Dans l'article intitulé "Le plus gros bobard de la fin du XXème siècle", Les journalistes Serge Halimi et Pierre Rimbert reviennent dans Le Monde diplomatique, sur les mensonges médiatiques qui ont accompagné et légitimé la guerre de l'OTAN contre l'ex-Yougoslavie. Des relais médiatiques se sont mis en branle dans de nombreux pays pour formater les "cerveaux disponibles" de l'opinion publique. En France, Le Monde d'Edwy Plenel semble avoir joué un rôle de premier ordre pour caler l'opinion publique sur l'agenda militaire du régime français, à grands coups de fake news selon les deux journalistes (nous avons mis en gras les passages nous semblant importants, note de SLT) :
"Parmi eux, Le Monde, un quotidien dont les prises de position éditoriales servent alors de référence au reste de la galaxie médiatique française. Sa rédaction, dirigée par Edwy Plenel, admet avoir « fait le choix de l’intervention (2) ». En première page de l’édition du 8 avril 1999, un article de Daniel Vernet annonce : « Ce plan “Fer à cheval” qui programmait la déportation des Kosovars ». Le journaliste reprend les informations dévoilées la veille par le ministre des affaires étrangères allemand, l’écologiste Joschka Fischer. Ce « plan du gouvernement de Belgrade détaillant la politique de nettoyage ethnique appliquée au Kosovo (…) porte le nom de code de plan “Fer à cheval”, sans doute pour symboliser la prise en tenaille des populations albanaises », écrit Vernet, pour qui la chose « paraît faire peu de doutes ».
Deux jours plus tard, le quotidien récidive sur toute la largeur de sa « une » : « Comment [Slobodan] Milošević a préparé l’épuration ethnique ». « Le plan serbe “Potkova” programmait l’exode forcé des Kosovars dès octobre 1998. Il a continué d’être appliqué pendant les négociations de Rambouillet. » Le Monde évoque un « document d’origine militaire serbe » et reprend à nouveau les allégations des officiels allemands, au point de reproduire l’intégralité d’une note de synthèse — ce qu’on appellerait aujourd’hui les « éléments de langage » — distribuée aux journalistes par l’inspecteur général de l’armée allemande. Berlin entend alors justifier auprès d’une opinion plutôt pacifiste la première guerre menée par la Bundeswehr depuis 1945, de surcroît contre un pays occupé cinquante ans plus tôt par la Wehrmacht.
Or ce plan est un faux : il n’émane pas des autorités serbes, mais a été fabriqué à partir d’éléments compilés par les services secrets bulgares, puis transmis aux Allemands par ce pays, qui fait alors du zèle pour rentrer dans l’OTAN. Le pot aux roses sera révélé le 10 janvier 2000 par l’hebdomadaire Der Spiegel et confirmé douze ans plus tard par l’ancienne ministre des affaires étrangères bulgare. A posteriori, le document aurait dû inspirer d’autant plus de méfiance que « fer à cheval » se dit potkovica en serbe, et non potkova, ainsi que le remarqua dès le 15 avril 1999 le député allemand Gregor Gysi devant le Bundestag. En mars 2000, le général de brigade allemand Heinz Loquai exprime dans un livre ses « doutes sur l’existence d’un tel document » ; son enquête oblige M. Scharping à admettre qu’il ne dispose pas d’une copie du « plan » original. Au même moment, le porte-parole du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie qualifie les éléments du prétendu plan de « matériel peu probant » (Hamburger Abendblatt, 24 mars 2000) ; et la procureure Carla Del Ponte n’y fera même pas référence dans l’acte d’accusation de Milošević en 1999 puis en 2001.
« La guerre, avait expliqué Plenel peu après le début des bombardements, c’est le défi le plus fou pour le journalisme. C’est là qu’il prouve ou non sa crédibilité, sa fiabilité (3). » L’investigateur n’est jamais revenu sur ce grand écart avec « l’amour des petits faits vrais » qu’il proclame dans son livre pamphlet en faveur de l’intervention de l’OTAN (4). Le Monde évoquera à nouveau le faux, mais comme s’il l’avait toujours considéré avec prudence : « “Fer à cheval” reste un document fort controversé, dont la validité n’a jamais été prouvée » (16 février 2002). Spécialistes des Balkans, les journalistes Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin qualifient pour leur part le plan Potkova d’« archétype des fake news diffusées par les armées occidentales, repris par tous les grands journaux européens (5) ».
La célébration d’un anniversaire n’aurait pas justifié à elle seule qu’on revienne sur cette affaire. Mais certaines de ses conséquences pèsent encore sur la vie internationale. Pour ce qui fut sa première guerre depuis sa naissance en 1949, l’OTAN choisit d’attaquer un État qui n’avait menacé aucun de ses membres. Elle prétexta un motif humanitaire et agit sans mandat des Nations unies. Un tel précédent servit les États-Unis en 2003 au moment de leur invasion de l’Irak, là encore aidée par une campagne de désinformation massive. Quelques années plus tard, la proclamation par le Kosovo de son indépendance, en février 2008, mettrait à mal le principe de l’intangibilité des frontières. Et la Russie se fonderait sur cette indépendance lorsque, en août 2008, elle reconnaîtrait celles de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, deux territoires qui s’étaient détachés de la Géorgie. Puis en mars 2014 quand elle annexerait la Crimée.
