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Laurent Gbagbo à la CPI – Il est temps d’arrêter cette farce judiciaire (Reseau international)

par Félix Tano 10 Janvier 2020, 15:00 Gbagbo CPI Instrumentalisation Côte d'Ivoire Françafrique France néocolonialisme Articles de Sam La Touch

Le 15 janvier 2019, la Chambre de première instance I de la Cour Pénale Internationale (CPI) a rendu une décision orale par laquelle elle a acquitté Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé de toutes les charges de crimes contre l’humanité qui auraient été commis en Côte d’Ivoire en 2010 et 2011, et dont elle a exposé, par écrit, le détail des motifs dans une autre décision le 16 juillet 2019.

 

La majorité des juges a, en effet, répondu négativement à la question de savoir si les violences et les souffrances pour lesquelles les accusés étaient poursuivis, pouvaient être qualifiées de crimes contre l’humanité et, dans l’affirmative, s’ils avaient une responsabilité pénale à leur égard.

Pour prononcer cet acquittement, les juges ont constaté la « faiblesse exceptionnelle » des preuves produites par le procureur, et fait observer que « la majorité des pièces documentaires présentées par le Procureur dans cette affaire n’auraient pas été acceptées… dans de nombreux systèmes nationaux ». Dans un souci de clarté et de transparence, ils ont aussi expliqué en quoi les preuves étaient insuffisantes.

Le juge président Cuno Tarfusser a même soutenu que « ce procès n’aurait pas dû passer l’étape de la confirmation des charges ». Ce qui ne surprend pas, car, à ladite étape, une décision d’ajournement avait été prise, devant l’insuffisance caractérisée des preuves, afin de donner la possibilité au procureur de les compléter. Et si la confirmation des charges a pu être obtenue, c’étaient dans des conditions scandaleuses d’une forte pression diplomatique française et d’un doute sur la participation effective aux délibérations, du juge allemand Hans Peter Kaul, opposé à la confirmation des charges, mais subitement victime d’une grave maladie, ayant nécessité des soins intensifs, et occasionné sa démission peu de temps après la décision, suivie de son décès deux semaines après.

Si, au stade du procès, après avoir entendu tous les témoins du procureur et analysé toutes ses preuves, les juges n’ont pas estimé utile de continuer la procédure, par l’audition des témoins des accusés, et décidé de l’écourter, à travers une procédure de « no case to answer », ils ne font que rattraper une décision (d’infirmation des charges) qui aurait dû être prise plus tôt. Leur sentence est donc dans l’ordre des choses : « Le procureur a présenté une grande quantité d’éléments de preuve, mais, beaucoup d’informations essentielles font encore défaut ».

 

Un acquittement prononcé par des juges attachés à la loi et à la justice

Dans cette logique, il convient de saluer l’esprit dans lequel la décision majoritaire a été obtenue grâce à deux juges remarquables (Cuno Tarfusser, Geoffrey Henderson) qui avaient bien conscience de leur rôle et en connaissaient les limites. Pour eux, « la loi est faite pour être respectée dans toute sa rigueur, et non pour servir d’excuse en vue de satisfaire des buts politiques ou même humanitaires. Si nous cessons d’observer ce principe, la CPI deviendra uniquement une « cour » en vertu de son nom et ne sera plus en mesure de rendre justice pour quiconque ».

