Diplomatie : La France et le coup d’État au Mali
Par Raphaël Grandvaud
Billets d'Afrique
La France porte une lourde responsabilité dans la crise socio-politique malienne. Après avoir « pris acte » de la chute du président Ibrahim Boubacar Keita, son ancien protégé, elle n’entend pourtant nullement mettre un terme à son ingérence.
Comme c’est devenu une habitude depuis quelques années, pour récuser les accusations de néocolonialisme et d’ingérence dans les affaires intérieures africaines, la diplomatie française s’est abritée derrière un simple soutien aux pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour exprimer sa position concernant le nouveau coup d’État survenu au Mali. Cette fois pourtant, la CEDEAO s’est montrée, dans un premier temps, beaucoup plus ferme que la France, réclamant « le rétablissement du président Ibrahim Boubacar Keita en tant que président de la République », déniant « catégoriquement toute forme de légitimité aux putschistes » (communiqué du 20/08) et annonçant la mise en place d’un blocus économique à l’encontre du Mali. Si la France condamnait le putsch pour la forme, elle annonçait en revanche avoir « pris acte de l’annonce de la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta » (déclaration du ministre des Affaires étrangères, 19/08) avant de demander que soient posés « des jalons (…) pour le retour à l’ordre constitutionnel » (tweet d’Emmanuel Macron, 19/08) et le retour du pouvoir aux civils. En clair : une période de transition aboutissant à de nouvelles élections.
La CEDEAO s’est ensuite rapidement rangée sur cette ligne, les discussions avec la junte portant désormais sur la durée de la période de transition et la nature (civile ou militaire) du pouvoir intérimaire. L’institution ouest-africaine était en effet divisée sur la conduite à tenir, les plus intransigeants étant les présidents Ouattara en Côte d’Ivoire et Condé en Guinée : ceux-là même qui craignent le plus un scénario similaire chez eux parce qu’ils s’apprêtent à briguer un troisième mandat fortement contesté. Le soutien populaire dont bénéficie pour l’instant le coup d’État au Mali, qui est apparu comme l’aboutissement des très fortes mobilisations contre la fraude électorale et la corruption du pouvoir, expliquent en partie l’évolution des pays voisins. Mais celle-ci tient aussi à l’insistance des autorités françaises qui avaient pris soin de faire connaître la ligne à suivre en amont du sommet de la CEDEAO du 20 août. Tandis que Macron se chargeait de briefer au téléphone certains chefs d’États (l’Ivoirien Ouattara, le Nigérien Issoufou, le Sénégalais Sall…), Le Drian faisait parvenir une note aux diverses chancelleries, révélée par Jeune Afrique (26/08) : une pratique habituelle « avant les sommets des organisations régionales ou de l’Union africaine », « selon une source diplomatique » consultée par le journal. Dans cette note, le ministre français jugeait « irréaliste désormais, au regard de l’état d’esprit de la population et des forces politiques et sociales maliennes, d’insister sur le retour en fonction du président IBK ». Une telle tentative « ne pourrait qu’aboutir à une situation de blocage durable, nourrir l’instabilité au Mali, et obérer la mise en œuvre de l’accord de paix d’Alger et les efforts maliens, régionaux et internationaux de lutte contre le terrorisme ». Il estimait « inéluctable qu’une transition soit mise en place » qui « devra être conduite par des civils » et « a vocation à être supervisée par la région et à déboucher rapidement sur des élections en vue du rétablissement d’institutions démocratiques ». Cette transition devra « permettre la continuité des opérations internationales en soutien à la sécurité du peuple malien à et la lutte contre le terrorisme ».
- Le chef de la junte recevant l’ambassadeur de France Joël Meyer (masqué) et les commandants de Barkhane, fin août
C’est bien cette dernière préoccupation qui guide l’action française, et le président Macron n’en a pas fait mystère, ses premiers tweets après le putsch évoquant d’abord « la lutte contre les groupes terroristes » : sortir de l’État de droit « c’est provoquer l’instabilité et affaiblir notre combat. Ce n’est pas acceptable », estimait-il (19/08). « L’opération Barkhane (...) se poursuit », se réjouissait quant à elle la ministre des Armées (20/08). La logique militaire et sécuritaire dans laquelle la France a enfermé le Mali pour lutter contre les groupes djihadistes n’est pourtant pas pour rien dans la perpétuation de la crise que traverse le pays. Elle a dispensé les autorités de s’attaquer aux problèmes de fond qui nourrissent la croissance de ces groupes (sentiment d’injustice et de relégation des populations, insécurité, corruption), voire les a renforcés (fragmentation et replis identitaires, exactions des forces de sécurité, militarisation des conflits locaux, hostilité aux forces étrangères), et a empêché la recherche de solutions politiques. La délégation de fonctions régaliennes à des acteurs étrangers et l’ingérence incessante de la France ont par ailleurs accru le discrédit de l’État malien. Depuis l’imposition d’élections bâclées en 2013 jusqu’aux rencontres récentes de l’ambassadeur de France et des militaires de Barkhane avec les militaires putschistes, les autorités françaises n’ont jamais abdiqué leur droit de regard sur la politique intérieure malienne. La France aurait même de ce fait directement contribué à précipiter les derniers événements : depuis l’élection de Macron, IBK n’était plus jugé « à la hauteur des enjeux », comme l’avait publiquement déclaré le député macroniste Jean-Jacques Bridey, président de la commission de la Défense de l’Assemblée (Rfi.fr, 02/07/18) et la diplomatie française avait depuis davantage cherché à s’appuyer sur les Premiers ministres maliens successifs pour faire prévaloir ses vues. Le 9 août dernier, l’imam Dicko a accusé la France d’avoir mis son veto au départ du dernier en date, Boubou Cissé (ce que confirment d’autres sources recueillies par le journaliste Rémi Carayol pour Mediapart, 21/08), faisant échouer un projet d’accord avec le M5-RFP. Ce sont alors les militaires qui sont entrés en scène sous couvert de mettre un terme à la chute du pays « dans le chaos, l’anarchie et l’insécurité » (déclaration du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), 19/08).
Dès le lendemain de la prise du pouvoir, ces derniers se sont d’ailleurs empressés de donner des gages à la France, assurant que « la Minusma, la force “Barkhane”, le G5 Sahel, la force Takuba demeurent nos partenaires » et que « tous les accords passés » seraient respectés, affirmant être « attachés au processus d’Alger » (LeMonde.fr, 19/08), pourtant fortement rejeté au Mali. Une des questions qui se pose maintenant est de savoir si le nouveau pouvoir aura plus à cœur de satisfaire les attentes que les Maliens ont massivement exprimés ces dernières semaines ou de « rassurer les partenaires étrangers » (Rfi.fr, 08/25), car les deux approches ne sont assurément pas compatibles…
Raphaël Granvaud
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