Les mémos de la terreur
Disclose, 21.11.21
Disclose a obtenu des centaines de documents secrets issus du plus haut sommet de l’État. Ils révèlent la responsabilité de la France dans les crimes de la dictature d’Abdel Fattah Al-Sissi en Egypte. Découvrez les « mémos de la terreur », à partir de dimanche 21 novembre et pendant toute la semaine...
En début de matinée, le samedi 13 février 2016, un bus aux rideaux tirés franchit le portail de la base militaire de Marsa Matruh, à 570 kilomètres du Caire. Le véhicule s’arrête devant un baraquement couleur sable. Dix hommes en descendent, des Français arrivés en Egypte quelques jours plus tôt avec des visas « touristes ». Précédé par des militaires locaux, le groupe s’engouffre dans un bâtiment aux équipements rudimentaires, sans point d’eau et à la climatisation défectueuse. Ce sera leur quartier général. Le centre de commandement d’une opération militaire clandestine de la France en Egypte. Nom de code : Sirli.
Une source a transmis à Disclose plusieurs centaines de documents classés « confidentiel-défense ». Des notes issues des services de l’Elysée, du ministère des armées et de la direction du renseignement militaire (DRM) qui révèlent les dérives de cette mission de renseignement débutée en février 2016, au nom de la lutte antiterroriste. Une fuite inédite de documents qui démontrent comment cette coopération dissimulée au public a été détournée par l’Etat égyptien au profit d’une campagne d’exécutions arbitraires. Des crimes d’Etat dont François Hollande et Emmanuel Macron ont été constamment informés. Sans jamais en tirer les conséquences...
Une discrète société luxembourgeoise a perçu plusieurs millions d’euros d’argent public pour fournir des hommes et un avion espion à l’armée française dans le cadre de l’opération Sirli. Son nom : CAE Aviation. A sa tête, un ancien responsable de cette mission secrète en Egypte.
A quelques mètres de l’aéroport international de Luxembourg, derrière un grillage surmonté de barbelés, un avion recouvert d’une bâche stationne à la vue de tous. Difficile d’imaginer en le voyant trôner devant un hangar défraîchi qu’il s’agit d’un avion espion appartenant à l’un des leaders européens de la surveillance aérienne : la société CAE Aviation. Les yeux et les oreilles des services de renseignement français.
Depuis 2010, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement militaire (DRM), travaillent main dans la main avec cette entreprise inconnue du grand public. Ils font appel à ses services pour leur fournir des avions espions mais aussi des employés – pilotes, analystes et techniciens – dans le cadre de missions secrètes où le renseignement aérien joue un rôle primordial. Comme c’est le cas pour l’opération Sirli menée en Egypte, depuis 2016, au nom de la lutte contre le terrorisme mais dont les informations ont été détournées et utilisées par le régime d’Abdel del Fattah Al-Sissi pour commettre des exécutions arbitraires.
« AIDE PRÉCIEUSE »
A l’époque, la dictature égyptienne demande un soutien à l’armée française et son service de renseignement pour l’aider à surveiller ses 1 200 kilomètres de frontière avec la Libye, alors plongée dans le chaos. La France accepte et propose de mettre à sa disposition des hommes ainsi qu’un avion équipé de caméras de surveillance et d’outils d’interception des communications téléphoniques. A la différence des drones, ces aéronefs, dits « avions légers de surveillance et de reconnaissance » (ALSR), peuvent voler de longues heures et à très haute altitude sans éveiller les soupçons de ceux qu’ils traquent. Le problème, c’est que jusqu’en 2020, la flotte militaire française en était totalement dépourvue.
C’est donc tout naturellement que la DRM se tourne vers CAE Aviation, son prestataire habituel pour ce type mission. Le contrat, classé « secret-défense », autorise la société à envoyer un ALSR (un Merlin III puis un Cessna 208)et ses six membres d’équipages – deux pilotes et quatre analystes – sur la base militaire de Marsa Matruh, au cœur du désert occidental égyptien.
Débarqués dans le pays en février 2016, en même temps que quatre militaires français, les employés de CAE sont priés de se faire discrets. Enfermés entre les quatre murs de leur chambre, ils ne sortent que pour partir en mission et ont l’interdiction d’établir le moindre contact avec les habitants. Des consignes strictes, mais pas inhabituelles pour ces hommes, tous anciens militaires reconvertis dans le privé. Un CV qui réjouit leurs collègues de la DRM, pour qui « la communication et les briefings sont favorisés par une base de connaissances communes », [1] indique l’un d’eux...
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