Troisième lettre ouverte au Président Macron : Prière de cesser vos lectures dans le dictionnaire du colonialisme
Al Intichar
Monsieur le Président,
Une fois de plus, je vous remercie et vous assure de ma gratitude car il est indubitable que votre future troisième visite1 à Beyrouth en l’espace de quatre mois témoigne de votre intérêt exceptionnel pour le Liban. D’autant plus que, ces derniers jours, les tensions sociale et politique en France ont atteint des niveaux élevés rarement rencontrés, les défis actuels se posant avec une telle acuité qu’ils laissent présager des expériences plus dures encore que celles vécues en 1968 ou, bien avant, à l’époque charnière de l’indépendance algérienne et de la défaite française devant celle-ci.
En effet, aujourd’hui la lutte sociopolitique visant à sauver les acquis sociaux de l’époque gaulliste qui ont fait de la France le phare et l’exemple à suivre en matière de démocratie et de protection sociale, se heurte à loi relative à la « sécurité globale ». Une loi vue par une majorité de Français comme une destruction globale des fondements des libertés publiques et des droits individuels consacrés par les constitutions françaises successives depuis le tremblement de terre de 1789. L’argument des opposants à cette loi est qu’elle démolit, ne serait-ce qu’en théorie, l’un des piliers de la démocratie française, à savoir la « transparence » qui donne de la légitimité aussi bien aux mesures restrictives prises par les pouvoirs publics en matière de sécurité collective, qu’aux décisions des autorités relevant du Pouvoir judiciaire garant des principes de liberté et d’égalité inclus dans la triade de l’architecture républicaine.
Partant de ce constat, vous serez probablement surpris que je vous dise, bien que vous le sachiez déjà, une vérité qui fait que, nous au Liban et vous en France, nous sommes confrontés à des horreurs qui s’accumulent chez nous à cause de notre échec à construire une cohésion sociale ; lesquelles horreurs, toutes proportions gardées, risquent de s’accumuler chez vous pour cette même raison.
Si nous en sommes là c’est à cause de notre répartition dans des pénitenciers confessionnels et doctrinaires, l’appartenance à ces pénitenciers ayant désormais dépassé l’appartenance à la société nationale une et unifiée, d’où son effondrement et notre dégringolade dans le labyrinthe de l’échec menant à notre destruction globale. Des pénitenciers confessionnels qui ont fini par dominer le système politique puis transformer l’État en ce que vous savez, Monsieur le Président, vous qui êtes devenu par la toute puissance du maître de la Maison Blanche le superviseur de la destinée prescrite pour le Liban.
Grâce à Dieu, en France, vous ne souffrez pas de cette maladie incurable dont nous souffrons, j’entends par là les maux des pénitenciers confessionnels, mais vous souffrez d’autres maux qui peuvent vous mener à égarer votre boussole, ne serait-ce que le système du néolibéralisme auquel vous avez adhéré et qui pourrait vous mener à dépouiller votre société de ce qui a fait sa force et son unité, dont l’agonie ou la disparition de partis séculaires, l’affaiblissement de la résistance de la plupart des syndicats et la fragilisation de l’institution familiale qui est la composante fondamentale de toute société.
Quant à nous, c’est la France qui a grandement participé à l’élaboration de notre système politique, depuis que le comte Robert de Caix de Saint-Aymour a usé de son scalpel pour tailler dans la géographie levantine cette très belle carte de l’entité libanaise républicaine.
Pour plus de clarté, permettez que je vous rappelle une vérité de l’époque en citant, mot pour mot, un extrait du rapport intitulé « L’IMBROGLIO SYRIEN » et rédigé par le diplomate et écrivain français Pierre Bonardi, assistant de M. Robert de Caix, émissaire français au levant dans l’entre-deux-guerres, délégué à la Commission permanente des Mandats de la SDN et secrétaire général du général Henri Gouraud, le Haut-Commissaire de la France au Levant de 1919 à 1923 :
« Robert de Caix, esprit subtil et délié mais trop enclin à faire des expériences sur les corps sociaux, conçut une organisation qui parut d’abord, et paraît encore à certains Français et aux Maronites, assez adroite. Il bâtit le long de la Méditerranée un rempart inébranlable, ou prétendu tel, aux assauts du Panarabisme.
Mais il donna au Liban des terres qui appartenaient à l’État de Damas. Dans l’État Libanais chrétien, il enferma des Musulmans, des ennemis, et il en enferma tant que leur chiffre faillit passer en importance celui des Maronites. Il suscita ainsi un irrédentisme propice à toutes les effervescences.
Après la lune de miel apparaissait au ciel des épousailles la lune rousse…
Les Libanais du moins étaient satisfaits. Ils offrirent à M. Robert de Caix de donner son nom à une rue de Beyrouth.