La guerre du Kosovo ayant été conduite par une majorité de gouvernements « de gauche », et appuyée par la plupart des partis conservateurs, nul n’avait intérêt à ce qu’on revienne sur les falsifications officielles. Et on comprend sans peine que les journalistes les plus obsédés par la question des fake news préfèrent eux aussi regarder ailleurs..." (Le Monde diplomatique, avril 2019 Le plus gros bobard de la fin du XXème siècle")
Il est assez classique dans la majorité des médias français, que ce soit le journal de réf(v)érence ou d'autres, de voir la presse marcher au pas le petit doigt sur la couture du pantalon quand le régime français se lance dans une guerre dans le cadre de l'OTAN (Libye, Syrie) ou menée dans le cadre des relations françafricaines (Cameroun, Biafra, Rwanda).
Lire : - Histoires françafricaines
Un professeur de Science Po déclarait au micro de Taddeï sur Europe 1, il y a 2 ans, au sujet de la guerre en Libye en 2011 lancée par Sarkozy & Co : "Une fake news est une fausse information qui n'est pas cautionnée par les autorités".
Nicolas Hervé (journaliste et auteur de L’information à tout prix avec Julia Cagé et Marie-Luce Viaud) revenait alors dans l'émission sur les limites du métier de journalisme en temps de guerre sous le régime de la Vème République :
"...Globalement, je ne dirais pas que les journalistes sont des salauds. Je ne dirais pas que les journalistes veulent désinformer. En revanche moins il y a de journalistes, moins il y aura ce travail là d'analyse critique des informations qui sont diffusées. Et typiquement dans le cadre des guerres..."
Taddeï : "vous voulez dire que c'est une profession qui se paupérise".
Nicolas Hervé : "Qui se paupérise mais c'est surtout qu'elle a de moins en moins les moyens de faire son travail correctement et quand on est sur un théâtre de guerre comme la Libye où en gros c'est l'armée et donc l'Etat qui contrôle l'information qui est diffusée, etc. La manière dont les informations vont être remontées à la population française alors que le pays est en guerre, etc, le gouvernement va naturellement déformer l'information, la faire paraître sous un beau jour, etc. Après la question est de savoir dans quelle mesure est-ce que les journalistes sont conscients ou pas du fait qu'ils relayent une parole officielle sans chercher à en savoir plus ou même à masquer un certain nombre de choses, ça c'est un autre débat. Et on arrive, si l'on parle des médias traditionnels, sur les questions du pouvoir des médias, de qui sont les actionnaires des médias, quelles sont les velléités qu'il y a derrière et ces questions là. Mais ça c'est des questions qui sont différentes de la notion de fake news mais qui ne sont pas complètement décorrélées parce que effectivement la confiance dans la manière dont les médias traitent l'information cela va avoir aussi une influence sur ce que l'on va pouvoir percevoir à côté..."
Fabrice Eppelboin : "Pour revenir sur la Libye si vous vous souvenez bien à l'époque on avait chanté les louanges de ces fameux journalistes citoyens libyens qui informaient les médias occidentaux sur la situation. Il s'est avéré à la suite d'une fuite d'information que ces journalistes libyens étaient une opération d'astro turfing menée par l'armée américaine....Grosso modo il s'agit de faux journalistes citoyens qui en fait était une opération de psy ops de l'armée américaine destinée à faire de l'intox..."
- Lire également :
- Gros déballage sur la désinformation médiatique française durant la guerre en Libye sur Europe 1. Selon un prof de Science Po : "Une fake news : c'est une fausse information qui n'est pas cautionnée par les autorités" (Vidéo)
- [Exclusif] Le documentaire "Tuez Kadhafi !" revient sur les fake news diffusées par les médias français et atlantistes pour légitimer la guerre contre la Libye de Kadhafi (Vidéos)
- Les médias de la haine incitant au nettoyage ethnique des Noirs en Libye
- Salon Le rapport du Parlement britannique détaille comment la guerre de 2011 de l'OTAN en Libye fut basée sur des mensonges
- Asheepnomore Les Emails d'Hillary Clinton révèlent que l'OTAN a tué Kadhafi pour stopper la création libyenne d'une monnaie basée sur l'or en Afrique
- Rapport du Parlement britannique
- American Herald Tribune [Vidéo] Libre expression ou télévision de la terreur ? Le soutien d'Al Jazeera à l'Etat islamique et à Al Qaïda
Documentaire "Tuez Kadhafi!". Depuis la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye a sombré dans le chaos. Aujourd'hui, des personnalités de premier plan dénoncent ce qu'elles considèrent comme un tissu de mensonges qui a permis de justifier l'opération qui fit tomber Kadhafi en 2011.
