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Le gouvernement britannique est-il prêt à définir le boycott d’Israël comme étant « antisémite » ? (MEE)

par Ben White 18 Février 2020, 08:00 Israël Boycott BDS Interdiction Grande-Bretagne Antisémitisme Instrumentalisation Propagande Colonialisme

Alors qu’Israël déploie des efforts anti-BDS dans le monde entier, le gouvernement conservateur prévoit de cibler directement le mouvement…

L’un des premiers projets de loi présentés par le nouveau gouvernement conservateur de la Grande-Bretagne empêcherait les « autorités locales de boycotter des entreprises individuelles », une mesure qui viserait le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) dirigé par les Palestiniens.

Le manifeste électoral du Parti conservateur s’engageait en effet à « interdire aux organismes publics d’imposer leurs propres campagnes directes ou indirectes de boycottage, de désinvestissement ou de sanctions contre des pays étrangers », au motif que de telles mesures « sapent la cohésion de la communauté ».

 

Intensification des attaques

Pendant ce temps, Eric Pickles, l’« envoyé spécial du gouvernement britannique pour les questions post-Holocauste », a déclaré lors d’une conférence à Jérusalem dimanche que « le BDS est antisémite et devrait être traité comme tel », dans des remarques saluées sur Twitter par les Amis conservateurs d’Israël.

Selon un rapport du Jewish News Syndicate, une organisation de droite, « Pickles a déclaré que le gouvernement de Johnson rendrait le BDS illégal pour les organismes gouvernementaux et publics, une mesure qui les empêcherait de travailler avec quiconque soutient l’effort d’isolement et de sanction financière d’Israël ».

Pour l’instant, on ne sait pas exactement ce que le gouvernement prévoit ; il pourrait s’agir d’une tentative d’intimidation, plutôt qu’une nouvelle loi.

Ce qui unit de tels développements est un effort concerté du gouvernement israélien et de ses partisans pour soustraire l’apartheid à toute responsabilité

En 2016, le gouvernement a publié une note d’orientation sur les marchés publics à l’intention des autorités locales qui ne faisait que réaffirmer la politique existante, contrairement à une prétendue « interdiction des boycotts » qui avait été lancée des mois auparavant. Les restrictions imposées aux régimes de retraite des collectivités locales sont, quant à elles, contestées devant les tribunaux.

Mais des plans plus radicaux pourraient être en préparation – par exemple, interdire aux groupes pro-BDS d’utiliser les installations des autorités locales (comme on l’a vu et comme on le conteste en Allemagne).

Les événements en Grande-Bretagne s’inscrivent dans un contexte plus large d’intensification des attaques contre les Palestiniens et leurs alliés, y compris aux États-Unis et en France. Ce qui relie ces développements correspond à un effort concerté du gouvernement israélien et de ses partisans pour protéger l’apartheid de toute responsabilité.

 

Confusion entre antisémitisme et antisionisme

Ainsi, alors qu’Israël cimente un seul État à ségrégation raciale sur le terrain, deux tentatives connexes sont faites pour stigmatiser l’opposition internationale comme une forme d’« antisémitisme ».

Premièrement, toute action concernant la responsabilité – ne serait-ce que l’étiquetage exact des produits des colonies israéliennes, sans parler de leur boycott – constitue une « singularisation » d’Israël et est donc antisémite.

Deuxièmement, mettre en question ou critiquer l’identité d’Israël en tant qu’« État juif » en raison de ce que cela signifie pour les Palestiniens est également considéré comme « antisémite » – ce qui, dans une ère post-deux États, sera de plus en plus utilisé pour délégitimer les appels à la transformation du statu quo de l’apartheid en un seul État démocratique.

