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Le piège de Bolton : l’Iran présenté comme une menace nucléaire pour nous détourner de son projet occulte (Strategic Culture)

par Alastair Crooke 2 Septembre 2019, 08:17 Bolton Iran Impérialisme USA Israël Collaboration

Le piège de Bolton : l’Iran présenté comme une menace nucléaire pour nous détourner de son projet occulte (Strategic Culture)

Le président Poutine avait raison lorsqu’il prévoyait que les actions américaines qui ont forcé l’Iran à manquer à ses obligations envers le PAGC [Accord Global sur le Nucléaire Iranien,NdT] seraient rapidement oubliées – et c’est le cas – et que le « récit » américain dominant serait totalement tourné contre l’Iran (ce qui se confirme).

 

John Bolton a activé son « piège », ce qui conduira inévitablement à des tensions entre l’Iran et les États-Unis : il a inversé le paradigme du projet du « Grand Israël » (l’accord du siècle), qui exige l’émoussement de l’opposition iranienne, en celui de la « menace » d’une éventuelle capacité iranienne de « break out » [temps nécessaire à l’Iran pour parvenir à l’arme nucléaire, NdT], l’Iran étant effectivement forcé d’accumuler de l’uranium enrichi (même à 3.67%).

 

C’est précisément en retirant les « dérogations » américaines permettant à l’Iran de rester dans les limites strictes du PAGC sur la détention d’uranium et d’eau lourde (d’Arak) par l’Iran, en sanctionnant l’exportation de tout surplus iranien (une obligation du PAGC), que Pompeo et Bolton ont rendu intentionnellement inévitable un manquement aux obligations. Et dans la perspective d’un manquement iranien (et de la réponse de l’Iran qui menace d’aller vers des niveaux d’enrichissement plus élevés), l’équipe de Trump a réécrit « l’histoire » comme celle de l’Iran courant après l’armement nucléaire.

En quoi cela sert-il l’objectif de Pompeo et Bolton de pousser l’Iran dans ses retranchements ? Pour comprendre cela, il faut revenir à la doctrine fondamentale d’Albert Wohlstetter de la Rand Corporation (en 1958), selon laquelle il n’y a et ne peut y avoir aucune différence matérielle entre l’enrichissement de l’uranium à des fins pacifiques ou militaires. M. Wohlstetter a déclaré que les processus étaient identiques dans les deux cas et que, pour mettre fin à la prolifération, des États (peu fiables) comme l’Iran ne devaient pas être autorisés à enrichir, ce qui revient à interdire tout programme nucléaire.

Cette « doctrine » de Wohlstetter sous-tend tous les arguments enflammés qui ont conduit au PAGC. Obama s’est finalement rangé du côté de l’Iran pour lui permettre un faible enrichissement, avec une surveillance internationale – dans un accord qui garantissait que l’Iran serait à au moins un an de sa capacité de « break out » (c’est-à-dire qu’il lui faudrait plus d’un an pour passer à la fabrication de matériel enrichi suffisant à la fabrication d’une bombe).

Pompeo et Bolton ont effectivement décidé unilatéralement que l’Iran ne pourrait avoir qu’un enrichissement de 0%. Et la presse occidentale a repris le cri de la « menace » renouvelée du « break out » iranien. Soyons clairs – c’est exactement la situation dans laquelle Bolton veut que l’Iran se retrouve. Il a sapé le seul compromis qui avait stoppé cette marche en avant vers une « solution » militaire imposée par les États-Unis, sous la menace d’une action militaire imminente de la part d’Israël. Et la thèse de Wohlstetter, qui a encore beaucoup d’adeptes aux États-Unis, n’offre pas de « sortie » à la montée des tensions.

Soyons clairs: il n’y a eu aucune « menace » de prolifération de la part de l’Iran, qui s’est conformé au PAGC, comme l’AIEA [Agence internationale de l’énergie atomique, NdT] l’a vérifié à plusieurs reprises, jusqu’à ce que les États-Unis rendent littéralement impossible le respect des obligations en retirant les dérogations mêmes qui rendent possible ce respect. C’est ce qu’a dit le président Poutine. Les origines du problème seront maintenant noyées sous les clameurs à propos de la prolifération.

