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Le régime algérien incarcère des généraux et la dirigeante du Parti des travailleurs (WSWS)

par Kumaran Ira et Alex Lantier 4 Octobre 2019, 06:25 Algérie Arrestation Louisa Hanoune Répression Armée algérienne

Algérie (c) New Press

Algérie (c) New Press

Le 25 septembre, après un procès de deux jours, un tribunal militaire algérien a condamné à une peine de quinze ans de prison des personnalités liées à l'ancien président déchu, Abdelaziz Bouteflika. Elles ont été accusées de «conspiration contre l'armée» et «l'autorité de l'État». Les accusés étaient le frère et conseiller plus jeune de Bouteflika, Saïd, l'ex-chef de renseignement, le général Mohamed Mediene (dit «Toufik») et le général Athmane Tartag («Bachir») et Louisa Hanoune, dirigeante et trois fois candidate du Parti des travailleurs (PT) petit-bourgeois à la présidentielle.

 

 

 

Le but du procès n'était pas de révéler les vrais crimes des alliés de Bouteflika, mais de terroriser le mouvement de la classe ouvrière contre le régime algérien de l’homme fort militaire, le général Ahmed Gaid Salah. C'était une attaque réactionnaire contre les droits démocratiques. L'Algérie est paralysée par les manifestations de masse qui ont éclaté en février contre la candidature de Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel.

Le tribunal militaire a gardé le silence sur les crimes commis par Mediene et Tartag pendant qu'ils dirigeaient les forces armées dans la sanglante guerre civile algérienne de 1991 à 2002. Hanoune, quant à elle, a été arrêtée après avoir critiqué Salah et l'armée, lançant l’avertissement que l'armée pourrait organiser un coup sanglant contre des manifestations de masse similaires à celle lancée en 2013 par le général égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Elle a été accusée d'avoir «attaqué l'autorité de l'armée» et de «complot contre l'autorité de l'État».

 

L'avocat de Hanoune, Mokrane Ait Larbi, a déclaré que le tribunal était «entouré de points de contrôle militaires» et que «les journalistes n'étaient pas autorisés à s'approcher du tribunal». Bien que les liens étroits de son client avec le clan Bouteflika soient de notoriété publique, il a noté que l'armée n’avait fourni «aucune preuve de complot» auquel elle aurait participé.

Saïd Bouteflika, Mohamed Mediene et Bachir Tartag ont été arrêtés au mois de mai à propos d’une réunion au cours de laquelle ils auraient discuté de vouloir imposer un État d’urgence et de limoger Salah dans la tentative ultime de maintenir Abdelaziz Bouteflika au pouvoir. Ils ont été accusés de s'être réunis fin mars pour discuter de la création d'un nouvel organe dirigé par l'ex-président Liamine Zeroual afin de diriger une «transition» post-Bouteflika. La réunion a eu lieu peu après que Salah a appelé à la démission de Bouteflika. Le 2 avril, Bouteflika a démissionné.

La réunion de fin mars faisait partie des luttes intestines impitoyables que les manifestations ont provoquées au sein de la classe dirigeante algérienne. L’ancien ministre de la Défense, Khaled Nezzar, qui depuis lors s’est enfui en Espagne, déclara en mai que Saïd Bouteflika avait pris contact avec lui à ce moment-là pour lui signaler que Salah pourrait renverser Bouteflika, et que Saïd Bouteflika envisageait de «démettre le chef de l’armée, imposer un état d’urgence et garder son frère au pouvoir». Il a également dit à Nezzar que Salah pourrait agir contre le clan Bouteflika «d'un instant à l'autre».

 

Lors du procès, l'avocat de Hanoune a confirmé que sa cliente avait participé à l'une de ces réunions, le 27 mars, en tant que «parlementaire et cheffe d'un parti légal».

Les accusés au procès, avec lesquels Salah a travaillé pendant des décennies, étaient tristement célèbres pour leur rôle dans la torture et le meurtre d'environ 200.000 Algériens pendant la guerre civile. Cependant, ils n’ont eu qu’à répondre à l'accusation circonscrite de complot contre Salah; ils n'ont pas été poursuivis pour les crimes de l’armée contre l'humanité, dans lesquels ils sont impliqués, ainsi que Salah.

