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A Boutcha, les rues transformées en cimetière à ciel ouvert (Le Monde)

par William Audureau et Assma Maad 4 Avril 2022, 20:40 Boutcha Massacre Allégations Complot Ukraine Guerre Russie Articles de Sam La Touch

A Boutcha, les rues transformées en cimetière à ciel ouvert
Par et
Le Monde 04.04.22

 

La Russie, avec l’appui de comptes pro-Poutine et de la complosphère, tente de diffuser l’idée que la découverte de corps de civils ukrainiens est une mise en scène

Depuis que la découverte de dizaines de corps ukrainiens laissés à l’abandon, le 2 avril, à Boutcha (banlieue de Kiev), a suscité l’émoi de la communauté internationale, et que Volodymyr Zelensky dénonce un « génocide », la Russie rejette non seulement toute responsabilité, mais accuse également l’Ukraine de mise en scène. Quitte à s’appuyer sur des arguments qui ne reposent sur rien.

Ceux-ci convoquent un reportage de la chaîne de télévision ukrainienne, Espreso TV, depuis largement diffusé sur les réseaux sociaux. Dans cette vidéo, des journalistes suivent des soldats ukrainiens qui patrouillent dans une rue de la ville de Boutcha au milieu de dizaines de cadavres gisant sur le sol ou le trottoir. Un document extrêmement choquant, qui pourrait être considéré comme une preuve de crime de guerre, mais qui, selon Moscou, relève de l’opération de manipulation.
 

Des allégations non valides

Trois arguments ont particulièrement été mis en avant par la Russie et ont été repris sur les réseaux sociaux par ses défenseurs.

Un second argument, toujours à partir de ce même reportage ukrainien, avance que l’on peut apercevoir sur le rétroviseur droit de la voiture un cadavre se relever après le passage des journalistes. Là encore, c’est mensonger. Il s’agit d’un mouvement causé par la déformation du verre du rétroviseur, comme l’ont démontré les comptes Twitter Hoax Eye, ou Debunkers des étoiles, spécialistes dans la vérification.

Un troisième argument, qui ne prend pas sa source dans ces images, circule beaucoup : quatre jours se seraient écoulés entre la levée des troupes russes, le 30 mars, et la diffusion des images des corps, le 3 avril. Quatre jours durant lesquels les forces ukrainiennes auraient eu le temps de mettre en scène un charnier. Une chronologie contredite à ses deux extrémités : d’après les constatations du correspondant du Monde à Moscou, la télévision de l’armée russe, Zvezda, montrait encore des unités russes « contenant avec succès les forces adverses sur une ligne Hostomel-Boutcha-Ozera », le 1er avril. Or les premières vidéos de cadavres éparpillés dans les rues datent de ce même 1er avril et ont été diffusées sur un groupe Telegram d’habitants d’Irpine.

Tentative russe de discréditer les preuves

Derrière cette profusion de récits fragiles, se trouve une volonté de nier au plus vite soit la responsabilité russe, soit la réalité du massacre de Boutcha. Les premiers éléments de langage du Kremlin ont ainsi été diffusés dimanche 3 avril en fin d’après-midi sur les comptes officiels des ministères russes de la défense et des affaires étrangères, via Telegram et Twitter. « Toutes les photos et vidéos publiées par le régime de Kiev témoignant supposément de certains “crimes” commis par les forces russes à Boutcha sont juste une autre provocation », conteste formellement Moscou, évoquant « une nouvelle supercherie, une production mise en scène ».

Ce n’est pas la première fois que la Russie emploie la rhétorique du coup monté. Après le bombardement d’un hôpital ukrainien, Moscou avait déjà accusé de manière acrobatique une femme enceinte en état de choc d’être en réalité une actrice. Une recette classique du Kremlin. Comme le rappelait Conspiracy Watch, en 2013, lors de la guerre civile en Syrie, Vladimir Poutine usait déjà de théories conspirationnistes similaires pour déresponsabiliser le régime allié de Damas.

 

Les relais complaisants de Moscou

L’accusation de mise en scène a également circulé via des canaux moins officiels, et notamment un billet depuis supprimé sur South Front, site anglophone géré par Moscou, et qui a su trouver une audience auprès des publics amateurs de théories du complot. Elle a sans surprise été reprise également en français, par des personnalités habituées à relayer la propagande de Moscou depuis le début de l’offensive russe, tel l’influenceur conspirationniste Silvano Trotta, qui parle à ses 157 000 abonnés Telegram du « bras qui bouge » ; Régis de Castelnau, avocat évoluant dans les sphères contestataires antivax, pour qui le massacre de Boutcha « ressemble furieusement à une mise en scène » ; ou encore « @_ 2019_nCoV_- », un compte complotiste apparu lors de la pandémie, qui croit voir un « zombie ukrainien se lever, susceptible de donner une interview aux journalistes ».

Ironiquement, certaines insinuations russes ne sont pas compatibles entre elles : par exemple, comment concilier l’allégation selon laquelle le massacre aurait en réalité été commis par le régiment ukrainien aux sympathies néonazies, Azov, avec celle selon laquelle les corps jonchés seraient des acteurs se faisant passer pour des morts ? Mais cette profusion narrative n’empêche pas ses propagateurs d’atteindre leur objectif : embrouiller une partie de la population occidentale, et la mener à douter de tout, même et surtout d’un crime de guerre.

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