– Mon nom à une rue, dit M. Robert de Caix. Donnez-le plutôt à une impasse ! »
Un rapport de 155 pages qui n’aurait été tiré qu’en 42 exemplaires, d’autant plus important qu’il a été publié en 1927, c’est-à-dire un an après l’élaboration de la Constitution libanaise sous la supervision du Haut-Commissaire Herny de Jouvenel, lequel l’a délibérément minée par l‘article 95 connu sous le nom de « l’article confessionnel », poursuivant en cela le travail de découpes de M. Robert de Caix sur des Levantins vus tels des cobayes dans ses « expériences sur les corps sociaux » !
Monsieur le Président,
Vu la mission qui vous a été confiée pour le Liban, je ne vous imagine pas ignorer ces faits historiques, même si votre principale spécialité porte sur le secteur bancaire et les salles de bourse où le tumulte et les clameurs servent à faire passer des décisions prises ailleurs, comme nous l’explique le défunt expert, Eustace Mullins dans son célèbre ouvrage intitulé « Les secrets de la Réserve fédérale ». Un ouvrage des plus remarquables, interdit d’édition et de parution par les puissances occultes pendant un quart de siècle environ.
Puissiez-vous, Monsieur le président, ne pas voir en l’auteur de ces lignes un obsédé par ladite théorie du complot. Citer cet ouvrage de M. Mullins m’amène juste à vous poser la question de savoir s’il ne serait pas opportun que vous prêtiez attention au fait que la Banque de New York, qui détient à elle seule la moitié des billets verts émis par la Réserve fédérale, s’est subrepticement infiltrée dans le système bancaire libanais et en est devenue le plus gros contributeur en plein effondrement financier et économique au Liban. Une question éventuellement dérangeante, vu que j’ignore si ce sujet vous a été exposé par la junte politico-financière qualifiée de corrompue d’emblée et à juste titre par votre Excellence.
Quoi qu’il en soit, votre intérêt manifeste pour ce qui se dit dans les cercles civils libanais fait que j’en profite pour vous dire que la « société civile » c’est nous ! Nous qui avons été dépouillés par les banques avec la complicité du gouverneur de la Banque du Liban, lequel a remporté les plus grands prix internationaux décernés par les cercles financiers occidentaux. Quant au cercle des banquiers criminels qui se prosternent avec révérence et déférence devant vous, pourquoi n’avoir rien fait pour qu’ils soient au moins traités comme la justice française traite aujourd’hui votre prédécesseur, le Président Nicolas Sarkozy, jugé pour corruption et contre lequel le parquet national financier a requis quatre ans de prison dont deux avec sursis ?
Il ne suffit pas de parler de corruption et de corrompus pour s’abstenir d’une quelconque forme de condamnation des seigneurs des banques, notamment ceux qui ont volé nos dépôts bancaires avant de les transférer illégalement vers les banques des États-Unis, de Grande-Bretagne, de France et de Suisse.
Parler des « corrompus libanais » signifie que vous possédez suffisamment d’informations sur le sujet. C’est pourquoi nous nous sommes attendus à ce que vous procédiez au gel de leurs avoirs dans les banques françaises. Je veux parler des avoirs de ceux qui ont détruit et appauvri les familles libanaises, d’un seul coup, par l’une des plus horribles arnaques que le monde ait connue. Une arnaque financière complémentaire du crime ayant réussi à faire exploser le port de Beyrouth et une partie de notre capitale par une sorte d’arme de destruction massive ; le champignon de fumées observé ayant révélé tous les non-dits sur cette affaire.
Une fois de plus, Monsieur le Président, puissiez-vous ne pas me prêter les intentions d’un complotiste, mais une question s’impose d’elle-même, vu que nous attendons toujours les images satellites du théâtre de l’explosion du port de Beyrouth et nous espérons qu’au final vous ne nous décevrez pas.
À ce propos, un reportage d’un collègue journaliste connu pour son sérieux, M. Paul Khalifé, nous a appris qu’une source française bien informée a déclaré que le satellite était verrouillé lors de l’explosion. C’est quand même bizarre ces satellites qui font la sieste et dorment d’un profond sommeil à chaque fois qu’Israël procède à une explosion.
Ainsi, le 7 juin 1981 et tandis que l’Irak de Saddam Hussein menait sa « guerre sacrée » contre l’Iran, avec le ferme soutien de la France, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’écrasante majorité des Pays arabes, les avions de combat israéliens sont allés bombarder le réacteur nucléaire «Tamouz » jusqu’à le détruire complètement. Un réacteur construit par la France suite au fameux accord entre Saddam Hussein et son ami « personnel » Jacques Chirac, Premier ministre de la France sous la présidence de Valérie Giscard d’Estaing. Ce jour-là, ni les AWACS américains qui survolaient les eaux du Golfe dans le cadre d’un accord entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite, ni les Saoudiens, ni les alliés occidentaux n’ont songé à informer les Irakiens sur les préparatifs de l’aviation militaire israélienne. Tous leurs radars et satellites faisaient la sieste.
De même, aucun des pays de l’OTAN n’a présenté d’images satellites du bombardement ayant frappé dans la matinée du 14 février 2005 le cortège du Premier ministre libanais, Rafic Hariri, lui aussi un ami « personnel » de Jacques Chirac devenu Président de la République française, lequel n’a rien pu faire en dépit de son amitié et de sa profonde tristesse. Cette fois, tous les satellites faisaient la grasse matinée.