Et conformément à cette conception de leur rôle, les juges ont reconstruit le récit du procureur, en se fondant sur les déclarations de ses témoins qui ont contribué à donner à la Chambre, une image de la Côte d’Ivoire absolument inconciliable avec celle présentée par celui-ci. Ainsi, ils reconnaissent qu’ « il n’a même pas été établi que M. Gbagbo n’a jamais envisagé de céder le pouvoir depuis son élection en 2000. Ce qui ressort du procès-verbal, c’est que … les résultats du deuxième tour des élections n’ont pas été déclarés selon la procédure habituelle. … Malgré des appels répétés au dialogue et des demandes de recomptage des voix, M. Gbagbo devait savoir qu’il y avait une réelle possibilité que le conflit tourne à la violence ». Et, en partant du constat fait par le Procureur, selon lequel la tentative de coup d’État de 2002 et la rébellion qui a suivi, a essentiellement divisé le pays en deux, les juges notent que « cette réalité a évidemment eu des conséquences importantes sur la position de M. Gbagbo en tant que président élu de la Côte d’Ivoire. M. Gbagbo n’a jamais été un président  » normal  » dans une situation  » normale « . Presque dès le début, sa présidence a été ébranlée et, à partir de 2002, il n’a jamais été en mesure d’exercer son rôle constitutionnel de manière régulière… le régime de M. Gbagbo a été soumis à des tensions et des pressions assez fortes pendant la majeure partie de son mandat … Cela a dû inévitablement éclairer un certain nombre de choix et de décisions qu’il a pris au cours de la crise post-électorale ». Pour les juges, les preuves montrent que les forces ivoiriennes étaient confrontées à « une guérilla urbaine », et en position plutôt défensive. « Les forces de M. Gbagbo ont affronté un ou plusieurs adversaires potentiels et violents », notamment l’armée française qui a tiré sur les soldats ivoiriens, « les forces militaires fidèles à M. Ouattara qui approchaient d’Abidjan et étaient sur le point de lancer un assaut pour conquérir la ville » et les forces des Nations Unies qui n’étaient pas toujours impartiales … (la situation à Abidjan) était loin d’être sous le contrôle de M. Gbagbo ».

Pour tous ceux qui suivent de près la crise ivoirienne depuis 1999 et ses développements, ce récit reconstruit, qui a constitué la base de l’argumentation des juges de la majorité, et fondé l’acquittement subséquent des deux accusés, concorde avec la réalité vécue par les Ivoiriens. Il conviendrait donc de saluer la clairvoyance de ces deux juges, dont il faut inscrire la décision parmi les efforts faits pour racheter la CPI sur laquelle le monde entier avait fondé beaucoup d’espoir à sa création, mais dont les pratiques sont décriées.

 

Pour autant, il ne faut pas se méprendre sur la portée réelle de cette décision d’acquittement. Il est indéniable que dans ses rapports avec les pays dominés, l’impérialisme occidental nous a habitués à des revirements spectaculaires, après avoir provoqué le chaos dans des pays sous des prétextes fallacieux. Les armes de destruction massive qui ont servi de prétexte à l’invasion de l’Irak, à la chute de Saddam Hussein et à sa pendaisont, n’ont jamais existé que dans l’esprit des dirigeants occidentaux. Tony Blair, premier ministre de la Grande Bretagne à l’époque des faits, a dû demander pardon « pour avoir utilisé des renseignements erronés », relativement à l’existence d’« armes de destructions massives » irakiennes qui ont permis de justifier l’intervention de la coalition. Le rapport Chilcot, commandé par son successeur Gordon Brown, avait en effet conclu que « les jugements sur la gravité de la menace posée par les armes irakiennes de destruction massive ont été présentés avec une certitude qui n’était pas justifiée ». Idem pour le risque d’une attaque des autorités libyennes contre la population civile de Benghazi qui a servi de prétexte au bombardement de la Libye et de la capture suivie de l’assassinat de Mohammar Kadhafi. La Commission des Affaires Etrangères du Parlement britannique a publié un rapport qui estime que « la peur d’un massacre de civils a été largement exagérée, voire inventée », et que l’intervention militaire occidentale visait plutôt des objectifs non humanitaires, dont le changement de régime, le vrai but de l’opération.

De fait, dans le cadre des politiques d’ingérence pratiquées par les puissances occidentales depuis la fin de la guerre froide (Irak en 1991 et 2003, Yougoslavie de 1992 à 1999, Libye et Côte d’Ivoire en 2011), le mensonge a été abondamment utilisé pour provoquer des guerres, afin de permettre aux entreprises de certains pays occidentaux, d’engranger encore et encore plus de profits (en contrats de reconstruction, main basse sur les réserves d’or et/ou sur les richesses minières et énergétiques du pays conquis). La Côte d’Ivoire n’y a pas échappé : xénophobie, constitution de charniers, escadrons de la mort, assassinat et enlèvement de journalistes, enfants esclaves de champs de cacao, … enfin viol électoral pour s’accrocher au pouvoir, que n’a-t-on pas inventé pour salir le régime Gbagbo afin de justifier le coup de force contre lui et son transfèrement à la CPI ?

