Les Yéménites lassés par la guerre voient une menace dans le rôle de plus en plus public d'Israël dans leur pays (MintPress News)

Les Yéménites lassés par la guerre voient une menace dans le rôle de plus en plus public d'Israël dans leur pays
Article originel : Palestine Redux. War-Weary Yemenis See Threat in Israel’s Increasingly Public Role in Their Country
Par Ahmed AbdulKareem
MintPress News

Beaucoup au Yémen craignent que les ambitions d'Israël dans leur pays ne s'arrêtent pas au détroit de Bab-el-Mandeb et des rumeurs circulent selon lesquelles des saisies de terres rappelant celles de la Palestine pourraient bientôt toucher les côtes du Yémen.

Les cuirassés israéliens sont désormais côte à côte avec les corvettes émiraties sinistrement amarrées dans les eaux territoriales de Hodeida, signe flagrant du rôle de plus en plus visible d'Israël dans la guerre au Yémen menée par la coalition saoudienne depuis une demi-décennie. Les navires représentent également autre chose pour les résidents du Yémen occidental, où la commémoration de l'anniversaire du prophète Muhammad par les Houthis s'est transformée jeudi en une manifestation contre ce que beaucoup considèrent comme une menace imminente à l'identité et à l'âme même de l'Islam, à leur autonomie, à leur sécurité et à leurs frères en Palestine.

Malgré la crise du carburant, la menace de la COVID-19 et l'une des guerres les plus sanglantes qui font actuellement rage sur la planète, des rassemblements massifs ont eu lieu dans la plupart des provinces du Yémen. Les manifestants ont crié des slogans contre le président français Emmanuel Macron, dont la défense publique des caricatures se moquant de la figure la plus sainte de l'Islam, le prophète Mahomet, sous le couvert de la liberté d'expression est considérée comme hypocrite, venant d'un pays où le fait de remettre en question les détails de l'Holocauste peut faire atterrir quelqu'un en prison. Les manifestants, et en fait de nombreux Musulmans dans toute la région, considèrent que les événements en France cachent un objectif plus néfaste de déshumanisation des Musulmans et d'éviscération de l'identité de ses adhérents de l'intérieur.

Les manifestants portaient des drapeaux verts, symbole du prophète Muhammad, et des banderoles portant des slogans contre Macron, la coalition saoudienne, et ses nouveaux partenaires israéliens. Dans la capitale du Yémen, Sana'a, où se sont déroulées les plus grandes manifestations, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans le district sud d'Al-Sabaean. Des expatriés de 20 pays, dont le Soudan, la Syrie, la Palestine, l'Égypte et le Bangladesh, ont pris part à la manifestation. Une délégation de la province de Najran, dans le sud de l'Arabie Saoudite, s'est même jointe à la manifestation.

Les événements ont été organisés principalement par les Houthis et le leader Houthi Abdulmalik Al-Houthi est monté sur le podium pour donner une allocution télévisée à un large public dans laquelle il a averti que les agences de renseignement occidentales aux États-Unis et en France étaient impliquées dans le soutien de la même interprétation extrémiste salafiste de l'Islam que celle qui est largement pratiquée en Arabie Saoudite, en partie pour ternir l'image de la religion et pour justifier les guerres dans les pays musulmans.

Al-Houthi a également averti que la distorsion et la mauvaise interprétation des enseignements islamiques avaient créé un profond fossé entre les Musulmans. "Les pays occidentaux ont utilisé de telles déviations pour insulter le Saint Coran et l'Islam. Il n'y a aucune pitié ou sympathie dans la civilisation occidentale. Ils piétinent les sociétés humaines, privent les gens de leur liberté, pillent leurs richesses et occupent leurs terres, puis font la leçon aux autres sur les droits de l'homme", a-t-il déclaré.

Les manifestations massives ont eu lieu malgré les menaces de violence des mêmes éléments que ceux dont Al-Houthi avait mis en garde. Dans les semaines qui ont précédé les rassemblements de jeudi, la police a mis en place des mesures spéciales pour assurer la sécurité pendant les procédures, notamment l'interdiction des gros camions dans le centre de Sanaa et la mise en place de points de contrôle supplémentaires dans la capitale yéménite et dans d'autres provinces.