Et il paraît que le 4 août 2020, tous les satellites de la France, des États-Unis et de Grande-Bretagne avaient été frappés par un coup de soleil, d’où leur sieste prolongée au-delà de 18h.
De prétendues siestes pour couvrir le crime de l’explosion provoquée du port de Beyrouth, comme le Président Donald Trump avait commencé par le reconnaître. Ce qui fait qu’il n’y a toujours pas d’images satellites pour ne pas révéler le rôle de l’enfant gâté : Israël.
Monsieur le Président,
Si vous vous abstenez d’aider les Libanais et en particulier les civils ayant été victimes du vol caractérisé des banques, et si vous vous abstenez d’aider le Liban en révélant la vérité sur ce qui s’est passé lors de l’explosion du port de Beyrouth, comment comptez-vous nous aider ?
Une question très simple, posée par une personne simple s’étant retrouvée du jour au lendemain dans le cortège des « nouveaux pauvres ». Tout ce qu’elle veut savoir c’est la vérité, pour qu’à sa lumière elle sache comment récupérer ses maigres économies au même titre que ses frères et sœurs en citoyenneté. Il n’est pas question que l’auteur de ces lignes soit moins courageux que l’enfant du sud libanais, Hussein al-Chartouni, lequel s’est moqué des pluies de balles israéliennes lorsqu’il est allé récupérer sa poule qui s’était échappée vers la bande frontalière entre le Liban et Israël. Donc, nous ne nous tairons pas.
Monsieur le Président,
Vous auriez dû prendre en considération ces questions lorsque vous avez co-présidé au début de ce mois de décembre la « Conférence internationale en soutien à la population libanaise ». Abstraction faite de la suspicion qu’un tel intitulé nous inspire en tant que citoyens libanais originaires et propriétaires de notre pays, certains points de votre approche de la crise libanaise méritent attention.
En effet, par une ironie du sort, vous faites campagne contre la corruption avec l’assentiment de tous les corrompus et, en même temps, vous évitez d’évoquer la responsabilité du système libanais en tant que système ségrégationniste tel qu’il a été conçu par MM. Robert de Caix et Henry de Jouvenel. Or, le système de l’apartheid est maudit en Occident depuis que le géant africain, Nelson Mandela, a réussi à le renverser. Pourquoi restez-vous silencieux sur l’apartheid au Liban ? Pourquoi vous contentez-vous de nous parler de votre souci pour ce que vous estimez représenter notre société civile alors que nombre de ses organisations sont ouvertement financées par l’étranger, comme l’a publiquement déclaré David Hale, le secrétaire d’État adjoint américain pour les Affaires politiques ?
Un deuxième point qui mérite attention concerne votre étonnante méfiance des Libanais de souche turkmène et votre inquiétude quant à leur éventuelle adoption de la nationalité turque, ce qui pourrait mener à la création d’une nouvelle minorité susceptible d’être manipulée par celui qui jouerait à faire mine de la protéger. Or, il ne faudrait pas oublier que la notion de minorités et le refrain des interventions pour la protection des minorités ont été introduits par les colonialistes français et britanniques. Dommage qu’un membre de votre administration suffisamment versé dans ces questions ne vous ait pas informé sur cette politique qui a justifié vos ingérences au nom de la protection des minorités pour ensuite les abandonner, car les exemples sont pléthores.
Parmi ces exemples, permettez que je vous informe d’un entretien accordé par le Président syrien Choukri al-Kouwatli et rapporté par feu l’écrivain français, Benoist Méchin, dans son ouvrage intitulé « UN PRINTEMPS ARABE ». Un entretien ayant coïncidé avec le jour de l’annonce de la création de la République arabe unie entre l’Égypte et la Syrie. À la question de savoir si le projet de l’union des pays arabes était logique, il avait répondu : « Nos frontières ne sont pas des limites, ce sont des blessures ». Des blessures profondes causées par le scalpel colonial.
Or, le Président Choukri al-Kouwatli est un citoyen syrien de souche turkmène, laquelle a compté quatre présidents syriens. Et puis il est le seul à avoir reçu le titre de « Premier citoyen arabe ». Tout un chacun peut donc constater l’énorme différence entre le Printemps d’hier et le prétendu printemps d’aujourd’hui.
Je vous prie Monsieur le Président de cesser vos lectures dans le dictionnaire du colonialisme. S’il pousse à la soumission ceux que vous avez-vous-même qualifiés de corrompus, sachez qu’il y a dans nos pays des hommes et des femmes libres et laïcs qui n’ont aucune considération pour la ségrégation raciale et qui ne pardonnent pas au colonialisme son alliance avec la corruption et les corrompus.
Veuillez recevoir, Monsieur le Président, mes meilleures salutations
Hassan Hamadé
Écrivain et chercheur libanais – Membre du Conseil national de l’audiovisuel (CNA)
source : https://alintichar.com/137725
Traduction Mouna Alno-Nakhal / Lu sur Reseau international
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