 

Pourquoi Pompeo et Bolton tiennent-ils tellement à ce projet pour acculer l’Iran ?

Eh bien, qui le pousse ? Qui est derrière tout ça ? L’électorat clé – pour Trump – est sa base évangélique (un Américain sur quatre se dit évangéliste). C’est elle qui a insisté pour que l’ambassade américaine s’installe à Jérusalem ; elle a soutenu l’affirmation de Trump de la souveraineté israélienne sur le Golan ; elle a soutenu le rattachement des colonies israéliennes ; et elle était derrière l’exigence que les États-Unis abandonnent le PAGC. Mais par-dessus tout – et elle se sent vraiment renforcée par ce qu’elle a pu accomplir – maintenant, elle se tourne vers Trump, enfin, pour la réalisation d’un Grand Israël (biblique).

Trump n’est pas évangélique (il est presbytérien par son éducation), mais il s’est rapproché au fil des ans de l’aile évangélique et a donné des signes qu’il croit que la réalisation d’un Grand Israël mettrait enfin un terme au conflit au Moyen-Orient et apporterait une paix durable dans la région. Ce serait son héritage.

 

S’il est vrai que Trump ne cesse de répéter (peut-être avec sincérité) qu’il ne veut pas la guerre, le fait de créer un Grand Israël, néanmoins, n’est pas un remaniement immobilier mineur qui transférerait les Palestiniens vers un « logement » alternatif, de sorte que son projet israélien puisse se développer et s’étendre dans un Grand Israël. Laurent Guyénot, spécialiste des études bibliques, écrit que ce projet possède une autre dimension, souvent négligée, mais très significative:

« Le sionisme ne peut pas être un mouvement nationaliste comme les autres, parce qu’il résonne avec le destin d’Israël tel qu’il est décrit dans la Bible… Il est peut-être vrai que Theodor Herzl et Max Nordau ont sincèrement voulu qu’Israël soit “une nation comme les autres”… [Mais l’affirmation] que le sionisme est biblique ne signifie pas qu’il est religieux ; pour les sionistes, la Bible est à la fois un “récit national” et un programme géopolitique, plutôt qu’un livre religieux (il n’existe en fait pas de mot pour “religion” en hébreu ancien). »

« Ben Gourion n’était pas religieux ; il n’allait jamais à la synagogue et mangeait du porc au petit déjeuner. Pourtant, il était intensément biblique. Dan Kurzman, [le biographe de Ben Gourion] qui le surnomme “la personnification du rêve sioniste”, croyait [néanmoins] fermement en la théorie de la mission, disant explicitement : “Je crois en notre supériorité morale et intellectuelle, en notre capacité à servir de modèle pour la rédemption du genre humain. »

« Dix jours après avoir déclaré l’indépendance d’Israël, [Ben Gourion] écrit dans son journal : “Nous briserons la Transjordanie [Jordanie], bombarderons Amman et détruirons son armée, puis la Syrie tombera, et si l’Égypte continue à se battre, nous bombarderons Port Saïd, Alexandrie et Le Caire”. Puis il ajoute : “Ce sera une vengeance pour ce qu’ils (les égyptiens, les araméens et les assyriens) ont fait à nos ancêtres pendant les temps bibliques”. »

C’est à partir de ce point que Bolton et Pompeo détournent délibérément l’attention en lançant une fausse piste de « break out » nucléaire. Le projet de réaliser le Grand Israël – résonance d’un destin métaphysique et qui évoque un statut spécial, comme lorsque « toutes les nations » rendront hommage « à la montagne de Yahvé, à la maison du dieu de Jacob », lorsque « la Loi sortira de Sion et la parole de Yahvé de Jérusalem » – est une musique aux oreilles des sionistes chrétiens, car ils croient précisément que c’est ce qui accélérera le retour du Messie et rapprochera l’Enlèvement [lorsque selon la Bible, Jésus reviendra du ciel pour prendre ceux qui ont été ses fidèles disciples pour qu’ils restent éternellement avec lui, NdT].