Une photo aérienne montre les foules massives lors du rassemblement de jeudi à Sanaa, le 29 octobre 2020. Hani Mohammed | AP

Malgré les mesures de sécurité supplémentaires, Hassan Zaid, le ministre houthi de la jeunesse et des sports, a été assassiné mardi alors qu'il traversait Sanaa en voiture. Sa fille de 11 ans a été gravement blessée lors de l'attaque. Zaid était l'un des plus influents opposants politiques à l'Arabie saoudite et était recherché par le Royaume, qui a offert une prime de 10 millions de dollars pour toute information permettant sa capture. Les forces de sécurité houthies ont déclaré qu'elles avaient également déjoué des dizaines d'autres attentats prévus lors de la manifestation de jeudi.

Des colonies israéliennes au Yémen ?

L'ampleur des manifestations de cette semaine a éclipsé les rassemblements similaires qui ont eu lieu les années précédentes, non seulement en raison des commentaires de Macron en France, mais aussi en raison de l'opposition farouche au nouveau partenariat d'Israël avec les EAU et d'autres États riches du Golfe, et de sa présence de plus en plus active au Yémen.

Les Yéménites craignent qu'Israël ne cherche pas seulement à contrôler le détroit stratégique de Bab-el-Mandeb, efforts dont MintPress a parlé au cours des mois précédents, mais qu'il cherche aussi à laisser une empreinte permanente à l'intérieur du Yémen et espère remplacer les premiers habitants des îles et autres villes côtières par des colons israéliens dans un mouvement qui rappelle les accaparements de terres qui ont conduit à l'annexion de terres dans ce qui est maintenant Israël.

En octobre, le porte-parole houthi Yahya Saree a averti qu'Israël envisageait de naturaliser des dizaines de milliers de Juifs nés au Yémen, soulignant qu'un tel scénario constituait une grave menace pour la sécurité nationale du Yémen. Saree a présenté un certain nombre de documents de l'Agence de sécurité nationale qui ont été saisis lorsque les Houthis ont pris le contrôle du gouvernement de l'ancien président Ali Abdullah Saleh, qui a dirigé le Yémen pendant 33 ans.

Ces documents détaillent les visites de responsables israéliens au Yémen, facilitées par les EAU, au cours desquelles un certain nombre d'accords économiques, culturels et agricoles ont été négociés parallèlement à un accord visant à ouvrir l'espace aérien yéménite aux avions israéliens. Les documents les plus dangereux, selon Saree, concernent "la modernisation des forces militaires yéménites".

Selon ces documents, le diplomate israélien Bruce Kashdan est arrivé à Sanaa lors d'une visite inopinée le 14 juillet 2007, qui a duré 48 heures. Au cours de ce voyage, Kashdan a rencontré des hauts gradés de l'armée et de la sécurité yéménites qui sont des parents de Saleh. L'officiel israélien a quitté l'aéroport international de Sanaa le 16 juillet 2007. La visite avait été organisée par des responsables yéménites en collaboration avec les Émirats arabes unis. Kashdan, qui était également coordinateur des relations entre Tel-Aviv et Dubaï à l'époque, s'était également rendu au Yémen le 2 février 2005.

Une délégation de la Knesset israélienne s'est également rendue à Sanaa en mars 1996 et a reçu une hospitalité remarquable compte tenu de la position officielle du gouvernement yéménite envers Israël à l'époque. Les membres de la Knesset ont rencontré plusieurs hauts responsables civils et de la sécurité dirigés par l'ancien président Saleh. De nombreuses délégations israéliennes ont visité le Yémen entre 1995 et 2000 sous le couvert du tourisme, du commerce et des investissements, selon les documents de l'Agence nationale de sécurité.

Saree a accusé les EAU et Israël d'avoir relancé un projet qui accordait la citoyenneté israélienne à plus de 60 000 Yéménites. Selon un mémorandum adressé au ministre des affaires étrangères des EAU en 2004 par Hamad Saeed Al-Zaabi, l'ambassadeur des Émirats à Sanaa, une délégation israélienne a visité la capitale yéménite dans le cadre des efforts de normalisation et a présenté des demandes pour la construction d'un musée célébrant les Juifs yéménites à Sanaa, entre autres mesures comprenant la naturalisation de 45 000 Juifs yéménites en tant que citoyens israéliens. L'ambassadeur des Émirats a décrit cette initiative comme faisant partie d'un effort plus large poussé par les États-Unis.

Un Yéménite tient un drapeau vert avec une écriture arabe qui dit "à vos ordres, ô messager d'Allah", lors d'une célébration de Mawlid al-Nabi, la naissance du prophète Mohammed à Sanaa, au Yémen, le 29 octobre 2020. Hani Mohammed | AP

* Ahmed AbdulKareem est un journaliste yéménite. Il couvre la guerre au Yémen pour MintPress News ainsi que pour les médias locaux yéménites

Traduction SLT

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