit qu’il tire de sa charge, mais indique dans le matériel promotionnel de son entreprise que ceux qui séjournent dans ses propriétés peuvent obtenir une photo avec le président des États-Unis. Comme l’illustrent le rapport Robert Mueller et le mépris ouvert du procureur général William Barr pour le Congrès, Trump ne se donne même pas la peine de prononcer de belles paroles sur les exigences de la loi ou de la Constitution.

 

Les mécanismes qui avaient jadis rendu la démocratie possible ont fané et sont morts. Nous n’avons plus d’élections libres de tout contrôle corporatif, de véritable débat législatif, de presse indépendante fondée sur des faits vérifiables qui fait entendre la voix et les préoccupations des citoyens plutôt que de colporter des théories du complot comme le « russiagate » et faire la promotion d’interventions et occupations militaires désastreuses; nous n’avons plus d’institutions universitaires qui examinent et critiquent avec vigueur la nature du pouvoir, ou de diplomatie, négociation, détente et compromis. Gonflés par le sentiment de leur propre importance, enivrés par la capacité d’exercer le pouvoir policier et militaire, les despotes et leurs courtisans grotesques sont libérés par l’effondrement de l’État de droit pour mener des vendettas sans fin contre des ennemis réels et imaginaires jusqu’à ce que leur propre paranoïa et leur peur définissent la vie des gens qu’ils subjuguent. C’est là que nous sommes arrivés, non pas à cause de Trump, qui est le produit grotesque de notre démocratie en échec, mais parce que les institutions conçues pour empêcher la tyrannie ne fonctionnent plus.

Trump éviscérera le peu de garde-fous juridiques qui reste. Le Parti républicain, qui est devenu un centre de culte de la personnalité de Trump, ne l’arrêtera pas. La direction du Parti démocrate, qui pense que Trump sera une cible facile lors de l’élection présidentielle de 2020, une erreur stupide semblable à celle commise par Hillary Clinton lors de la campagne de 2016, ne le fera pas non plus. Le fait que les élites du Parti démocrate placent leur espoir de reprendre le pouvoir dans Joe Biden, une version masculine loufoque de Clinton, est un autre exemple de l’échec colossal du processus démocratique. Il montre à quel point les élites dirigeantes sont déconnectées des inégalités sociales croissantes, de la stagnation économique, de la souffrance, de l’impuissance et de la rage qui affectent plus de la moitié de la population.

Les anciennes formes de théâtre politique et l’idéologie dominante du néolibéralisme qui ont étayé les élites dirigeantes dans le passé ne fonctionnent plus. Pourtant, les campagnes présidentielles abrutissantes, commencées deux ans avant le vote et dépourvues de contenu significatif, dominent une fois de plus les ondes avec des slogans vides de sens et les postures de personnalités politiques soigneusement présentées. Ce burlesque est de l’anti-politique déguisé en politique. Sa fourberie, évidente pour la plus grande partie du pays, est ce qui a rendu les railleries grossières et le tournage en ridicule du système par Trump si attrayants pour les électeurs trahis. Trump peut être inepte, vil et un escroc, mais dans ce système d’anti-politique, vous ne votez pas pour ce que vous voulez, mais contre ceux que vous détestez. Et les élites établies, les Bush et les Clinton, sont détestés bien plus que Trump par la majeure partie du pays.

 

Les milliards de dollars en fonds de campagne fournis aux candidats sélectionnés par les riches et les entreprises, comme l’a écrit le philosophe politique Sheldon Wolin, ont créé, avant l’arrivée de Trump dans le paysage politique, « une hiérarchie qui calibre, en termes strictement quantitatifs et objectifs, les intérêts particuliers prioritaires. L’ampleur de la corruption qui se produit régulièrement avant les élections signifie que la corruption n’est pas une anomalie mais un élément essentiel du fonctionnement d’une démocratie gérée. Le système solidement enraciné des pots-de-vin et de la corruption n’implique aucune violence physique, aucun soldat en chemise brune, aucune coercition de l’opposition politique. Bien que les tactiques ne soient pas celles des nazis, le résultat final est l’équivalent inversé. L’opposition n’a pas été liquidée, mais rendue impuissante ».

