Le recours à l’hydroxychloroquine dans le cadre de la lutte contre le coronavirus Covid-19 (en association ou non avec un antibiotique) a embrasé l’espace médiatique et scientifique de la planète en quelques jours. Et nombreux sont ceux, hors du monde scientifique, qui semblent avoir un avis tranché sur une question pourtant bien complexe.
Afin d’essayer de s’y retrouver, il s’avère utile de distinguer plusieurs questions.
Didier Raoult affirme l’efficacité de l’hydroxychloroquine sur la base d’une étude qu’il a menée avec son équipe et qui a été publiée dans une revue scientifique [1]. Sa conclusion est la suivante : « Malgré la petite taille de son échantillon, notre étude montre que le traitement par l’hydroxychloroquine est significativement associé à une réduction / disparition de la charge virale chez les patients COVID-19 et son effet est renforcé par l’azithromycine. » Elle a fait l’objet de très nombreuses critiques de fond qui ont porté sur des points majeurs enlevant toute valeur aux données produites : absence de répartition aléatoire (« randomisation ») des groupes « patients traités » et « contrôle », absence de double aveugle, six patients écartés de l’analyse (dont trois partis en unité de soins intensifs et un décédé), nature et fréquence des tests réalisés, etc. (voir par exemple sur le site Pubpeer [2]).
Sur l’efficacité du traitement à l’hydroxychloroquine, avec ou sans antibiotique, tout ce qu’on peut dire aujourd’hui, c’est qu’on ne sait pas. L’étude de D. Raoult n’apporte rien de nouveau en raison de ses biais majeurs. Mais cela est vrai dans les deux sens : que ce soit pour affirmer une efficacité ou que ce soit pour la réfuter. Et, à ce jour, aucune étude publiée ne permet de répondre de façon fiable à la question. Savoir si l’hydroxychloroquine a un effet, et le cas échéant, dans quelles conditions, pour quelle cible et avec quelle posologie, fait l’objet d’études en cours dans plusieurs pays [3,4]. Et la réponse pourrait arriver très rapidement.
Ce qui justifie que l’hydroxychloroquine fasse l’objet d’une attention particulière tient au fait qu’elle est connue pour avoir des effets in vitro contre plusieurs virus (par exemple contre le virus de la grippe [5] ou contre le virus Ebola [6], et même contre le virus responsable de l’épidémie en cours [7]), mais sans jamais avoir pu confirmer ces effets in vivo, chez l’être humain. Comme le résument l’Académie de médecine et l’Académie de pharmacie dans un communiqué commun en date du 26 mars 2020 [8], « au vu des données actuelles de la science, […] la démonstration de l’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine n’est pas faite à ce jour ». Elles soulignent que « des présomptions existent cependant, en particulier la négativation de la charge virale d’un certain nombre de patients, qui justifient sa prise en considération par la mise en œuvre urgente d’essais cliniques afin de tester ce produit sur des critères cliniques ».
Le recours à un médicament ou à une thérapie relève toujours d’une analyse du rapport entre les bénéfices apportés et les risques pris. Ici, la difficulté fondamentale est que les bénéfices sont inconnus. Sont-ils potentiellement importants et justifient-ils la prise de risque associée, partiellement connue ? Ou sont-ils au contraire trop faibles ou inexistants tandis que des effets secondaires peuvent provoquer une aggravation de la situation des patients traités ? En temps normal, on peut sans trop de problèmes attendre que les études cliniques apportent les informations nécessaires. Mais en période de crise, on se rend bien compte que la question se pose en des termes différents. C’est ainsi que le gouvernement français a autorisé par un décret du 26 mars 2020 le recours à l’hydroxychloroquine de façon très encadrée [9] et au cas par cas dans le cadre de prises en charge hospitalières (suivant ainsi la recommandation faite par le Haut conseil de la santé publique [10]).
Le recours à un traitement non validé en période de crise sanitaire pose une question d’éthique : le risque d’aggraver la situation des patients pris en charge versus le risque de passer à côté d’un traitement efficace et disponible (« perte de chance »). Cette question n’est pas propre à la pandémie de Covid-19 et avait été posée par l’Organisation mondiale de la santé dans le cadre de la lutte contre la maladie due au virus Ebola [11]. Dans son rapport rédigé en 2014, l’OMS mettait en avant certains critères éthiques fondamentaux : « la transparence sur tous les aspects des soins, le consentement éclairé, la liberté de choix, la confidentialité, le respect de la personne, la préservation de la dignité » mais aussi, afin d’évaluer les effets du traitement, l’« obligation morale de collecter et de partager toutes les données générées, y compris à partir de traitements fournis pour un “usage compassionnel” (accès à un médicament non approuvé en dehors d’un essai clinique) ». Et, dans le même temps où ces traitements étaient mis en place, le rapport de l’OMS soulignait « le devoir moral » de la mise en œuvre d’essais cliniques rigoureux afin de fournir les preuves de l’innocuité et de l’efficacité, ou, au contraire, les preuves devant conduire à arrêter le traitement.
