Alexandre Moix, de quatre ans le cadet de Yann, est également écrivain, notamment pour la jeunesse, et documentariste pour Arte. LP/Guillaume Georges
Dans une lettre ouverte que nous publions, Alexandre Moix accuse son frère Yann, qui vient de publier « Orléans », d’avoir dissimulé la vérité : l’enfant martyr, c’était lui, victime de son célèbre aîné écrivain.
Une rentrée littéraire ne se porte jamais mieux qu'avec une bonne polémique. À peine amorcée, celle d'automne affiche carton plein, et la famille s'y trouve au premier plan, déchiquetée sous nos yeux. Sous la mention « roman », inscrite sur la couverture, Yann Moix, prix Renaudot en 2013 pour « Naissance », réalisateur de « Podium » en 2004 et, de 2015 à 2018, figure de l'émission « On n'est pas couché » sur France 2, publie « Orléans », dans lequel il décrit les sévices que lui auraient fait endurer ses parents et particulièrement son père José.
Ce dernier s'est exprimé à deux reprises, reconnaissant les plus grandes qualités d'écriture à ce texte, concédant de sa part une éducation « stricte » mais niant les faits de violence que lui attribue son fils aîné. C'est maintenant au petit frère de l'écrivain, Alexandre, de quatre ans son cadet, également écrivain, notamment pour la jeunesse, et documentariste pour Arte, de répondre ou plutôt de rendre coup pour coup dans ce règlement de compte familial.
Nous l'avions contacté pour une interview, avant de lui proposer finalement d'écrire une lettre ouverte à son frère. « Ça fait 40 ans que j'attendais ça » nous confiait-il encore vendredi. Résultat, c'est une autre vérité qui surgit sous sa plume. Pourquoi lui donner la parole ? Parce que Yann Moix, omniprésent dans les médias, de « Sept à Huit » sur TF1 dimanche dernier à « On n'est pas couché » sur France 2 comme invité samedi prochain, a dit clairement que son enfance martyre n'était en rien un roman. Mais selon Alexandre, le cadet, le martyr, c'était lui. Et le bourreau, le grand frère bien plus que le père. Voici ses mots.
« Mon frère, ce bourreau », par Alexandre Moix
Je n'ai pas de frère.
Je suis le « mec qui habitait en même temps que Yann chez ses parents ». « Un médiocre ». « Une entité génétique similaire qui se balade quelque part sur Terre ». « Un raté ». Dernièrement, un « néo-nazi » ! Le sérail m'informe régulièrement des fulgurances moixiennes de mon frère à mon sujet…
« Ton frère te voue une haine infinie », m'a récemment confié un de ses plus vieux amis. Je l'ai toujours su au fond, mais sa confirmation est une gifle. Cinglante. Ma naissance, 4 ans après la sienne, aura donc été son chaos. La fin de son monde. Je serais venu sur Terre uniquement pour achever son règne. J'aurais, paraît-il, enfanté son malheur. Ma naissance n'aura été qu'un putsch.
Devenu adulte, j'ai longtemps déploré son absence mystérieuse et inexpliquée ; son silence, brutal, long, obscur. J'ai d'abord essayé de les comprendre, de les disséquer, d'en chercher les fondements. De guerre lasse. Je suis devenu un spectateur occasionnel, abasourdi de ses outrances, de ses mauvaises humeurs médiatiques, de ses prises de positions fielleuses, de sa harangue belliqueuse. Le soi-disant sniper est en fait un serial killer qui guette sa proie et la dépèce. Jusqu'à la prochaine.
Quand, au lendemain de ses inégales interventions, on me posait la question de notre parenté, un malaise profond m'envahissait. Voilà qu'on m'associait à cet être distribuant de la haine sur les plateaux de télévision et partout où il posait le pied.
Exister avec ce nom si encombrant forçait alors le respect. Ce nom - son précieux - qu'il protégeait avec hargne, était l'objet récurrent de ses menaces téléphoniques nocturnes : « Je vais t'envoyer des mecs chez toi qui te feront faire passer l'envie d'utiliser mon nom, pt'it con ! Il n'y a qu'un Moix sur Terre ! Et il n'y aura qu'un Moix dans la littérature ! Il n'y aura qu'un Moix dans le cinéma ! Moix, c'est MOI ! », éructait-il, avant de raccrocher, me laissant hagard pour le restant de la nuit. Moix, c'était lui. Moi, je n'étais que moi. Misérable et médiocre. Raté, il l'avait décrété. Tel serait mon avenir. Partout, j'avais désormais la sensation de voler mon nom, d'usurper son identité.
Dans sa vie, mon frère n'a que deux obsessions : obtenir le Prix Goncourt et m'annihiler. Me nier, m'éliminer, me rayer de la carte. Par tous les moyens. Physiquement ou moralement.
Il y a quelques années, je tombais par hasard sur une émission de radio. À la question : avez-vous des frères et sœurs, Yann répondait aussitôt : « Non. Enfin si… Enfin, c'est tout comme… Il y avait à la maison un collabo qui me caftait à la Kommandantur ! ». Si j'étais son collabo, il était mon tortionnaire.
J'ai subi 20 ans durant des sévices et des humiliations d'une rare violence de sa part. Ceux-là mêmes qu'il décrit dans son roman, en les prêtant à nos parents. J'aurais rêvé d'un grand frère protecteur. Mais Yann était un grand frère destructeur. Chaque phrase qu'il m'adressait me sonnait comme des uppercuts. Il s'exerçait déjà sur moi à tester ses aphorismes de haine. Les mêmes qu'il assène dans ses arènes médiatiques. J'en retrouve parfois certains.
En matière de sévices, Yann faisait preuve d'une imagination débordante. Je rêvais d'un frère au cœur d'artichaut, il était mon Orange mécanique.
Tentative de défenestration du premier étage et de noyade dans la cuvette des toilettes quand j'avais 2 ans, passages à tabac récurrents dès que nos parents s'absentaient, destruction systématique de mes nouveaux jouets, jeux, maquettes, matériel de sport, souillage et appropriation de mes livres…
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