Il n'est pas rare de voir non plus un même média soutenir la guerre et relayer des éléments de langage du régime ainsi que ses fausses informations puis une fois l'objectif atteint (la capitulation, la destruction d'un pays...) se mettre à faire des analyses critiques plus approfondies sans reconnaître pour autant ses erreurs passées qui ont permis pourtant au conditionnement des "cerveaux disponibles" de l'opinion publique à la guerre voulue par le régime. Dès qu'une nouvelle guerre recommencera (Syrie...), ces mêmes médias auront tendance à reprendre les mêmes processus.
Concernant la guerre au Yémen, où le régime français est impliqué dans une guerre génocidaire au Yémen, nous avons vu peu de médias évoquer les ventes d'armes françaises au Yémen au début de la guerre en mars 2015, les informations sont apparues surtout à partir de 2017, ils semblent s'être calmés depuis que la DGSI a sifflé la fin de la partie. Le travail des journalistes au Yémen est de facto entravée.
- Le journaliste et avocat, Juan Branco, revient sur l'implication française au Yémen et les entraves des autorités françaises au regard du travail de la presse (Vidéo)
Par contre, vous ne verrez quasiment aucun grand média employer le terme de "génocide" ou bien de "massacre à caractère génocidaire" pour évoquer la sale guerre au Yémen alors que des infrastructures civiles, hydriques et la population est délibérément bombardée renforcée en cela par un blocus alimentaire naval, aérien et terrestre qui a même été partiellement renforcé il y a peu par le PAM. Cet organisme de l'ONU a décidé de diminuer les livraisons de nourritures dans les zones tenues par les rebelles puis après quelques semaines est revenu sur sa décision. Les éléments de langage seront ceux de l'ONU "pire catastrophe humanitaire dans le monde" mais sans véritablement faire de lien direct avec la guerre menée par la coalition étatsuno-franco-britannico-israélo-saoudienne.
Lire à cet égard :
- [Vidéo] Génocide au Yémen : les médias complices des crimes de guerre saoudo-étatsunien (Mintpress News)
- Yemen. Le PAM suspend partiellement son aide alimentaire dans la zone de Sanaa contrôlée par les rebelles
- La guerre au Yémen vire au génocide et le gouvernement australien le soutient tranquillement (Newmatilda)
- La complicité des États-Unis dans le génocide de l'Arabie saoudite au Yémen implique Obama et Trump (The Conversation)
- Le Lancet pointe la responsabilité de l'Arabie saoudite dans l'épidémie de choléra au Yémen et la complicité de l'ONU et de l'UNICEF
- "La guerre du Yémen est un génocide" (Russia Today)
De même, très peu de médias vous évoqueront le déploiement des forces spéciales françaises au Yémen pour soutenir la coalition saoudienne dans son entreprise génocidaire contre la population yéménite.
- 7.05.15 Les Forces spéciales françaises interviennent au Yémen (Mondafrique)
- 16.06.18 Selon Le Figaro, les forces spéciales françaises sont aux côtés des Emiratis dans l'offensive sur le port d'Hodeida au Yémen
- 13.11.18 Selon CNN, "la France a envoyé des conseillers de guerre navale spécialisés au côté de la coalition saoudienne pour aider à prévenir les attaques maritimes et les opérations de minage des Houthis"
On voit donc que le problème dépasse simplement le cas Plenel même si celui-ci est un élément parmi d'autres de la légitimation des guerres atlantistes du régime français que ce soit dans l'ex-Yougoslavie ou en Syrie.
- Mediapart, trop proche des Etats-Unis d'Obama ?
- Moon of Alabama évoque une Fake news concernant les 300.000 réfugiés dans le sud de la Syrie, Mediapart reprend le chiffre et évoque une "catastrophe humanitaire"
- Lettre ouverte aux journalistes de Mediapart (et à quelques autres)
Edwy Plenel : "Médiapart soutient l'opposition démocratique syrienne" Edwy Plenel questionné par le Cercle des Volontaires sur la couverture de la Guerre de Syrie par Médiapart esquive tout d'abord en nous dirigeant vers Farouk Mardam-Bey, puis tout simplement en nous faussant compagnie... Alors monsieur Plenel, on veut déranger, mais pas trop ?
A lire dans un registre similaire, une apologie du Monde envers un djihadiste rebelle favorable à l'Etat islamique et Al Qaïda :
- "Le Monde" fait l'apologie d'un djihadiste ayant soutenu Al Qaïda et l'EI
- Double discours médiatique français : "Résistants" à la Ghouta, "Terroristes" au Burkina Faso ?
- Selon "Le Canard enchaîné", les Etats-Unis et la France protègent Al-Quaïda en Syrie
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