La controverse autour de l’hydroxychloroquine est largement sortie du cadre scientifique qui aurait dû rester le sien. L’équipe de D. Raoult s’est directement impliquée dans cette médiatisation via les réseaux sociaux, les conférences de presse, les vidéos et l’ouverture de consultations affichant la mise en œuvre de son traitement. Des pétitions circulent, des responsables politiques prennent parti, affirment avoir eu recours à l’hydroxychloroquine et se sentir mieux (voir par exemple [12]). Ce contexte passionnel n’est propice ni à une bonne gestion de crise, ni à des décisions rationnelles, ni même à un débat scientifique serein.
La gestion de crise implique aussi l’examen de toutes les conséquences sanitaires, économiques et sociales des décisions prises. Les aspects économiques et sociaux des décisions peuvent avoir des effets collatéraux importants en matière de santé publique. Ainsi, dans le cadre de cette controverse, l’Académie de médecine et l’Académie de pharmacie, dans leur communiqué commun, s’inquiètent [8] des achats et des prescriptions d’hydroxychloroquine qui se multiplient hors de tout contrôle, avec le risque associé de pénurie pour les patients présentant une maladie auto-immune ou un rhumatisme inflammatoire qui ont recours à ce médicament, de « l’utilisation de ce produit à des posologies individuelles sans surveillance médicale stricte », de « confusions possibles dans la population entre chloroquine et hydroxychloroquine » ou encore de vente d’hydroxychloroquine sur Internet (avec les risques de faux médicaments).
Autre effet collatéral relevé par plusieurs infectiologues engagés dans les essais cliniques en cours pour évaluer différents traitements (dont l’hydroxychloroquine) : le refus de nombreux patients (et même de certains médecins) de se voir prescrire ou de prescrire autre chose que l’hydroxychloroquine [13].
En période d’urgence sanitaire, la méthode scientifique reste inchangée : les faits sont établis en suivant les protocoles qui fondent la démarche scientifique. Il n’y a pas d’autres moyens d’accéder à une connaissance fiable. L’intuition, l’opinion ou le témoignage de patients ne peuvent devenir soudainement des méthodes valides. Ou alors, la moindre allégation non démontrée pourrait devenir vérité.
Par contre, la décision relève d’autres paramètres. Elle doit se faire aujourd’hui en situation d’incertitude scientifique et se doit donc de considérer l’usage de traitements non encore validés, si elle estime que le rapport bénéfices sur risques, en considérant toutes ses dimensions, le justifie.
1 | Gautret P. et al., “Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19 : results of an open-label non-randomized clinical trial”, International Journal of Antimicrobial Agents, version en ligne, 20 March 2020.
2 | Pubpeer
3 | Inserm, « Lancement d’un essai clinique européen contre le Covid-19 », 22 mars 2020
4 | Centers for Disease Control and Prevention, “Information for Clinicians on Therapeutic Options for COVID-19 Patients”, page mise à jour le 20 mars 2020.
5 | Paton NI. et al., “Chloroquine for influenza prevention : a randomised, double-blind, placebo controlled trial”, The Lancet Infectious Diseases, 1er septembre 2011.
6 | Dowall SD. et al., “Chloroquine inhibited Ebola virus replication in vitro but failed to protect against infection and disease in the in vivo guinea pig model Open Access”, Journal of General Virology, 1er décembre 2015.
7 | Wang M. et al., “Remdesivir and chloroquine effectively inhibit the recently emerged novel coronavirus (2019-nCoV) in vitro”, Cell Res, 4 février 2020.
8 | Communiqué de des Académies nationales de médecine et de pharmacie, 26 mars 2020.
9 | Décret relatif aux mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, 25 mars 2020.
10 | Haut conseil de la santé publique, Coronavirus SARS-CoV-2 : recommandations thérapeutiques, 23 mars 2020.
11 | Organisation mondiale de la santé, “Ethical considerations for use of unregistered interventions for Ebola virus disease”, Report of an advisory panel to WHO, 2014.
12 | « Coronavirus : traité à la chloroquine, Christian Estrosi a "le sentiment d’être guéri" », Boursorama avec AFP, 23 mars 2020.
13 | “Le buzz sur la chloroquine freine l’essai clinique européen Discovery », Libération, 26 mars 2020
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