Bounti. Bavure française, complicité américaine
Orient XXI, 11.04.22
Le 3 janvier 2021, l’aviation française a bombardé un regroupement d’hommes près du village de Bounti, dans le centre du Mali. Des « terroristes » selon Paris. Des civils qui participaient à une cérémonie de mariage selon plusieurs sources, dont l’ONU. Cette bavure a fait couler beaucoup d’encre en France, mais très peu aux États-Unis. Pourtant, la bombe était américaine.
Le 3 janvier 2021, deux Mirage 2000 D de l’armée française ont effectué une frappe aérienne près du village de Bounti, dans le centre du Mali. Selon des habitants, des organisations de défense des droits de l’Homme et la Minusma (la mission de l’ONU au Mali), les militaires français ont bombardé un mariage, tuant 22 personnes, dont 19 civils. La plupart des victimes étaient des hommes âgés de plus de 40 ans. La ministre française des Armées, Florence Parly, a rejeté les conclusions du rapport de la Minusma, affirmant lors d’une conférence de presse tenue pendant une visite officielle à Bamako en avril 2021, que les hommes tués dans la frappe aérienne étaient des terroristes et qu’il n’y avait pas eu de dommages collatéraux. Plus d’un an après, le différend n’est pas réglé.
Cet épisode, qui a marqué les esprits, a mis en lumière la campagne internationale contre les groupes djihadistes au Sahel et notamment l’alliance militaire entre la France et les États-Unis. En effet, le rapport de la Minusma publié en mars 2021 montre des photos des éclats des bombes utilisées lors de la frappe aérienne. Le numéro de produit figurant sur les éclats appartient à une bombe GBU-12 Paveway II à guidage laser, fabriquée par la société américaine Raytheon. De l’aveu même de la France, un drone MQ-9 Reaper de fabrication américaine a contribué à la collecte de renseignements lors de la frappe.
Alors qu’au Congrès américain, des débats ont été organisés, dans le passé, au sujet des armes américaines visant les civils au Yémen, le déploiement au Sahel semble ne pas être remis en question. Les médias internationaux, y compris les médias américains, n’ont pas prêté attention au rôle des États-Unis dans la fourniture d’armes, et la frappe aérienne n’a pas suscité de débat politique au sein du Congrès. Or comme l’a rapporté Bellingcat en 2018, le même type de munition a été utilisé lors du bombardement d’un mariage au Yémen le 22 avril 2018. Ce jour-là, 33 personnes, principalement des femmes et des enfants, avaient été tuées.
Une frappe, deux versions
Les premiers échos de la frappe survenue le 3 janvier 2021 sont apparus sur les réseaux sociaux le lendemain. La version de l’événement selon le gouvernement français a été partagée dans un communiqué de presse le 7 janvier. D’après ce récit, plus d’une heure avant la frappe aérienne, un drone MQ-9 Reaper effectuait une mission de collecte de renseignements au-dessus de la région de Douentza, au centre du Mali, lorsqu’il a détecté une moto avec deux individus, juste au nord de la RN 16 (qui relie Sévaré à Gao). La moto a fini par rejoindre un groupe d’environ 40 hommes à un kilomètre du village de Bounti.
Selon le communiqué de presse du ministère des Armées, « l’ensemble des éléments de renseignement et de temps réel a alors permis de caractériser et d’identifier formellement ce groupe comme appartenant à un GAT [Groupe Armé Terroriste] ». Durant une heure et demie d’observation, l’armée française ne détecte ni femme ni enfant. Elle finit par ordonner une frappe. Deux Mirage 2000, déjà en vol, reçoivent alors l’ordre de se déployer et de frapper l’endroit à 15 heures (heure locale). Environ 30 hommes auraient été touchés. Le communiqué de presse fournit les coordonnées militaires1 du lieu de la frappe aérienne. Bellingcat et d’autres chercheurs utilisant des sources ouvertes ont pu confirmer, via des images satellites, qu’une cicatrice de brûlure est apparue à cet endroit entre le 3 janvier et le jour suivant.