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Congo-Brazzaville : Le cri du silence (BdA)

par Jean-François de Montvalon, Thomas Borrel 11 Septembre 2023, 17:19 Sassou Nguesso Elf Congo-Brazzaville Massacre Françafrique Collaboration Néocolonialisme France Articles de Sam La Touch

Congo-Brazzaville : Le cri du silence
Par Jean-François de Montvalon, Thomas Borrel
Billets d'Afrique, avril 2023

Le livre Le cri du silence – Massacres planifiés des civils. Brazzaville : décembre 1998 – janvier 1999 , publié en février 2023 par les éditions Paari, est un journal tenu par Minamona Nanitelamio, témoin direct des évènements qui se sont déroulés à Brazzaville fin 1998 - début 1999, dans le séminaire de Kinsundi où avaient trouvé refuge des populations fuyant les massacres de civils effectués dans le climat de totale anarchie lié au retour au Congo de Denis Sassou N’Guesso.

Pour tenter de comprendre comment on en est arrivé à un tel niveau de déshumanisation, il est indispensable d’effectuer un retour en arrière. L’indépendance de la République du Congo en 1960 débute de façon pourrait-on dire classique avec la mise en place d’un régime néocolonial dirigé par l’abbé Fulbert Youlou qui sera renversé trois ans plus tard par un soulèvement populaire d’inspiration socialiste ayant pour chef Alphonse Massamba-Débat. Le pouvoir en place va rapidement connaître une dérive autoritaire avec la création d’un parti unique, le Mouvement National de la Révolution (MNR) au sein duquel les ambitions personnelles donneront lieu à différents assassinats. Au même moment, une campagne de terreur va être conduite vis-à-vis de la population sans que l’on puisse en distinguer clairement les mobiles.

 

Les milices armées

Désormais, la vie politique congolaise connaîtra toujours - avec des intensités variables selon les époques - cette double dimension d’affrontements personnels sanglants entre « professionnels » disposant pratiquement chacun de leurs propres milices, et d’exactions à l’égard des populations civiles réduites à l’état de victimes. Ces milices sont composées de très jeunes hommes qui ne sont pas payés, drogués au chanvre le plus souvent et dont l’outil de travail est une kalachnikov qui leur permet d’obtenir tout ce qu’ils veulent en toute impunité. Peu à peu ces bandes, échappant à tout contrôle, deviennent autonomes. Massamba-Débat ne parvenant pas à contrer ses opposants est poussé à la démission en 1968, pour laisser la place à l’un d’entre eux, le jeune (29 ans) capitaine Marien Ngouabi qui va créer le Parti Congolais du Travail (PCT) sur les ruines du MNR. Admirateur de la révolution cubaine, il nationalise des investissements coloniaux (chemin de fer Congo-Océan, société agricole du Niari du groupe Vilgrain) et envisage d’augmenter la fiscalité pétrolière, ce qui ne va pas plaire du côté de Paris.
Coïncidence ou non, le contexte économique va s’alourdir avec l’annonce par Elf (ancêtre de Total) d’une baisse de la production pétrolière. Dès lors, un climat étrange va régner à Brazzaville, rythmé par des règlements de comptes au sein du parti unique, des purges dans les rangs de l’armée, des changements de Premiers ministres et des remaniements ministériels en chaîne, entrecoupés de tentatives de putsch, voire de mouvements de rébellion armée.

 

