A propos des définitions bizarres d'Israël : La Cisjordanie est déjà annexée
Article originel : On Israel’s Bizarre Definitions: The West Bank is Already Annexed
Par Ramzy Baroud
Ramzybarroud.net*
Article envoyé à 11h25, mis en ligne à 12h00 (heure française)
Le mercredi 1er juillet était censé être le jour où le gouvernement israélien annexerait 30% de la Cisjordanie palestinienne occupée et de la vallée du Jourdain. Cependant, cette date est passée et l’annexion ne s’est jamais concrétisée.
« Je ne sais pas s’il y aura une déclaration de souveraineté aujourd’hui », a déclaré le ministre israélien des Affaires étrangères, Gabi Ashkenazi, en référence à l’échéance auto-imposée déclarée plus tôt par le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou. Une autre date n’a pas été annoncée immédiatement.
Mais est-ce que c’est vraiment important ?
Que l’appropriation illégale de terres palestiniennes par Israël se fasse avec une fanfare médiatique massive et une déclaration de souveraineté, ou qu’elle se fasse progressivement au cours des prochains jours, semaines et mois, Israël a, en réalité, déjà annexé la Cisjordanie ; pas seulement 30% mais, en fait, toute la région.
Il est essentiel que nous comprenions des termes tels que « annexion », « illégal », « occupation militaire », etc., dans leurs contextes appropriés.
Par exemple, le droit international considère que toutes les colonies juives d’Israël, construites où que ce soit sur les terres palestiniennes occupées pendant la guerre de 1967 sont illégales.
Fait intéressant, Israël utilise également le terme « illégal » pour désigner les colonies, mais uniquement les « avant-postes » qui ont été érigés dans les territoires occupés sans l’autorisation du gouvernement israélien.
En d’autres termes, si, dans le lexique israélien, la grande majorité de toutes les activités de colonisation en Palestine occupée sont considérées « légales », le reste ne peut être légalisé que par les voies officielles. En effet, nombre des 132 colonies « légales » d’aujourd’hui en Cisjordanie et à Al-Quds (Jérusalem), abritant plus d’un demi-million de colons juifs israéliens, ont commencé comme des « avant-postes illégaux ».
Bien que cette logique puisse satisfaire le besoin du gouvernement israélien de s’assurer que son projet colonial implacable en Palestine suive un plan centralisé, rien de tout cela n’a d’importance en droit international.
L’article 49 de la Quatrième Convention de Genève dispose que « Les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre état, occupé ou non, sont interdits, quel qu’en soit le motif », ajoutant que « La Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle. »
Israël a violé ses devoirs envers le droit international en tant que « puissance occupante » à de nombreuses reprises, faisant de son « occupation » même de la Palestine une violation de la façon dont les occupations militaires doivent être menées ; sans même parler du fait que de toute façon, elles sont censées être temporaires.
L’occupation militaire est différente de l’annexion. La première est une transition temporaire, à la fin de laquelle la « puissance occupante » devrait, en fait, être obligée de renoncer à son emprise militaire sur le territoire occupé après un laps de temps déterminé. L’annexion, en revanche, est une violation flagrante des Conventions de Genève et des lois de La Haye. Elle équivaut à un crime de guerre, car il est strictement interdit à l’occupant de proclamer une souveraineté unilatérale sur les terres occupées.
Le tollé international généré par le projet de Netanyahou d’annexer un tiers de la Cisjordanie est parfaitement compréhensible. Mais le plus gros problème en jeu est que dans la pratique, les violations par Israël des conditions d’occupation lui ont accordé une annexion de facto de l’ensemble de la Cisjordanie.
Ainsi, lorsque l’Union européenne, par exemple, exige qu’Israël abandonne ses plans d’annexion, elle demande simplement à Israël de ré-embrasser le statu quo ante, celui de l’annexion de facto au lieu de l’annexion de jure. Mais les deux scénarios abominables devraient tous deux être rejetés.
Israël a commencé à utiliser les territoires occupés comme s’ils étaient des parties contiguës et permanentes de ce qu’on appelle Israël proprement dit immédiatement après la guerre de juin 1967. En quelques années, il a érigé des colonies illégales, maintenant devenues des villes prospères, déplaçant finalement des centaines de milliers de ses propres citoyens pour peupler les zones nouvellement acquises.
