Ce lundi 20 juin est une journée historique pour la famille Lumumba. Lors d’une cérémonie au Palais d’Egmont, la justice Belge remettra aux trois enfants, François, Juliana et Roland, la dépouille de Patrice Emery Lumumba, premier 1er ministre du Congo indépendant, principale figure de l’indépendance, assassiné au Katanga le 17 janvier 1961. La dépouille, c’est une dent qui a été saisie par la justice en 2016 chez la fille de Gerard Soete, le commissaire qui a été chargé de découper et dissoudre dans l’acide, le corps de Lumumba, deux jours après son assassinat.
Que sait-on de cette affaire ? L’enquête parlementaire belge qui a débouché sur un rapport en 2001, a permis de connaître certains faits, des implications directes ou indirectes, les décisions qui ont conduit à l’exécution. Mais il reste encore beaucoup d’ombres sur la responsabilité des Belges. A la suite d’une plainte déposée en 2011 par la famille Lumumba, une enquête judiciaire a été ouverte.
C’est une plainte contre X et contre dix personnalités belges, pour "crimes de guerre", "torture" et "traitement inhumain". A l’époque des faits, ces personnalités exerçaient des responsabilités politiques ou militaires aux côtés du président sécessioniste katangais, Moïse Tshombe, ou alors, elles étaient diplomates, envoyées au Congo par le gouvernement Eyskens. L’Etat belge est donc visé. Plusieurs administrations sont accusées d’avoir participé à un vaste complot en vue de l’élimination politique et physique de Lumumba.
Parmi ces dix personnalités, deux peuvent encore témoigner : Jacques Brassinne et Étienne Davignon (Regards croisés sur l’indépendance du Congo : "Les suspicions naissent de l’ambiguïté du gouvernement belge" – Série 1/5).
Où en est l’enquête judiciaire ? Le procureur fédéral, Frédéric Van Leeuw, en charge de l’affaire Lumumba, répond à nos questions.
Patrice Lumumba, Premier ministre congolais et Gaston Eyskens, Premier ministre belge, signant l’acte d’indépendance du Congo (30 juin 1960).
Ghizlane Kounda. Où en est l’instruction ?
Frédéric Van Leeuw. L’instruction se poursuit. Il y a eu encore des devoirs d’enquête. Notamment une perquisition ordonnée par la juge d’instruction au Parlement pour avoir accès aux auditions qui avaient eu lieu à huis-clos, il y a plus de vingt-ans lors de la Commission parlementaire (2000-2001).
GK. Pensez-vous que ces PV comportent des informations clés pour l’instruction ?
F.V.L. On le pense. C’est une enquête très particulière. Ce sont des faits qui se sont passés il y a plus de 60 ans sur un territoire qui ne fait plus partie de la Belgique et sur lequel on ne sait pas faire des devoirs d’enquête. Et donc les preuves matérielles n’existent plus. Ce sont les témoignages qui sont intéressants. C’est un travail d’auditions, on se plonge dans les archives qui sont parfois inaccessibles, comme les archives de la CIA. Les archives de la défense belge. Celles de la Commission parlementaire… Et donc la juge estime que ces procès-verbaux, que ces auditions à huis-clos pourraient être intéressantes pour le dossier, pour la révélation de la vérité.
GK. En ayant interrogé quelques parlementaires, ils sont tous attachés au sacro-saint principe du huis-clos. Vous pensez donc qu’il faut faire une exception dans l’affaire Lumumba…
F.V.L. La discussion est juridique. En soi, il n’y a pas de loi qui interdit à un juge d’instruction d’avoir accès à ce genre de PV. Au Parlement on me dit, c’est nous qui faisons la loi. Moi je leur réponds "faite une loi qui interdit au juge d’instruction d’aller faire une perquisition". La Cour d’Appel a été saisie de la problématique de la légalité de cet acte. Nous défendons que ni juridiquement, ni moralement, il est justifiable de cacher le contenu de ces auditions. Cela a été débattu devant la Cour d’appel. Le dossier est en délibéré et la décision sera rendue début septembre.
Il est important de souligner aussi, que depuis le départ, le parquet fédéral défend la position qu’il s’agit d’un "crime de guerre". La justice belge l’a reconnu comme tel. Si cela n’avait pas été le cas, ce crime aurait été prescrit et on n’aurait pas pu enquêter. C’est une première dans un ex-état colonial, que la justice reconnaisse des crimes commis au moment de l’indépendance comme des "crimes de guerre". Aux Pays-Bas et en France, on regarde cette jurisprudence avec beaucoup de curiosité. Elle renvoie nécessairement aux crimes commis en Indonésie ou en Algérie...