Sassou sort de l’ombre

En 1977, Marien Ngouabi est assassiné par un commando-suicide à la solde de « l’impérialisme aux abois » selon les termes utilisés par la radio congolaise, qui aurait eu des complices au sein de la garde présidentielle. Denis Sassou N’Guesso (DSN), ministre de la Défense, est déjà à la manœuvre. Le comité militaire du PCT, qui s’octroie les pleins pouvoirs, le porte du reste à la tête de l’État pour une période transitoire de quelques jours. DSN sort donc brièvement de l’ombre avant de laisser la place au colonel Yhombi Opango qui est désigné par le comité central du PCT.
L’ancien président Massamba-Débat, soupçonné d’être complice de l’assassinat de Marien Ngouabi, est arrêté et après des aveux « spontanés », il est jugé au terme d’un procès sommaire de type stalinien et fusillé. Son Premier ministre Pascal Lissouba, également arrêté et condamné à mort, sera gracié et libéré deux ans plus tard. Il réapparaîtra dans le jeu politique en 1992. Accusé de « déviation antirévolutionnaire », Yhombi Opango (pro-occidental) est déposé en 1979, puis emprisonné sans procès pendant onze ans par Denis Sassou N’Guesso, (alors favorable aux Russes et aux Cubains !). DSN prend le pouvoir pour ne plus le quitter jusqu’à aujourd’hui, avec une interruption entre 1992 et 1997 (voir plus loin) sans que cela altère en quoi que ce soit les relations d’affaires entre Brazzaville et Paris.
De bonnes fées se penchent sur les débuts du premier « mandat » de DSN puisque l’exploitation pétrolière repart à la hausse (second boom pétrolier). Mais l’effondrement des cours du pétrole en 1985 va entraîner des plans d’ajustement structurels imposés par les Institutions Financières Internationales qui vont donner lieu à une politique d’austérité dont la population sera la première victime, sur fond de corruption généralisée. Le troisième « mandat » d’un DSN candidat unique « réélu » en 1989 va être contrarié, suite à la chute du mur de Berlin, par un élan populaire en faveur de la démocratie auquel tente difficilement de répondre le discours de François Mitterrand lors du 16ème sommet France-Afrique de la Baule prônant le multipartisme (cf. Billets d’Afrique n°298, juin 2020). En 1990, un groupe d’opposants dont fait partie Bernard Kolelas, survivant de l’époque Fulbert Youlou, va dénoncer dans une lettre ouverte le caractère policier du régime et demander l’organisation d’une conférence nationale souveraine qui va déboucher sur un processus électoral multipartite.
Le premier tour de cette présidentielle en 1992 va placer en tête Pascal Lissouba, ex-Premier ministre de Massamba-Débat, devant Bernard Kolelas et Denis Sassou N’Guesso. Entre les deux tours, DSN se rallie à Pascal Lissouba contre la promesse d’une entrée significative de ses partisans au gouvernement en cas de victoire. Cette élection, jugée honnête par les observateurs, est remportée confortablement par Pascal Lissouba. C’est une grande première dans l’histoire du Congo. Elle sera non seulement sans lendemain, mais elle donnera naissance aux premières vagues de violence aveugle, DSN estimant que Pascal Lissouba n’a pas respecté les termes de leur accord.
 

Sassou prend du recul 
et rebondit

Denis Sassou N’Guesso part s’installer en France d’où il préparera son retour en activant les réseaux Elf qui lui sont favorables. Revenu au Congo en 1997 par un coup de force militaire, DSN s’autoproclame président de la République mais ne maîtrise pas pour autant la situation. Brazzaville va s’embraser avec des affrontements entre milices cobras (DSN), zulus et cocoyes (Lissouba), ninjas (Kolelas), impliquant aussi des soldats angolais et tchadiens, des génocidaires Hutus réfugiés au Congo, des anciens soldats de la garde présidentielle de Mobutu et des mercenaires européens…
C’est dans ce contexte de violences extrêmes que se situent les faits rapportés dans le livre de Minamona Nanitelamio. Brazzaville se vide de ses habitants et compte ses morts et après des mois de combat, les hommes de DSN l’emportent. Les institutions sont dissoutes, Pascal Lissouba et Bernard Kolelas prennent la fuite. Dès lors, Denis Sassou N’Guesso, arguant d’antagonismes ethniques fantasmés, va basculer dans une terreur organisée dirigée contre les populations du Sud, d’où est originaire Bernard Kolelas. Elle se matérialisera par la guerre du Pool (département du sud du Congo) qui va durer 5 ans et entraîner le déplacement de 500 000 personnes.
Le nombre de victimes au sein de la population est difficile à évaluer avec précision dans un climat aussi confus. En dix ans (1992-2002), soit depuis l’élection contestée par DSN, jusqu’à la fin de la guerre du Pool, le nombre de 40 000 morts est le plus souvent évoqué, mais il est sans doute très inférieur à la réalité. Cette évaluation macabre résulte du croisement d’informations provenant de différentes sources (Cimade, Bernard Langlois de Politis, Henrik Lindell de La Vie).
Il faut souligner que les ressorts de la violence politique au Congo Brazzaville sont uniquement liés aux comportements kleptokrates des différents acteurs agissant pour leur compte personnel et celui de leurs familles, et en tout premier lieu, bien sûr, Denis Sassou N’Guesso. Les arguments idéologiques ne sont qu’un habillage, sauf peut-être au lendemain de l’indépendance. Le risque de voir le Congo gagné par le marxisme n’a jamais hanté l’esprit de personne. Il en va de même des différences ethniques qui, certes, existent (Teke du Nord, Lari du Sud) mais sont largement instrumentalisées par Denis Sassou N’Guesso pour en faire un motif d’affrontements en vue de terroriser la population.
 

