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Notre série sur la nécessaire restitution du patrimoine africain (Mondafrique)

par Mondafrique 6 Juillet 2022, 19:55 Art africain Pillage Colonialisme Articles de Sam La Touch

Notre série sur la nécessaire restitution du patrimoine africain (Mondafrique)

L’immense majorité des œuvres connues et produites au cours de l’histoire par des Africains sont conservées hors du continent africain. L’Afrique est dépossédée de près de 9O à 95% de ses biens culturel. Notre série estivale tentera de comprendre la complexité du débat sur la nécessaire restitution de ces richesses au continent africain.

Une chronique d’Alexandre Vanautgaerden, historien et historien d’art. Il a travaillé et dirigé plusieurs institutions culturelles (musées, bibliothèques) en Belgique, Suisse et France. Il a publié de nombreux livres sur l’humanisme et Érasme, et travaille actuellement sur l’évolution des lieux d’exposition au regard du développement des projets numériques. Il est Honorary Reader au Centrum for the Study of the Renaissance de l’Université de Warwick en Angleterre.

 

Le discours prononcé par Emmanuel Macron au Burkina Faso le 28 novembre 2017, dans l’université de Ouagadougou, a fait couler beaucoup d’encre. Le Président français annonçait qu’il voulait « que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».[1]

Nous y sommes. Force est de constater que peu d’objets ont été restitués jusqu’à présent par la France et que les conditions juridiques ne sont pas en place, nous y reviendrons dans un autre épisode. Il sera utile de voir ce que les autres pays européens ont réalisé dans l’intervalle, indépendamment du discours d’Emmanuel Macron.

 

Le grand pillage

Mais, commençons, par le nerf de la guerre, ce grand déplacement d’objet, du continent africain vers l’Europe et l’Amérique, dans un premier temps, puis vers d’autres continents aujourd’hui. Cela nous permettra de dissocier deux problématiques que l’on confond souvent, comme nous le fait remarquer Jean-Yves Marin, professeur à l’Université Senghor d’Alexandrie et conseil en projets culturels liés aux musées et au patrimoine, notamment au Gabon : d’une part, le problème du pillage des objets d’arts en Afrique, et d’autre part, celui de leur restitution.

Une nouvelle édition revue et augmentée de l’ouvrage essentiel de Philippe Baqué sur la question reparaît aux Éditions Agone : Un nouvel or noir. Le pillage des objets d’art en Afrique.[2] Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce livre n’a pas perdu son actualité, et qu’il n’a malheureusement pas été difficile pour son auteur de le mettre à jour avec des exemples nouveaux.

Ce livre est le résultat d’un travail au long cours. Commencé au début des années 1990, il rassemble plus de quatre cents entretiens pro et contra. Rien que pour ce travail d’investigation, ce livre est remarquable et constitue un jalon important, historiquement, sur les façons de penser ce patrimoine venant d’Afrique, que l’on a désigné tantôt par les termes « d’art africain », « d’art nègre », « art premier », « tribal », « négro-africain », selon les idées en cours, comme le discute le philosophe sénégalais Babacar Mbaye Diop dans son ouvrage Critique de la notion d’art africain.[3]

 

Les statues meurent aussi

Philippe Baqué nous rappelle dans son introduction le film stupéfiant de Chris Marker et Alain Resnais Les statues meurent aussi, réalisé en 1953, et qui évoquait à l’aide d’un langage cinématographique puissant, l’art africain, son commerce et sa relation avec le colonialisme. Ce film est disponible sur You Tube. Avant qu’il ne disparaisse dans la mémoire balbutiante d’Internet, je vous encourage vivement à regarder les trente minutes de ce film visionnaire.[4] Commandité par la revue Présence africaine, il part de la question suivante : « pourquoi l’art nègre se trouve-t-il au musée de l’Homme alors que l’art grec ou égyptien se trouve au Louvre ? », puis évoque sans détour la relation qu’entretient l’Occident avec cet art qu’il détruit sans même s’en rendre compte.

Le film fut censuré en France pendant dix ans en raison de son point de vue anticolonialiste. Alain Resnais évoque ainsi son entretien avec deux des représentants de la commission de censure : « Quant à eux, ils savaient tout ce qui se passait en Afrique et nous étions même très gentils de ne pas avoir évoqué les villages brûlés, les choses comme ça ; ils étaient tout à fait d’accord avec le sens du film, seulement (c’est là où ça devient intéressant), ces choses-là, on pouvait les dire dans une revue ou un quotidien, mais au cinéma, bien que les faits soient exacts, on n’avait pas le droit de le faire. Ils appelaient ça du « viol de foule » ».[5] L’interdiction eut des conséquences très graves pour le producteur. Quant à nous – est-ce un hasard ? – ni Chris Marker, ni moi ne reçûmes de propositions de travail pendant trois ans. »

 

« Cette botanique de la mort, c’est ce que nous appelons la culture ». Chris Marker.

Dans le livre de Philippe Baqué, de nombreux passages sont consacrés à cette transmutation des objets rituels ou fonctionnels qui deviennent des marchandises avant de renaître dans le monde éthéré de l’esthétique ou des études ethnographiques, transitant à chaque fois par des petites morts symboliques. Le film Les statues meurent ainsi, commençait d’ailleurs par ces mots : « Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art. Cette botanique de la mort, c’est ce que nous appelons la culture. ». Si l’on peut donner un prix à ces objets, on ne peut oublier combien cette démarche économique correspond, overseas, à une perte sociale, culturelle et historique.

Dans un discours fondateur, Amadou-Mahtar M’Bow, alors directeur général de l’UNESCO, prononçait le 7 juin 1978 ces paroles :« Les peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’œuvre irremplaçables ; ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait sans doute aidés à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se faire mieux comprendre des autres. […] Aussi bien ces hommes et ces femmes démunis demandent-ils que leur soient restitués au moins les trésors d’art les plus représentatifs de leur culture, ceux auxquels ils attachent le plus d’importance, ceux dont l’absence leur est psychologiquement le plus intolérable. »[6]

 

La trinité du marché : pedigree, patine, style.

Le marché des arts dits « primitifs » connaît une croissance soutenue et se légitime à partir de la trinité suivante : le « pedigree », la patine d’usage et le style.

Le pedigree permet de recenser les collections dans lesquelles l’objet a transité et qui l’authentifie et lui ajoute de la valeur. Les objets qui ont quitté le continent africain continuent de voyager, et cette pérégrination conforte sa valeur marchande. Un objet emblématique de cette logique du pedigree est la fameuse statue en provenance du Cameroun, la « reine Bangwa ». Collectionnée par l’écrivain surréaliste Tristan Tzara, puis photographiée par Man Ray en 1934 en compagnie de la danseuse originaire de Guadeloupe Adrienne Fidelin, elle est achetée ensuite par l’impératrice de la beauté, la femme d’affaires Helena Rubinstein.

La patine généalogique d’un tel objet fait une grande partie de son prix : la sculpture est finalement vendue à New York en 1990 par Sotheby’s, à la Fondation Dapper plusieurs millions d’euros, avant d’être à nouveau exposée à Paris. Un objet tire sa valeur de ses séjours dans « l’ethnie des collectionneurs », inquiète par un marché où les faux se propagent....

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