 

Bien sûr, tout projet de ce type – implicite ou explicite – pourrait se heurter à l’opposition d’un État-civilisation comme l’Iran, avec sa propre métaphysique très puissante, mais divergente. Pour que le Grand Israël se réalise, l’opposition iranienne au projet israélien d’« élection divine » doit être freinée.

Bolton n’est pas un évangélique, mais il est étroitement lié à la droite israélienne. Ben Caspit, l’un des principaux commentateurs israéliens, développe :

« Les États-Unis n’ont pas l’intention d’envahir l’Iran », a précisé [ma] source israélienne, « mais les Iraniens essaient de signaler aux Américains que [toute escalade]… pourrait causer de graves dommages aux intérêts américains et à un coût plus élevé que ce que le régime de Saddam Hussein a pu générer… »

« La prise de distance de Netanyahou par rapport à l’escalade de la tension s’explique par [sa comparution] devant une commission du Congrès dans les jours précédant l’invasion de l’Irak pour avoir prétendu que Hussein tentait de fabriquer des armes nucléaires et que le renversement du régime en Irak allait maîtriser l’Iran et créer davantage de stabilité dans tout le Moyen-Orient. L’histoire a prouvé que toutes les prédictions de Netanyahou étaient fausses… Maintenant, Netanyahou tente de mettre une sourdine, de sorte qu’on ne le considère pas comme la personne qui fait pression sur les Américains pour lancer une attaque militaire contre l’Iran. Il n’est pas du tout certain qu’il réussira.

« Israël tente maintenant de minimiser son soutien à la position du conseiller américain pour la sécurité nationale, John Bolton, qui préconise un conflit direct avec les iraniens et est donc considéré comme le plus belliciste de l’administration. Selon une source qui a travaillé avec Netanyahou sur des questions militaires pendant des années et qui a parlé sous couvert d’anonymat, “Il va de soi qu’à huis clos, Netanyahou prie pour que Bolton réussisse à convaincre le président de lancer une attaque militaire contre l’Iran, mais cela ne doit pas trop se voir. Il ne peut pas être associé à cette approche, surtout qu’il a déjà été sous le feu des critiques pour avoir été la personne qui a fait pression sur les États-Unis pour envahir l’Irak”. Jérusalem observe le conflit entre le ton conciliant actuel du président Donald Trump, qui l’amène à éviter l’aventurisme militaire américain inutile, et l’approche plus belliqueuse de Bolton. On craint que Trump montre les premiers signes de faiblesse dans cette guerre des nerfs avec les iraniens et finisse par se désintéresser et baisser la pression. »

 

En octobre 2003, s’est tenu un « Sommet de Jérusalem », auquel ont participé trois ministres israéliens par intérim, dont Benjamin Netanyahou, ainsi que Richard Perle – un ancien collègue de John Bolton – en tant qu’invité d’honneur. Une déclaration a été signée qui reconnaît « l’autorité spéciale de Jérusalem pour devenir un cœur de l’unité mondiale » et professe : « Nous croyons que l’un des objectifs de la renaissance d’Israël, inspirée par Dieu, est d’en faire le centre de la nouvelle unité des nations, qui conduira à une ère de paix et de prospérité, comme l’ont annoncé les prophètes. »

Il ne s’agit donc pas seulement d’une lutte abstraite sur la doctrine nucléaire. L’escalade contre l’Iran sert plutôt de camouflage pour un conflit civilisationnel et métaphysique beaucoup plus profond. L’Iran, bien sûr, le sait. Et Poutine, bien sûr, avait raison de craindre que l’absence de l’Iran lors de la signature du PAGC devienne une arme contre l’Iran, mais il savait aussi que l’Iran n’avait guère le choix. Rester assis passivement – pendant que Trump compressait « jusqu’à ce que les pépins sortent » – n’était tout simplement pas une option. [Pépins sortent : expression britannique reprise par Bolton pendant une conférence de presse au sujet de l’Iran, NdT]

 

Source : Strategic Culture, Alastair Crooke, 27-05-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

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