Des personnes manifestent contre l’antisémitisme présumé du parti travailliste britannique en 2018 (AFP)

Ces deux éléments font partie des définitions de l’antisémitisme utilisées pour étouffer le débat, notamment dans la rédaction du document de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Comme l’a écrit Jared Kushner dans le New York Times la semaine dernière : « La définition de la Remembrance Alliance établit clairement ce que notre administration a déclaré publiquement et officiellement : l’antisionisme est de l’antisémitisme. »

« Je suppose que si Kushner ou moi étions nés dans une famille palestinienne déplacée en 1948, nous pourrions avoir une vision différente du sionisme. »

– Kenneth Stern, auteur de la définition de l’IHRA de l’antisémitisme

Et l’auteur du texte sur lequel est basée la définition de l’IHRA, Kenneth Stern, s’est senti obligé la semaine dernière de dénoncer la façon dont les allégations d’« antisémitisme » sont utilisées pour attaquer la liberté d’expression légitime. « Je suppose que si Kushner ou moi étions nés dans une famille palestinienne déplacée en 1948, nous pourrions avoir une vision différente du sionisme, et ce n’est pas nécessairement parce que nous vilipendons les juifs ou que nous pensons qu’ils conspirent pour nuire à l’humanité », a reconnu Stern.

« De plus, il y a un débat au sein de la communauté juive pour savoir si être juif exige d’être sioniste. Je ne sais pas si cette question peut être résolue, mais cela devrait effrayer tous les juifs que le gouvernement [américain] définisse fondamentalement la réponse pour nous. »

 

La criminalisation de l’activisme solidaire

L’affirmation selon laquelle le BDS est antisémite sous-tend les efforts visant à rendre toxique ou même à criminaliser l’activisme de solidarité en Palestine. « Nous faisons avancer la législation dans de nombreux pays contre le BDS … de sorte qu’il sera tout simplement illégal de boycotter Israël », a répondu l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Danny Danon, en 2016.

A cet égard, le gouvernement israélien travaille aux côtés de groupes non étatiques qui se concentrent sur la diffamation envers les organisations palestiniennes, israéliennes et internationales qui dénoncent les violations du droit international par Israël, ainsi qu’envers l’attaque de toute initiative visant à obliger Israël à rendre des comptes.

Les principaux protagonistes de ces efforts sont très transparents au sujet de leurs efforts, comme vous pouvez le voir dans une vidéo d’un débat d’experts qui s’est tenu au début de l’année et auquel ont participé l’ONG Monitor, Eugene Kontorovich du groupe de réflexion de droite Kohelet Forum, Shurat HaDin, et un fonctionnaire du ministère israélien des Affaires stratégiques.

Kontorovich, par exemple, illustre l’ambivalence parmi ceux qui, en Israël, cherchent à la fois à normaliser et à faire progresser l’emprise permanente d’Israël sur la Cisjordanie occupée, y compris ses colonies illégales, tout en formulant simultanément une opposition significative à une colonisation et une annexion inadmissibles.

 

Une bataille à intensifier

Comme l’a dit Joshua Leifer, rédacteur en chef adjoint de Dissent Magazine, plus tôt ce mois-ci : « Alors que le paradigme des deux États disparaît enfin de la scène, le gouvernement israélien pousse des initiatives à travers le monde pour codifier l’opposition à la réalité d’un seul État comme antisémite. »

Avec le Premier ministre britannique Boris Johnson, il y a malheureusement de bonnes raisons de s’attendre à ce qu’un gouvernement conservateur entretenant des relations étroites avec l’administration Trump – et avec un cabinet comprenant des partisans d’Israël déterminés – soit désireux de jouer son rôle dans la déshumanisation envers les Palestiniens.

Ici, en Grande-Bretagne, la bataille pour insister sur l’humanité et les droits fondamentaux des Palestiniens ne fera que s’intensifier

Si cela vous semble trop fort, alors écoutez les paroles du rédacteur en chef Amjad Iraqi, qui a mis en garde la semaine dernière contre le « message effrayant » délivré par des gouvernements comme celui des États-Unis et de la France : à savoir que « les Palestiniens n’ont pas le droit d’avoir un rôle politique en tant que peuple luttant pour la justice et les droits de l’homme ».

C’est ce sombre paysage qui est contesté, et ici en Grande-Bretagne, la bataille pour faire valoir l’humanité et les droits fondamentaux des Palestiniens ne fera que s’intensifier.

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Ben White est l’auteur de « L’Apartheid israélien : A Beginner’s Guide » et « Palestiniens en Israël : Ségrégation, discrimination et démocratie ». Il écrit pour le Middle East Monitor, et ses articles ont été publiés par Al Jazeera, al-Araby, le Huffington Post, The Electronic Intifada, The Guardian, et d’autres encore.

Source : Middle East Eye, Ben White, 18-12-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.

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