La liberté d'expression en France s'étend aussi aux critiques de Macron
Article originel : Freedom of speech in France extends to Macron's critics as well
Peter Oborne
Middle East Eye
Le retrait de deux articles critiquant la rhétorique du président français envers les Musulmans soulève des questions sur son propre engagement envers les valeurs qu'il prétend défendre
La semaine dernière, le président français Emmanuel Macron a donné une interview à la chaîne de télévision Al Jazeera, disant qu'il comprenait et respectait la détresse causée dans le monde musulman par la publication de caricatures insultantes du prophète Mahomet.
Cependant, il a insisté sur le fait qu'il défendrait toujours "la liberté d'écrire, de penser et de dessiner".
C'est une position de principe qui a gagné la sympathie de Macron dans le monde entier, jamais autant qu'à la suite des atrocités effroyables commises en France ces trois dernières semaines.
Mais le principe de la liberté d'expression est-il vraiment aussi absolu que le dit Macron ? Je commence à me le demander. Ces derniers jours, il y a eu deux épisodes troublants où les critiques de Macron ont été réduites au silence.
L'un d'entre eux concerne la société de médias respectée Politico Europe. L'autre concerne le vénérable journal britannique, le Financial Times.
La semaine dernière, Politico a demandé à Farhad Khosrokhavar, professeur de sociologie à la retraite de l'École des hautes études en sciences sociales de Paris, d'écrire en réponse aux récentes attaques en France.
Son article remettait en question l'analyse de Macron. Khosrokhavar demande pourquoi la France souffre de plus d'attaques d'inspiration jihadiste que ses voisins européens.
Il a ensuite proposé que la raison était "la forme extrême de laïcité de la France et son adhésion au blasphème, qui a alimenté le radicalisme au sein d'une minorité marginalisée".
L'article a été publié sur le site Politico le 31 octobre. Un certain nombre d'observateurs, dont un journaliste de Politico, ont critiqué l'article, le décrivant comme un exemple de "blâme des victimes".
Peu de temps après sa publication, l'article a été retiré. À sa place a été publiée une "Note de l'éditeur", Stephen Brown, indiquant que l'article avait été retiré car il "ne répond pas à nos normes éditoriales".
Le 2 novembre, Politico a publié une réponse de Gabriel Attal, un ministre de second rang et porte-parole du gouvernement français.
Attal a écrit que l'article de Khosrokhavar "cherchait à faire porter la responsabilité de ces événements tragiques sur la laïcité de la France", ce que le ministre a décrit comme "une insulte à ceux qui sont morts et un renversement impensable des rôles entre les agresseurs et les attaqués".
Plainte pour censure
Khosrokhavar a ensuite lancé une campagne féroce accusant Politico de censure - une accusation que Stephen Brown dément.
Quelques jours plus tard, le Financial Times publie un article intitulé "La guerre de Macron contre le "séparatisme islamique" ne fait que diviser davantage la France", écrit par sa correspondante à Bruxelles, Mehreen Khan.
Dans cet article, Khan accusait le gouvernement Macron d'avoir choisi "d'attiser la panique morale sur la "question musulmane"".
Elle a également déclaré que Macron avait "choisi une stratégie qui sert l'extrême droite et ses ambitions électorales".
L'article de Khan est resté en lignet pendant quelques heures avant d'être retiré par le journal, expliquant qu'il avait été retiré "après qu'il soit apparu qu'il contenait des erreurs factuelles".
L'une de ces erreurs concernait la déclaration de Khan selon laquelle "aucune femme portant le foulard n'a commis d'attentat terroriste en France". Cette affirmation était fausse.
L'article citait à tort Macron comme faisant référence au "séparatisme islamique" plutôt qu'au "séparatisme islamiste".
Plutôt que de laisser l'article en ligne avec des corrections, ce qui aurait été la ligne de conduite normale, le FT a pris la décision de supprimer l'article entièrement.