 

Depuis la déclaration de Soro Guillaume (interview au JDD du 29 décembre 2019) désignant Ouattara comme le parrain de la rébellion qui a « imposé aux Ivoiriens une crise postélectorale », la décision d’acquittement se justifie encore plus. Car, c’est parce qu’il a perdu effectivement l’élection présidentielle de 2010, qu’en s’autoproclamant président de la République, Ouattara a créé la crise qui va entrainer les violences et les crimes pour lesquels Laurent Gbagbo et Blé Goudé sont poursuivis par la CPI.

D’ailleurs, la supercherie a été dévoilée par Mediapart, le site d’information français, qui a obtenu plus de 40 000 documents confidentiels analysés par l’European Investigative Collaborations, à l’occasion d’une enquête effectuée sur la justice internationale. Il conclut à un montage politico-judiciaire peaufiné par Luis Moreno Ocampo, le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) de l’époque, en intelligence avec les gouvernements Français et Ivoirien. Médiapart évoque « une opération aux airs de françafrique », car l’objectif inavoué était d’« écarter durablement Gbagbo de la scène politique ivoirienne ». Le site d’informations fait en effet savoir qu’au moment de l’arrestation de Laurent Gbagbo, la Cour Pénale Internationale n’avait pas de base légale, la Côte d’Ivoire n’ayant pas ratifié encore le traité de Rome. C’est donc avec la complicité de certains diplomates français, et des autorités ivoiriennes que le président Laurent Gbagbo a été arrêté puis transféré à la Haye, dans le mépris total des principes d’« indépendance » et d’« impartialité » prescrits par le statut de la CPI.

Dans la logique des aveux et repentirs tardifs, la décision d’acquittement prise par la CPI en janvier 2019, aurait pu sonner le glas de cette farce judiciaire qui retient en prison un dirigeant africain dont la françafrique voulait se débarrasser.

 

 

L’acharnement du procureur et l’activisme françafricain

Malheureusement, contrairement aux Britanniques qui ont mis en place des commissions d’enquête à la suite de l’implication de leur pays dans certaines opérations militaires (Irak, Libye), la France, qui a été le maitre d’œuvre de cette opération de déstabilisation et de transfèrement de Laurent Gbagbo à la CPI, n’a pas suivi cette voie. Son ministre des affaires étrangères de l’époque, Laurent Fabius, s’est plutôt personnellement impliqué pour obtenir la prolongation du séjour carcéral de Laurent Gbagbo, à l’occasion de l’audience de confirmation des charges, au deuxième trimestre de l’année 2013. C’est donc, à juste titre d’ailleurs, que le célèbre prisonnier de la Haye a déclaré dans un entretien à médiapart: « Je ne suis pas en prison, je suis otage pour permettre à (Alassane) Ouattara d’être à la présidence (de la République). Cette situation permet à l’Etat français de continuer à avoir la mainmise sur la Côte d’Ivoire ».

On ne saurait s’expliquer autrement les péripéties scandaleuses dans cette affaire : Une décision d’ajournement qui a accordé une chance supplémentaire au procureur de la CPI pour aller chercher d’autres preuves, qu’elle n’a pu finalement obtenir si l’on se réfère à l’opinion dissidente de la juge belge Christine Van Den Wyngaert qui soutient qu’« il n’y a pas d’éléments de preuve convaincants montrant, qu’à un moment ou à un autre, Laurent Gbagbo a convenu avec son entourage immédiat, de commettre des crimes contre des civils innocents » ; une délibération pour confirmer les charges, sans remplacer le juge Hans Peter Kaul, victime d’une maladie brusque et grave, soumis à des soins intensifs, qui l’obligera à démissionner, et qui entrainera son décès quelques temps après ; un refus répétitif de la liberté provisoire au président Gbagbo, en se basant sur des motifs pour le moins absurdes, comme sa grande popularité ; une détention de plus de 7 ans ; un maintien en détention déguisé en liberté conditionnelle alors qu’une décision d’acquittement a été prise en sa faveur, etc.

