Début mars, au Senegal, l’arrestation d’un opposant a déclenché des protestations violemment réprimées. On compte au moins dix morts. La majorité des armes et du matériel utilisé par les forces de l’ordre sénégalaises vient de France.
« J’ai du mal à expliquer tout ce qu’il s’est passé là-bas, c’était horrible », témoigne Samba, après qu’une grenade ait explosé contre son pied lors d’une manifestation au Sénégal. Elle vient d’Alsetex, une entreprise française. Depuis des années, les forces de l’ordre sénégalaises possèdent un arsenal made in France qui a en partie servi à réprimer les protestations dans le pays début mars. StreetPress a identifié quatre entreprises tricolores en cause : Alsetex, Nobel Sport Sécurité, SAPL et Arquus. Ces sociétés fournissent grenades lacrymogènes, lanceurs, balles en caoutchouc et blindés.
Au total, au moins dix personnes seraient mortes durant les manifestations et près de 600 ont été blessées. Tout est parti de l’arrestation de l’opposant politique Ousmane Sonko par le GIGN local. Pressenti comme un concurrent potentiel au président Macky Sall – en poste depuis neuf ans – pour les élections de 2024, son interpellation a déclenché une vague de contestations dans tout le pays, alors que la dégradation des conditions de vie s’accentue depuis, au moins, le début de la pandémie. Face à cette situation et la violence des manifestations, l’ONG Amnesty International se dit très préoccupée.
Depuis plusieurs années déjà, le Sénégal possède un arsenal complet de grenades lacrymogènes made in France. Deux marques, qui équipent aussi les forces de l’ordre tricolores, se partagent le marché. D’un côté, l’entreprise Alsetex du groupe Etienne-Lacroix fournit des grenades CM6, bien connues des manifestants français depuis plus d’une vingtaine d’années. Une fois lancée, l’arme libère six palets en plastique noir contenant l’agent actif lacrymal qui vont rouler aléatoirement dans la foule et dégage une fumée sur une grande surface, environ 800 mètres carrés. Les forces de l’ordre sénégalaises utilisent même des modèles fabriqués en 2020, preuve que des livraisons récentes ont eu lieu. En plus des CM6, les polices locales manient également ses cousines que sont les CM3 et CM4, des grenades plus petites qui libèrent respectivement trois et quatre palets.
Alsetex partage le marché des lacrymos avec Nobel Sport Sécurité. Cette entreprise, dont le siège social est basé dans le 8ème arrondissement de Paris, fournit les policiers sénégalais avec des grenades MP7, PLMP 7B et 7C utilisées aussi en France depuis de longues années – notamment lors des opérations d’évacuation de Notre-Dame-des-Landes.
Visibles lors des affrontements, des grenades GM2L de Alsetex ont été également tirées sur la population. Celle-ci est bien connue en France pour avoir remplacé la GLI-F4, l’arme qui avait blessé 33 personnes durant le mouvement des Gilets jaunes – dont 5 mains arrachées. Sa successeuse est tout aussi dangereuse : avec 165 décibels à cinq mètres, elle surpasse le bruit d’un avion au décollage et dépasse le seuil de douleur sonore. Si elle est ramassée ou qu’elle explose contre un manifestant, elle peut provoquer de graves mutilations sur des membres du corps. La GM2L est classée en France comme arme de catégorie A2 qui correspond à du « matériel de guerre ».
Samba a été gravement blessé au pied par une grenade dont les caractéristiques correspondent à une GM2L de l'entreprise Alsetex. / Crédits : DR
Depuis le début des manifestations, au moins deux hommes ont perdu une main à cause de grenades, dont un membre du GIGN sénégalais lors d’affrontements le vendredi 5 mars 2021. Samba a lui été gravement blessé au pied par une grenade le même jour à Dakar. Après être sorti de l’hôpital, il est encore traumatisé par les faits :
« On avait des accrochages avec la gendarmerie et la police. Il y a eu presque quatre heures de combat. À un moment, ils ont commencé à tirer avec des balles réelles ou des grenades lacrymogènes qui ont explosé. Et leurs voitures blindées ont foncé sur nous, les manifestants. »
De nombreuses autres vidéos et photographies de blessures que StreetPress a pu récolter correspondent à des blessures et éclats de grenades GM2L. Certaines, comme la photo ci-dessous que nous avons flouté, peuvent causer d’énormes trous dans la peau.
Les éclats de grenades GM2L peuvent causer d’énormes trous dans la peau, comme la photo ici d'un manifestant. / Crédits : DR
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