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À 2500 km de la France, un peuple entier vit dans l’exil ou sous domination coloniale, coupé en deux par un mur de 2700 km de long. Des dizaines de milliers de personnes forcées de vivre dans des camps de réfugiés depuis plus de 40 ans, des dizaines de milliers d’autres subissant l’occupation, la répression, les discriminations, sur leur propre territoire, colonisé par un pays voisin et interdit aux observateurs étrangers. La situation vous semble familière ? Ce n’est pourtant pas du peuple palestinien dont il s’agit, mais du peuple sahraoui et de la colonisation menée par le Maroc au Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole, envahie militairement par son voisin marocain en 1975. Particulièrement méconnue en France, nous profitons pourtant au quotidien de cette situation : qui n’a pas vu ou mangé les tomates cerises, les concombres ou les melons estampillés « produits du Maroc » que l’on retrouve dans tous nos supermarchés au printemps ? Pour une grande partie d’entre eux, ils sont cultivés au Sahara occidental occupé et les retombées économiques de cette activité ne profitent pas au peuple sahraoui. Il en va de même pour le tourisme. A Dakhla, ville côtière sur l’Atlantique, des milliers de personnes se pressent chaque année pour aller faire du kitesurf dans ce « spot » très tendance, lagune à perte de vue et paysages somptueux. Mais qui parmi elles connaît l’envers du décor de leurs vacances de rêve ?
Les militant.e.s sahraoui.e.s qui se battent pour défendre leur identité et leur indépendance sont pourtant nombreux et nombreuses et ne cessent de faire entendre leur voix et de dénoncer la colonisation et le pillage de leur territoire. Sultana Khaya, assignée à résidence dans sa maison, sans procès, depuis un an et demi et torturée par les forces de sécurité marocaines. Hassan Dah et Zaoui Elhoussine, condamnés à de lourdes peines suite au rassemblement pacifique de Gdeim Izik en 2010, actuellement en grève de la faim pour exiger le respect de leurs droits fondamentaux. Mohamed Bourial, également du groupe des prisonniers de Gdeim Izik, torturé en prison, des faits pour lesquels le Maroc vient d’être condamné par le Comité contre la Torture de l’ONU. Salah Lebsir, activiste et journaliste, emprisonné pendant 4 ans pour avoir participé à des manifestations dans les territoires occupés, aujourd’hui exilé dans les campements de réfugiés sahraouis en Algérie. Ces personnes ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres, celles dont les situations sont relayées tant bien que mal par les ONG internationales de droits humains, interdites de séjour dans les territoires occupés. Depuis 2015, le Maroc a expulsé plus de 300 personnes de son territoire ou du Sahara occidental, pour la seule raison qu’elles cherchaient à documenter la situation dans les territoires occupés : journalistes, élu.e.s, représentant.e.s d’ONG, militant.e.s. Le royaume organise un véritable black-out et viole tous ses engagements en matière de droits humains. Il reste pourtant un partenaire privilégié de la France, qui défend sur la scène internationale le projet marocain « d’autonomie » pour le Sahara occidental alors que les résolutions du Conseil de sécurité prévoient depuis plus de 30 ans l’organisation d’un référendum d’autodétermination. En mars 2022, l’Espagne s’est elle aussi rangée du côté de Rabat, alors qu’elle tenait jusqu’à présent une position neutre, puisqu’elle porte la responsabilité historique de l’échec de la décolonisation de ce territoire. Quant à l’UE, elle continue de commercer avec le Maroc et d’importer des produits qu’elle sait pertinemment venir d’un territoire colonisé. Le black-out marocain est donc d’autant plus facile à faire tenir que les partenaires occidentaux du Maroc préfèrent garder les yeux fermés.
Marie Bazin