1984 de George Orwell revisité : L’ascension des civilisationalistes.
Par James Dorsey
Lob Log
La montée d’un nombre conséquent de dirigeants internationaux comme Donald Trump, Xi Jin Ping et quelques autres en Europe, en Asie et en Amérique latine qui visent à mettre en place un nouvel ordre mondial autoritaire et civilisationaliste donne une actualité renouvelée au roman prophétique de George Orwell publié il y a 70 ans sous le titre 1984.
Sa mise en garde éloquente contre la menace d’un régime illibéral et autoritaire et contre les risques inhérents à la démocratie libérale est aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était dans l’immédiat après-deuxième guerre mondiale.
Par plus d’un aspect, le roman de George Orwell, qui dépeint la montée de l’État de surveillance et l’apparition de ce qu’il appelle la « novlangue », la corruption du langage à des fins politiques et le travestissement de la vérité au point que les faits n’ont plus d’importance, pourrait avoir été écrit aujourd’hui.
La réalité du 1984 d’Orwell se manifeste aujourd’hui par l’émergence de dirigeants intolérants et autoritaires de par le monde et/ou par l’apparition de caractéristiques ou de l’équivalent, dans le cas de la Chine, du parti omnipotent imaginé par l’écrivain, qui dirige un super État appelé Océanie.
Les outils du parti ont retrouvé une actualité : une police de la pensée, la toute-puissance de Big Brother par le moyen de la surveillance universelle, la novlangue et la double-pensée.
Le plus inquiétant, c’est que certains aspects de la vision orwellienne ne se limitent plus aux régimes totalitaires. On en voit de plus en plus apparaître dans les démocraties en crise.
Le quatrième pouvoir, c’est-à-dire un système médiatique indépendant capable de demander des comptes au pouvoir, a été réduit au rôle de secrétaire du gouvernement en Chine, dans les états du Golfe Persique et autres pays autocrates. Il est sur la défensive aussi dans des démocraties comme les États-Unis, la Hongrie, l’Inde, la Turquie, la Russie et les Philippines.
Kellyanne Conway, conseillère de M. Trump, a ressuscité la novlangue avec l’invention de l’expression de « aits alternatifs » pour justifier des affirmations manifestement fausses du président et des membres de son administration.
La novlangue a servi de fondement pour l’intimidation et/ou les poursuites judiciaires, l’incarcération et le meurtre de journalistes contestataires, et le bâillonnement des médias. Son emploi renforce les assertions de personnes comme Donald Trump, ou les présidents hongrois ou philippins, Victor Orban et Rodrigo Dutertre, selon lesquelles les informations présentées par les grands médias sont parfois des affabulations [en anglais « Fake news », NdT].
La novlangue a ainsi permis l’an passé à Donald Trump de déclarer devant une association d’anciens combattants que « ce que vous voyez et ce que vous lisez n’est pas ce qui se passe ».
Le roman de George Orwell oppose le libéralisme au totalitarisme – la réalité à laquelle il a été confronté en tant que volontaire républicain pendant la guerre d’Espagne et après la seconde guerre mondiale en Europe.
C’était une époque durant laquelle le civilisationalisme [vision en termes de civilisation d’une société, plutôt qu’en termes de nation, par exemple, NdT], incarné par l’Allemagne Nazie d’Adolf Hitler, avait été vaincu. Le civilisationalisme est aujourd’hui vivant et en plein essor parmi les dirigeants autoritaires et illibéraux du monde.
Cela se manifeste sous de multiples formes dans le monde par le mépris des droits de l’homme et des minorités.
Mr. Xi a reconçu l’état chinois comme civilisationel plutôt que comme national, avec des frontières allant au-delà de celles reconnues internationalement.
Les différentes versions de l’eurasianisme des présidents russe et turc, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdoğan, impliquent une vision civilisationaliste du monde.
L’appréciation apparente du président indien Narendra Modi et de Donald Trump pour les expressions de suprématie raciale ou religieuse, malgré la condamnation par le président des États-Unis du massacre de vingt personnes ce week-end dans un centre commercial d’El Paso au Texas, encourage le civilisationalisme.
Le fait que les lignes de démarcation entre les dirigeants civilisationalistes et populistes soient floues complique un peu plus le monde que Mr. Orwell a imaginé.
Les dirigeants civilisationalistes sont des populistes par définition. Mais tous les populistes ne pensent pas en termes de civilisation plutôt que de nation.