Le général Mohamed Mediene a dirigé les services secrets algériens, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), de 1990 à 2015. Formé par le KGB, l'agence de renseignement de la bureaucratie soviétique, il est tristement célèbre pour son rôle dans la guerre civile algérienne au cours de laquelle il s'est fait appeler «Toufik» afin de préserver son anonymat alors qu'il planifiait une répression féroce des milices islamistes. Il dirigea une faction des hauts gradés de l'armée connue sous le nom «Les éradicateurs», travaillant en étroite collaboration avec le parti au pouvoir, le Front de libération nationale (FLN).

En septembre 2015, Mediene fut remplacé par un major général à la retraite, Athmane Tartag, à la tête du DRS. Formé par le KGB, comme Mediene, Tartag – connu sous le nom de «Bachir» pendant la guerre et connu pour avoir torturé personnellement des détenus – était également connu sous des surnoms tels que «le boucher» ou «le bombardier». Au cours des années 1990, il dirigea l’infâme Centre principal militaire d'Investigation (CPMI) qui, selon l'ONG basée à Berlin, Algeria Watch, est devenu «l'un des principaux centres de torture et d'élimination des opposants».

Le coup monté qui a jeté Hanoune en prison est une mesure réactionnaire destinée à indiquer qu’aucune opposition ne sera tolérée et que les travailleurs opposés à Salah peuvent s'attendre à une punition draconienne. Sa victimisation ne diminue toutefois en rien la nécessité de mener une opposition de principe à la politique petite-bourgeoise du PT.

 

Le Parti ouvrier (PT), fondé par des étudiants radicaux recrutés dans les années 1970 par l'Organisation communiste internationaliste (OCI) de Pierre Lambert en France, après sa rupture avec le trotskisme et le Comité international de la IVe Internationale (CIQI) en 1971, a fonctionné pendant des décennies en tant que soutien au FLN discrédité de Bouteflika. La reconnaissance par l'avocat de Hanoune qu’elle avait rencontré des personnalités comme Bouteflika, Mediene et Tartag, ne fait que souligner que sa politique est totalement hostile au trotskisme et à la classe ouvrière.

Lorsque les manifestations de masse ont commencé en février, Hanoune a soutenu Bouteflika, affirmant de manière absurde que les manifestants ne lui étaient pas hostiles. Elle a appelé à la tenue d'une assemblée constituante, promouvant les illusions que le FLN pourrait mettre en œuvre des réformes démocratiques en rédigeant une nouvelle constitution pour l'État capitaliste algérien. Les bureaucrates syndicaux et le milieu universitaire «de gauche» qui façonnent la politique du PT étaient profondément hostiles à ce que la classe ouvrière défie le régime algérien.

La question décisive à laquelle la classe ouvrière algérienne et internationale est confrontée est la construction de sections du CIQI, luttant pour un programme trotskiste, en tant que direction révolutionnaire. Cela ne peut se faire que par le biais d’une lutte politique sans concession contre le rôle corrompu du PT. La répression autoritaire de Salah contre Hanoune a toutefois pour but d'intimider et de menacer quiconque s'oppose au régime.

 

Sur fond d’une opposition grandissante à l'élection présidentielle du 12 décembre annoncée par Salah peu avant le début du procès, les autorités multiplient les arrestations, emprisonnant des militants pour avoir critiqué l'armée, empêchant des réunions politiques et bloquant des sites Web. En juin, ils ont commencé à arrêter des manifestants qui brandissaient des drapeaux amazighs de la minorité berbère. Human Rights Watch a écrit qu’«environ 40 manifestants sont toujours en détention, la plupart à Alger», accusés d’«atteinte à l'intégrité du territoire national». Ils risquent jusqu'à 10 ans de prison.

Malgré la faillite politique de Hanoune, les travailleurs ayant une conscience de classe s'opposeront à son incarcération et, dans le cadre d'une lutte révolutionnaire contre le régime militaire et sa répression, exigeront sa libération.

(Article paru en anglais le 3 octobre 2019)

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