Manifestement, la justice a été subtilement utilisée à des fins politiques pour retenir Gbagbo loin de de son pays.

Et l’acharnement du procureur et de son bureau dans cette affaire trouve son explication principale dans l’activisme français à la CPI. En effet, dès le début, le procureur et son bureau avaient désigné leur coupable en complicité avec la diplomatie française. Ce qui impactera lourdement la suite du traitement de cette affaire à la CPI. Après une enquête à sens unique, une arrestation totalement arbitraire puis une déportation illégale et rocambolesque, suivra un procès voulu coûte que coûte par le procureur de la CPI, sous la bienveillance de la diplomatie française, sans les preuves conséquentes. Pis, le procureur de la CPI a interjeté appel de la décision claire et nette rendue, en demandant – excusez du peu – l’annulation pure et simple de tout le procès.

Il ne fait aucun doute que nous sommes en présence d’une « tactique délibérée », qui n’échappe pas aux observateurs et aux fins connaisseurs de la procédure judiciaire. Me Jean Balan, avocat des victimes françaises du bombardement du camp militaire français de Bouaké, l’exprime clairement : « Gbagbo, même si, in fine, gagnera le procès et même si sa volonté reste intacte, sera trop vieux ou trop usé pour pouvoir continuer à jouer un rôle politique de premier plan. Et c’est exactement le but voulu ». Il ne croit pas si bien dire. Depuis le début de son aventure coloniale en Afrique, la déportation à vie a toujours été utilisée par le colonisateur français contre les résistants africains qui portaient une lourde responsabilité dans l’opposition à la colonisation. Et ceux qu’il consentait à « relâcher », mouraient en chemin (Gbéhanzin).

 

L’échéance capitale de l’élection présidentielle de 2020 apparaît donc comme un test sérieux pour vérifier la continuité de cette politique. Toute lenteur ou toute décision qui empêcherait la candidature de Laurent Gbagbo pourra être interprétée comme entrant dans cette logique.

C’est l’occasion de signaler que, de ce point de vue, les acteurs internes ont toujours joué la même partition que les acteurs externes. Et cette odyssée judiciaire en est l’illustration parfaite. Il y a eu une répartition des rôles. Alors que la communauté internationale s’occupait du sort de Laurent Gbagbo et Blé Goudé, Ouattara et sa justice se sont occupés de ses partisans.

C’est d’ailleurs pourquoi, maintenant que l’innocence de Gbagbo et Blé Goudé ne fait aucun doute au plan international (CPI), le volet interne de la répression politico-judiciaire a été activé. D’où les initiatives récentes de Ouattara, condamnant à 20 ans de prison Gbagbo et Blé Goudé et menaçant le transfèrement de Simone Gbagbo à la CPI, ainsi que le projet de révision constitutionnelle plafonnant, à nouveau, la limite d’âge pour l’éligibilité à la présidence de la République à 75 ans. Ce qui aura pour effet d’empêcher la candidature de Gbagbo et de Bédié. Il ne faut pas chercher midi à 14 heures. Ouattara, actionné par ses maîtres français, cherche d’autres prétextes pour empêcher, la liberté définitive du président Gbagbo, ou à tout le moins, sa candidature à l’élection présidentielle de 2020.

Lors de son séjour récent en Côte d’Ivoire, le président français Emmanuel Macron a déclaré qu’il voulait bâtir « un partenariat d’amitié (…) beaucoup plus fécond » entre une Afrique jeune et une France nouvelle, débarrassé des oripeaux du colonialisme et de la perception hégémonique de la France. Dans l’affaire Gbagbo Laurent-Blé Goudé à la CPI, il tient une belle opportunité pour montrer sa bonne foi. Il lui suffira tout simplement de mettre un holà à cette tragédie politique qui se joue en Côte d’Ivoire depuis 2002 sous Jacques Chirac, poursuivie par Nicolas Sarkozy et prolongée par François Hollande, en demandant la fin de cette farce judiciaire.

 

Félix TANO
Maître de conférences
Agrégé des facultés de droit
Côte d’Ivoire

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