Un témoignage glaçant

Le livre de Minamona Nanitelamio Le cri du silence, nous fait passer de l’Histoire à l’histoire quotidienne de ces quelque 20 000 personnes naufragées, hommes, femmes et enfants, regroupées dans le séminaire (« le camp » selon le rédacteur du livre) Saint Jean de Kinsundi à Brazzaville entre fin 1998 et début 1999. Il ne s’agit plus cette fois de chiffres dont la sécheresse ne permet pas de comprendre l’horreur vécue par ces familles, mais de la vie quotidienne de personnes de chair et de sang ayant un nom, un prénom voire un statut professionnel ou familial.
Le narrateur, qui fait défiler ces journées de décembre-janvier, ne nous épargne rien sans pour autant verser dans une complaisance macabre. Tout au contraire, il débute le récit de chaque journée par ce qu’il appelle des évènements heureux, c’est-à-dire des naissances survenues quotidiennement dans les conditions les plus précaires (accouchements à même le sol, stérilisation des instruments par flambage), et ces enfants ont eux aussi un nom et un prénom.
Au-delà, que retenir de ces journées en apparence toutes semblables mais différentes dans leur niveau de dangerosité, passées en bordure du département du Pool où la guerre fait rage ? La mort omniprésente de personnes venant de l’extérieur grièvement blessées ou exécutées sur place. Des cercueils de fortune sont fabriqués à partir du mobilier récupéré dans les chambres des séminaristes, et par la suite les corps seront simplement enveloppés dans un linge avant d’être enterrés. Les blessés sont soignés au mieux, les extractions de balles se font sans instruments et sans anesthésie, les sutures avec des fils de tresses de cheveux. L’intrusion inopinée à tout instant de groupes armés difficilement identifiables dont on ne peut préjuger au départ des intentions, rarement bonnes (secours ponctuel) et le plus souvent hostiles : vols, rackets, viols, enlèvements de jeunes femmes, tortures, exécutions totalement aléatoires. Leur obsession est la recherche de « ninjas », appellation qui en l’occurrence désigne un habitant du Sud. Leur acharnement est parfois freiné par la présence brève et occasionnelle de véhicules du Comité international de la Croix Rouge (CICR) ou de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), du Programme alimentaire mondial (PAM), de l’Unicef et du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), circulant à proximité du camp.

Bref, comme l’écrit le narrateur : « Pour nous, le temps ne se mesure plus en minutes ou en heures mais en instants précieux, gagnés sur l’insécurité et sur la précarité » (page 54). Ou encore : « Tout est gratuit, la vie, la mort. Même les fauves ne tuent pas pour le plaisir de tuer ni par méchanceté mais par nécessité vitale… Et eux pourquoi tuent-ils ? » (page 32). Ce qui reste des bâtiments en dur étant réservé en priorité à des services collectifs, la quasi-totalité des familles est installée en plein air sous de vastes bâches qui résistent difficilement aux pluies diluviennes. Sur ce cloaque, avec une morgue débordée et des latrines inaccessibles, plane la menace d’épidémies. La distribution de l’aide alimentaire et d’équipements sommaires (bâches, outils et ustensiles ménagers) par le CICR donne lieu à des contestations sur le nombre de réfugiés à partir de listes qui ne concordent pas, faisant resurgir l’image du noir nécessairement voleur et tricheur. Chaleureuse ambiance…
Le 23 janvier 1999, ordre est donné d’évacuer le camp. C’est une cohorte pitoyable qui va se diriger vers Brazzaville-nord, « terre promise » comme l’écrit l’auteur du livre, route jalonnée de cadavres abandonnés, de charniers, de magasins pillés, avec de multiples points de contrôles passés sous les insultes et d’ultimes violences.

Jean-François de Montvalon
Thomas Borrel

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