Des soldats ukrainiens épuisés reviennent du front oriental
Article originel : Exhausted Ukrainian soldiers return from eastern front
Par Daphne ROUSSEAU
AFP 1.05.22
Pendant un mois, la 81e brigade a lutté pour repousser l'avancée russe sur le front ukrainien de Donbas (AFP/Yasuyoshi CHIBA)
Chargé de soldats ukrainiens épuisés, les mâchoires serrées, le camion repart à toute vitesse. Les troupes de la 81e brigade viennent de recevoir l'ordre de se retirer du front oriental où avancent les forces russes.
La brigade a marché 12 kilomètres (7,5 miles) samedi, camouflée dans les bois et sous les tirs croisés, jusqu'à leur point de retraite à Sviatoguirsk.
Pendant un mois, la 81e brigade - dont la devise est "toujours premier" - a lutté pour repousser l'avancée russe dans la région orientale du Donbass, en Ukraine, où les troupes de Moscou avancent lentement, prenant les villages un par un.
"Tout le monde comprend que nous devons garder la ligne ici, nous ne pouvons pas laisser l'ennemi se rapprocher, nous essayons de la tenir de toutes nos forces", explique le lieutenant Evguen Samoylov, anxieux à l'idée que l'unité puisse être touchée par les tirs russes à tout moment.
"Comme vous pouvez l'entendre, l'ennemi est très, très proche," dit-il en montrant le ciel. La ligne de chars russes est de l'autre côté d'une colline, à environ sept kilomètres (8 kms).
À 21 ans, Samoylov, un officier de l'académie militaire d'Odessa, se retrouve à gérer 130 conscrits, souvent deux fois plus âgés que lui.
"C'est ma première guerre. Je devais être diplômé dans quatre mois, mais on m'a envoyé ici", explique cet officier au visage de bébé et à la courte barbe noire.
Samoylov, qui porte le nom de guerre "Samson", ne laisse jamais son carnet rouge seul. Il prend note de chaque mouvement, mais aussi de chaque demande et remarque des soldats, auxquels il s'adresse toujours d'une voix douce.
- Un silence mortel -
L'unité est entrée en action le 23 février, un jour avant que la Russie ne lance l'invasion.
Au début de la guerre, ils ont passé un mois à défendre Izium, qui est tombé le 1er avril, avant de rejoindre les combats autour du village d'Oleksandrivka.
"Des batailles vraiment difficiles", raconte le tranquille Samoylov.
Dans cette brigade, comme dans les autres, on ne dit pas combien de personnes ont été tuées.
Quand le sujet est abordé, le regard de Samoylov s'embrase. La douleur est à vif.
Un silence de mort s'installe dans le camion militaire pendant le trajet vers le bâtiment abandonné où les soldats vont séjourner pendant leur semaine de repos.
Lorsque le convoi croise un camion chargé de missiles longue portée fonçant vers le front, les soldats font automatiquement le signe de la victoire "V" avec leurs doigts avant de fixer à nouveau leur regard sur leurs pieds ou l'horizon en silence.
Arrivés à la base, les soldats déchargent leurs armes, enlèvent leur paquetage et se rendent immédiatement dans l'une des salles délabrées et sans électricité où ils subissent une visite médicale de retour du front.
Pour les survivants, "il y a de petites blessures sur le front, ceux qui ont été enterrés sous les décombres lors d'un bombardement ont des fractures et (des blessures) liées aux éclats d'obus", explique Vadym Kyrylov, le médecin de la brigade.
"Mais nous voyons surtout des problèmes somatiques, comme de l'hypertension ou des maladies chroniques qui se sont aggravées", ajoute le jeune homme de 25 ans.
- Le pied de tranchée
Les hommes souffrent aussi beaucoup du syndrome du "pied de tranchée", causé par une exposition prolongée à l'humidité, aux conditions insalubres ou au froid.
"Pendant un mois, ils ne sont pas en mesure de faire sécher leurs chaussures... il y a donc de nombreuses lésions liées aux pieds, principalement des champignons et des infections", explique le médecin.
Après la visite médicale, ils ont tous le même réflexe : s'isoler et utiliser leur téléphone pour appeler une compagne, un enfant ou un parent.
Les soldats ne peuvent pas utiliser leur téléphone sur le front, et toute application nécessitant une géolocalisation est interdite.
Quatre soldats remontent les cadres de lit métalliques rouillés et balaient le sol recouvert de poussière pour faire un semblant de chambre.
"C'est le moment pour les gars de se détendre, de prendre soin de leurs blessures physiques et psychologiques, de reprendre des forces avant de retourner au combat", explique Samoylov.
"Ils vont dormir au chaud, manger une nourriture normale et essayer de se remettre plus ou moins sur pied".
Traduction SLT