Pour l’instant, cela peut ne pas sembler important en pratique puisque les dirigeants civilisationistes et populistes mettent l’accent sur leurs valeurs communes.
Cette base commune permet à la Chine d’utiliser des technologies de pointe pour déployer sur son sol et à l’étranger un état de surveillance conçu pour envahir à peu près tous les aspects de la vie d’une personne.
À la pointe de l’état de surveillance de Xi Jinping se trouve la répression brutale des musulmans turcophones dans la province troublée du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine.
Cette attaque lancée par Xi Jinping dans le but de siniser les Ouïghours et les autres minorités turcophones est la plus brutale référencée dans l’histoire récente contre une croyance religieuse.
Conforté par l’influence économique et politique de la Chine, M. Xi s’est pour l’instant sorti du mauvais pas de ce que certains appellent un génocide culturel, grâce à un monde musulman largement peuplé de dirigeants autoritaires et autocratiques qui voient dans la Chine un modèle de croissance économique sans libéralisation politique.
La répression n’est qu’un des extrêmes d’une tendance mondiale dans laquelle le civilisationalisme sape de plus en plus les droits des minorités, au risque d’une escalade des cycles de violence et de migrations de masse liée à l’insécurité croissante et à la violence alimentée par la montée du suprématisme, de l’islamophobie et de l’antisémitisme.
Les signes avant-coureurs sont clairs.
Les crimes de haine aux États-Unis, rendus possibles par le laxisme des lois sur les armes à feu et les emportements racistes de M. Trump, sont en hausse. La violence contre les musulmans a augmenté de façon dramatique en Inde où 90 % des crimes de haine à caractère religieux au cours de la dernière décennie se sont produits depuis l’arrivée au pouvoir de M. Modi ; quelque 750 000 Rohingyas vivent dans des camps de réfugiés bengalis après avoir fui la persécution au Myanmar. L’islamophobie est devenue une réalité en Europe et en Chine. Les Juifs d’Europe craignent une nouvelle vague d’antisémitisme.
Les intolérants et les autoritaires professent des vœux pieux pour la démocratie ou prônent des formes dénaturées d’un système de droit tout en niant ou en sapant les droits fondamentaux.
Muratbek Imanaliev, professeur à l’Académie diplomatique du ministère russe des Affaires étrangères, ancien ministre kirghiz des Affaires étrangères et ancien secrétaire de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), a inventé l’expression « autoritarisme positif ».
Le politologue russe Sergei Karaganov a développé la question en avançant un argument qui, en fin de compte, en accord avec les prédictions de M. Orwell, permettrait aux antilibéraux et aux autocrates de jeter toute référence à la démocratie dans la poubelle de l’histoire.
« Les pays autoritaires, avec la gestion de leurs démocraties incomplètes, peuvent être mieux préparés à rivaliser et à gouverner dans un monde de plus en plus volatil », a affirmé M. Karaganov.
Le raisonnement de M. Karaganov suggère que le système annoncé par M. Orwell, même si l’universitaire russe envisage une version moins extrême de la représentation fictive de l’écrivain, est la solution aux problèmes générés par les civilisationalistes eux-mêmes. Il semble y avoir peu de choses dans les manchettes d’aujourd’hui qui le dénoncent.
James M. Dorsey est chercheur à la S. Rajaratnam School of International Studies, co-directeur de l’Institute for Fan Culture de l’Université de Würzburg et co-animateur du podcast New Books in Middle Eastern Studies [Nouveaux livres d’études sur le Moyen-Orient, NdT]. James est l’auteur du blog « The Turbulent World of Middle East Soccer » [Le monde turbulent du football au Moyen-Orient, NdT], d’un livre portant le même titre ainsi que de « Comparative Political Transitions between Southeast Asia and the Middle East and North Africa » [Comparaison des transitions politiques entre l’Asie du Sud-Est, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, NdT]. Il a co-écrit avec Teresita Cruz-Del Rosario, Shifting Sands, « Essays on Sports and Politics in the Middle East and North Africa » [Sables mouvants, essais sur le sport et la politique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, NdT], et un prochain livre à paraître « China and the Middle East : Venturing into the Maelstrom » [La Chine et le Moyen-Orient : s’aventurer dans le maelström, NdT].
Source : Lobe Log, James Dorsey, 09-08-2019
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
Contact : samlatouch@protonmail.com
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