Il est à noter que le FT n'était pas la seule publication à citer Macron de cette manière. Le Wall Street Journal et The Spectator en sont deux exemples.
Un autre article de l'Associated Press utilise la même citation, bien qu'il fasse référence à un discours antérieur du président français.
Un titre du Guardian reprend la même citation avant d'être corrigé, sans toutefois la supprimer complètement.
Deux jours après avoir supprimé l'article de Mehreen Khan, le FT a donné au gouvernement français un droit de réponse. Cette fois-ci, il ne s'agissait pas d'un porte-parole, comme dans le cas de Politico. C'était le président français lui-même.
Dans une dénonciation solennelle, avec beaucoup d'espace sur la page des lettres, Macron a déclaré qu'il avait été "mal cité", ajoutant que l'article "m'accusait de stigmatiser les Musulmans français à des fins électorales et de favoriser un climat de peur et de suspicion à leur égard".
Il a dit aux lecteurs "ne nourrissons pas l'ignorance, en déformant les paroles d'un chef d'Etat".
Incompétence rédactionnelle
Les cas du Politico et du Financial Times sont très similaires.
Dans chaque cas, l'auteur a écrit un article critiquant la politique du gouvernement français. Dans chaque cas, le gouvernement a obtenu un droit de réponse. Et dans chaque cas, les lecteurs n'avaient aucun moyen de suivre le débat, car les pièces originales avaient été retirées au moment de la publication de la réponse.
Lorsque j'ai parlé à Stephen Brown, le rédacteur en chef de Politico, il m'a dit "Si un article ne correspond pas aux normes d'une publication, alors il devrait être retiré."
Lorsqu'on lui a demandé quelles étaient les normes éditoriales auxquelles l'article ne répondait pas, Brown a répondu : "L'article aurait dû préciser que ses arguments n'étaient pas destinés à justifier la violence.
"Le processus d'édition n'a pas respecté nos normes. Nous sommes en train de revoir notre processus d'édition", a-t-il ajouté.
Brown a déclaré à MEE : "Je n'ai reçu aucune critique ou plainte formelle de la part du gouvernement français, quelle qu'elle soit. Nous les avons invités à écrire une réfutation de l'article, que nous avons ensuite publiée sous forme de Lettre à l'éditeur".
Lorsque j'ai approché le Financial Times au sujet de l'article de Mehreen Khan, j'ai reçu la déclaration suivante :
"Le 2 novembre, nous avons retiré un article d'opinion publié brièvement sur FT.com lorsque nous avons découvert des inexactitudes factuelles qui auraient dû être saisies lors du processus de rédaction. Comme il comportait une mauvaise traduction d'une citation d'Emmanuel Macron, nous avons bien sûr offert un droit de réponse au président français. Nous avons publié sa lettre dans FT.
"FT publie un large éventail de voix et de points de vue. Nos lecteurs du monde entier apprécient l'indépendance et la qualité de notre journalisme, ainsi que notre perspective internationale. Le retrait de l'article n'a rien à voir avec les opinions exprimées par l'auteur, qui est un journaliste de FT".
FT et Politico blâment tous deux l'incompétence éditoriale pour la situation qui a conduit à la suppression des deux articles.
D'autres ont un point de vue différent. Bruno Macaes, ancien ministre portugais de l'Europe et membre du groupe de réflexion de l'Institut Hudson, affirme que le bureau du président Macron "a lancé un appel colérique à FT".
Il dit qu'il comprend que l'appel a été fait dans l'intention de faire retirer l'article, "mais la question ne s'est jamais posée car l'article allait être retiré de toute façon".
Politico et le FT démentent avec véhémence avoir retiré les articles en raison de la pression exercée par les autorités françaises.
Nous devons prendre les deux organisations de médias au mot. Les rédacteurs en chef font des erreurs.
Il est cependant frappant de constater que FT a accordé à Macron une latitude qu'il n'a pas accordée à sa propre rédactrice, Mehreen Khan.
Traduction SLT
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