Depuis des décennies, la culture de masse est inondée de mensonges habilement diffusés par l’industrie des relations publiques et de la publicité. Ces mensonges en appellent à notre vanité et à notre sentiment d’insécurité. Ils sont utilisés pour nous vendre des produits ou des expériences qui promettent un bonheur inatteignable. Ces formes de manipulation, qui confondent ce qu’on nous fait ressentir avec le fait de savoir, ont également été adoptées par les partis politiques avant que Trump ne gagne la présidence. « Le résultat » écrit Wolin dans « Democracy Incorporated : Managed Democracy and the Spector of Inverted Totalitarianism » [« Démocratie SA : La démocratie gérée et le spectre du totalitarisme inversé », NdT] « a été la pollution de l’écologie de la politique par la politique inauthentique d’un gouvernement faussement représentatif, prétendant être ce qu’il n’est pas, à savoir compatissant et conservateur, pieux et moral ».

Le film d’Armando Iannucci « La mort de Staline », une brillante comédie noire, capture ce qui se passe lorsque des narcissiques, des bouffons et des gangsters intéressés font la loi et gouvernent un État. Une fois que le pouvoir est basé uniquement sur la loyauté aveugle à l’égard d’une personne et sur les caprices, tout, y compris le meurtre en bloc, devient possible. Les droits sont transformés en privilèges qui peuvent être révoqués instantanément. Les mensonges remplacent la vérité. Les opinions remplacent les faits. L’histoire est effacée et réécrite. Le culte du leadership remplace la politique. La paranoïa s’empare d’une élite dirigeante qui se nourrit de théories du complot, voit des ennemis mortels partout et vit de plus en plus dans un univers hermétiquement clos et non réel. La force devient le seul langage utilisé par les despotes pour communiquer avec une population rétive et le monde extérieur.

 

Les régimes despotiques ne s’intéressent pas aux nuances, à la complexité et aux différences et sont souvent incapables de les comprendre. Ils se perpétuent à travers des drames constants et des croisades sans fin contre des ennemis internes et externes qui sont présentés comme des menaces existentielles pour la nation. Quand on ne trouve pas de vrais ennemis, on les invente. La persécution des éindésirablesé commence avec les diabolisés – les immigrés, les sans-papiers, les pauvres de couleur et les musulmans, ainsi que les personnes sous occupation au Moyen-Orient ou les socialistes au Venezuela – mais ces éindésirablesé ne sont que le début. Bientôt, tout le monde sera suspect.

Les décisions capricieuses et arbitraires de Trump de retirer ceux qui l’entourent du pouvoir maintiennent ses courtisans constamment sur le fil du rasoir. L’instabilité alimente les intrigues vicieuses de cour qui caractérisent tous les despotismes. Le cercle intime de Trump, conscient que le seul critère pour rester au pouvoir est une loyauté exagérée et obséquieuse, en parfaite harmonie avec ses humeurs lunatiques et ses crises de colère, base toutes ses décisions sur le plaisir du despote. Cela conduit à une mauvaise gestion extrême et à la corruption.

Les capitalistes industriels qui détiennent le pouvoir réel considèrent Trump comme un embarras. Ils préféreraient donner un visage plus digne à l’empire américain, un visage comme celui de Biden, qui fera leur jeu avec le décorum d’un président traditionnel. Mais ils travailleront avec Trump. Il leur a accordé d’énormes réductions d’impôt, il sabre dans ce qui reste de la surveillance et de la réglementation gouvernementales et il a augmenté les budgets de la sécurité intérieure et de l’armée. C’est peut-être une relation inconfortable, comme c’était le cas entre les industriels allemands et les dirigeants bouffons du parti nazi, mais pour les élites du monde des affaires, c’est de loin préférable à une relation avec un Bernie Sanders ou une Elizabeth Warren. Tout au long de l’histoire, les capitalistes ont soutenu le fascisme pour contrecarrer même les formes les plus tièdes du socialisme. Toutes les pièces sont en place. Le démantèlement de nos institutions démocratiques, qui ne peut être imputé à Trump, rend la tyrannie inévitable.

 

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

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