Révélations sur des ventes d’armes illicites à l’Arabie saoudite
Par Mathias Destal, Ariane Lavrilleux et Geoffrey Livolsi
Disclose, 3.12.21
Des documents secrets dévoilent que la France a autorisé en 2016, la livraison de milliers de munitions à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis, pour leurs opérations au Yémen.
Pourtant, des armes vendues par la France aux deux monarchies du Golfe sont directement utilisées dans le conflit, comme le révèlent des documents « confidentiel-défense » obtenu par Disclose. Ces notes rédigées par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), un organisme placé sous l’autorité de Matignon, dévoilent que l’Etat français a autorisé, en 2016, la livraison de près de 150 000 obus à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis. Tout en sachant que ces munitions serviraient dans la guerre au Yémen.
Le 12 mai 2016, une réunion de la très secrète commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) se tient à Paris, en présence de représentants du ministère des affaires étrangères, de la défense, de l’économie et de l’Elysée, alors occupé par François Hollande.
Au cœur des débats, la proposition de renforcer les contrôles des exportations d’armes vers les pays impliqués dans la guerre au Yémen. Le ministère des affaires étrangères, alors dirigé par Laurent Fabius, y est favorable. Il s’interroge notamment sur les livraisons en cours de canons Caesar à l’Arabie saoudite. « La France fait l’objet de mises en cause par le Parlement européen et les ONG pour des violations supposées du traité sur le commerce des armes », averti un diplomate.
Qu’importe la mise en garde, le cabinet de Jean-Yves Le Drian s’oppose à toutes formes de restrictions : « Un blocage en douane des matériels ayant déjà fait l’objet d’un contrat serait difficilement justifiable auprès de l’Arabie saoudite. » Les diplomates sont contraints de se ranger à cet avis. Les canons seront livrés.
Au cours de la réunion, d’autres contrats inquiètent les diplomates. Des munitions « directement utilisables sur le théâtre d’opération yéménite, notamment par des systèmes d’armes d’origine françaises », selon les fonctionnaires du quai d’Orsay. Les industriels français demandent en effet l’autorisation d’exporter plusieurs dizaines de milliers d’obus et missiles aux armées saoudiennes, émiraties et qataries.
Dans le détail, il s’agit de 41 500 obus de l’entreprise Junghas, filiale de Thales, prévus pour la garde saoudienne ; 3 000 obus anti-char, 10 000 obus fumigènes, 50 000 obus explosifs et 50 000 fusées d’artilleries produits par Nexter à l’armée de terre émiratie ainsi que 346 missiles anti-char de l’entreprise MBDA à l’armée qatarie. Montant total des contrats : 356,6 millions d’euros.
Compte tenu du désaccord persistant entre les diplomates et le ministère de la défense, une nouvelle réunion est organisée, le 26 mai 2016. Cette fois, le ministère des affaires étrangères explicite encore un peu plus ses inquiétudes. Les dizaines de milliers de munitions livrées aux pays du Golfe font courir « un risque de non-conformité avec nos engagements internationaux ». Réponse de la défense : on ne remet pas en question les livraisons à des pays représentant « près du tiers de nos volumes d’exportations » en raison des « allégations de quelques ONG ».
C’est finalement le cabinet de François Hollande qui va mettre un terme au débat. D’après la note du 1er juin, « la présidence de la République s’est montrée surprise que ce débat se tienne seulement aujourd’hui, alors même que nous poursuivons nos exportations vers les pays de la coalition depuis le début du conflit… Et dans des phases plus aiguës qu’aujourd’hui. » En clair, les munitions seront livrées : « Il n’est plus question de revenir sur la décision de principe de soutenir nos partenaires stratégiques par nos exportations. »
Peu importe les crimes dont sont accusés les « partenaires » de la France. Comme l’assassinat en octobre 2018, du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Samedi 4 décembre, Emmanuel Macron sera ainsi le premier dirigeant occidental à remettre en selle le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman, soupçonné par la communauté internationale d’être le commanditaire du meurtre.
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