Cette exploitation est devenue plus sophistiquée avec le temps, les Palestiniens étant soumis à un nettoyage ethnique lent mais irréversible. Alors que les maisons palestiniennes ont été détruites, les fermes confisquées et des régions entières dépeuplées, des colons juifs sont venus prendre leur place. Le scénario post-1967 était une répétition de l’histoire post-1948, qui a conduit à l’établissement de l’État d’Israël sur les ruines de la Palestine historique.
Moshe Dayan, qui a servi comme ministre de la Défense d’Israël pendant la guerre de 1967, a clairement expliqué la logique israélienne dans un discours historique à l’Université Technion d’Israël en mars 1969. « Nous sommes arrivés dans ce pays qui était déjà peuplé d’Arabes, et nous sommes en train d’établir un État hébreu, c’est à dire juif à la place », a-t-il déclaré.
« Des villages juifs ont été construits à la place des villages arabes. Vous ne connaissez même pas les noms de ces villages arabes, et je ne vous en veux pas, car ces livres de géographie n’existent plus ; non seulement les livres n’existent pas, mais les villages arabes ne sont pas là non plus… Il n’y a pas un seul endroit construit dans ce pays qui n’ait pas eu une ancienne population arabe », a-t-il ajouté.
La même approche coloniale a été appliquée à Jérusalem-Est et en Cisjordanie après la guerre de 1967. Alors que Jérusalem-Est a été officiellement annexée en 1980, la Cisjordanie a été annexée dans les faits, mais pas par une proclamation légale israélienne claire. Pourquoi ? En un mot : la démographie.
Quand Israël a occupé Jérusalem-Est pour la première fois, il a initié une frénésie de transfert de population : déplacement de sa propre population vers la ville palestinienne, élargissement stratégique des limites municipales d’Al-Quds (Jérusalem) pour y inclure autant de Juifs et aussi peu de Palestiniens que possible, réduction lente de la population palestinienne d’Al-Quds à travers de nombreuses tactiques, y compris la révocation de la résidence et le nettoyage ethnique pur et simple, etc.
Et, par conséquent, la population palestinienne d’Al-Quds, qui constituait autrefois la majorité absolue, est maintenant réduite à une minorité en déclin.
Le même processus a été lancé dans certaines parties de la Cisjordanie, mais en raison de la taille relativement importante de la zone et de la population, il n’a pas été possible de suivre un stratagème d’annexion similaire sans compromettre la volonté d’Israël de maintenir la majorité juive.
La division de la Cisjordanie en zones A, B et C à la suite des désastreux accords d’Oslo a donné une bouée de sauvetage à Israël, ce qui lui a permis d’augmenter les activités de colonisation dans la zone C —près de 60% de la Cisjordanie— sans trop insister sur les déséquilibres démographiques. La zone C, où le plan d’annexion actuel doit avoir lieu, est idéale pour le colonialisme israélien, car elle comprend les terres les plus arables, les plus riches en ressources et les moins peuplées de Palestine.
Peu importe que l’annexion ait une date fixe ou se fasse progressivement par le biais des déclarations de souveraineté progressives d’Israël sur des morceaux de Cisjordanie à l’avenir. Le fait est que l’annexion n’est pas un nouvel agenda politique israélien dicté par les circonstances politiques à Tel-Aviv et à Washington. Au contraire, l’annexion a été l’objectif colonial israélien ultime depuis le tout début.
Ne nous laissons pas empêtrer dans les définitions bizarres d’Israël. La vérité est qu’Israël se comporte rarement en tant que « puissance occupante », mais en tant que souverain dans un pays où la discrimination raciale et l’apartheid sont non seulement tolérés ou acceptables, mais sont en fait également « légaux ».
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*Ramzy Baroud est journaliste et rédacteur en chef de The Palestine Chronicle. Il est l’auteur de cinq livres. Son dernier en date est « Ces chaînes seront brisées : histoires palestiniennes de lutte et de défi dans les prisons israéliennes » (Clarity Press, Atlanta). Le Dr Baroud est chercheur principal non résident au Centre pour l’islam et les affaires mondiales (CIGA) de l’Université Zaïm d’Istanbul (IZU).
Traduction : lecridespeuples.fr
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