Le géant industriel français, le Groupe Castel, est le troisième plus grand producteur de vin au monde, le deuxième plus grand brasseur en Afrique et un partenaire majeur de la firme américaine Coca-Cola pour l’embouteillage de ses boissons sur le continent africain. Avec ses quelques 240 filiales présentes dans 50 pays, le Groupe Castel est un empire familial qui génère des milliards de dollars de chiffre d’affaires chaque année dans les secteurs de l’agroalimentaire et des boissons. En coulisses, pour protéger ses parts de marché dans le secteur sucrier, l’une des filiales africaines du Groupe Castel a financé des milices armées responsables d’atrocités de masse.
Depuis près de 20 ans, le Groupe Castel exploite la Sucrerie Africaine de Centrafrique (SUCAF RCA) en République centrafricaine (RCA), un pays ravagé par la guerre classé 188ème sur 189 pays selon l’indice de développement humain des Nations Unies en 2020.1 L’enquête de The Sentry révèle que la SUCAF RCA a négocié un arrangement sécuritaire avec un groupe armé, l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), malgré un contexte de crise politique et sécuritaire aigüe fin 2014. Par cet accord tacite, les leaders de l’UPC se sont engagés à sécuriser l’usine et les champs de canne à sucre de la SUCAF RCA et à garantir la libre circulation sur les axes routiers clés nécessaires à l’approvisionnement de l’usine sucrière. La SUCAF RCA a également obtenu le soutien de l’UPC pour tenter de protéger le monopole de la société sur la distribution du sucre dans plusieurs préfectures du pays, notamment par la saisie forcée du sucre de contrebande, en particulier celui en provenance du Soudan. Afin de protéger son marché sucrier, la SUCAF RCA a mis en place un système sophistiqué et informel pour financer les milices armées par des paiements directs et indirects en espèces, ainsi que par un soutien en nature sous forme d’entretien des véhicules et de fourniture de carburant. Cet accord tacite entre la SUCAF RCA et les milices de l’UPC s’est poursuivi jusqu’en mars 2021, mais son avenir reste incertain en raison du déploiement de forces gouvernementales et russes dans des territoires anciennement contrôlés par l’UPC.
“Cultivating Atrocities ”
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Depuis leur création fin 2014, les milices de l’UPC, dirigées par le général autoproclamé Ali Darassa, ont commis des massacres, des enlèvements, des actes de torture, le recrutement d’enfants soldats ainsi que des violences sexuelles et basées sur le genre. Selon les Nations Unies, les milices de l’UPC ont commis des atrocités de masse pouvant constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. L’UPC est également responsable d’une attaque brutale lancée en novembre 2018 contre un camp de 18 000 personnes déplacées dans la ville d’Alindao, qui a entraîné le massacre de plus de 112 civils, pour la plupart des femmes et des enfants. L’enquête de The Sentry montre qu’Ali Darassa et Hassan Bouba, le numéro deux de l’UPC au moment de l’attaque d’Alindao, sont responsables de ce massacre. L’enquête révèle également que l’arrangement financier avec la SUCAF RCA a principalement profité aux deux hommes.
Les membres de l’équipe d’enquête de The Sentry se sont rendus à plusieurs reprises en Centrafrique, au Cameroun et en France au cours des deux dernières années. Ils ont examiné de nombreux documents et autres éléments de preuves, et ont mené plusieurs dizaines d’entretiens avec des personnes ayant une connaissance directe de la dynamique décrite dans le rapport, notamment des témoins des exactions de l’UPC, des membres de groupes armés et des personnes ayant une connaissance directe des arrangements entre la SUCAF RCA et les groupes armés, notamment l’UPC. Les informations fournies par The Sentry montrent que les filiales du groupe Castel, la SUCAF RCA et sa société mère basée à Paris, la Société d’Organisation de Management et de Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (SOMDIAA), ainsi que le consultant en sécurité de la SOMDIAA, le général français à la retraite Bruno Dary, ont été régulièrement informés des violations flagrantes des droits de l’homme commises par l’UPC. Malgré cette connaissance, l’enquête révèle que la direction de la SUCAF RCA a continué à fournir un soutien financier et logistique à des groupes criminels (principalement, mais pas exclusivement l’UPC) pendant plus de six ans, contribuant ainsi à alimenter le conflit armé en République centrafricaine.
Tenir les filiales du Groupe Castel et leurs directeurs respectifs responsables d’éventuelles complicités de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
- Le parquet national antiterroriste français devrait ouvrir une enquête urgente sur les allégations de complicité et la responsabilité pénale potentielles des filiales du Groupe Castel — principalement mais pas exclusivement la SOMDIAA basée à Paris et la SUCAF RCA basée en RCA — en matière de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en vertu du Code pénal français. Le parquet français devrait également enquêter sur la mise en danger délibérée de la vie des employés de la SUCAF RCA, ainsi que sur toutes autres infractions économiques et financières liées aux allégations de saisies et de contrebande de sucre décrites dans ce rapport d’enquête.
- Les parquets de la Cour pénale internationale (CPI) et de la Cour pénale spéciale de la République centrafricaine (CPS) devraient entreprendre un examen urgent des preuves présentées dans ce rapport et ouvrir une enquête sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés commis par l’UPC et la potentielle complicité de leurs facilitateurs, en particulier la SOMDIAA et la SUCAF RCA, dans le contexte de la recrudescence de la violence en RCA à partir de décembre 2012. La CPI et la CPS devraient encourager la coopération entre les acteurs internationaux et nationaux et s’attaquer plus directement aux motifs financiers qui alimentent les atrocités de masse dans le conflit centrafricain.
- Les sociétés, les actifs et les actionnaires qui constituent l’empire d’affaires de Pierre Castel devraient immédiatement fournir aux autorités compétentes tous les documents liés à ce rapport qu’ils ont en leur possession, et entreprendre une enquête ouverte et transparente sur les liens présumés entre leurs entreprises et le conflit armé en RCA. Les entreprises concernées et leurs conseils d’administration respectifs devraient également lancer d’urgence un audit de diligence raisonnable complet en matière de droits de l’homme et de lutte contre la corruption de leurs opérations en République centrafricaine par l’intermédiaire d’un tiers externe.
- Les autorités de contrôle de la République centrafricaine devraient ouvrir une enquête urgente sur la responsabilité pénale potentielle qui découle de ce rapport, en particulier en référence aux allégations de crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité perpétrés par Ali Darassa et l’actuel ministre centrafricain de l’Élevage, Hassan Bouba, et collaborer avec d’autres autorités judiciaires concernant la complicité potentielle des filiales du Groupe Castel, la SOMDIAA et la SUCAF RCA, dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
- Les Nations Unies, l’Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni devraient enquêter et, le cas échéant, procéder à des désignations de sanctions à l’encontre des leaders de l’UPC ainsi que du réseau d’individus et d’entités lié aux filiales du Groupe Castel mis en évidence dans ce rapport. Les autorités devraient chercher à suivre les actifs liés au produit de cette activité et, le cas échéant, les confisquer et fournir les ressources à des fins de développement.
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- Rapport de l'IRSEM de novembre 2018. Comment l'armée française considère le blog de SLT et ...les autres