Politique irresponsable
Billets d'Afrique, Novembre 2023
Le projet de loi sur l’immigration, laissé en stand-by depuis la fin du printemps par le gouvernement, est finalement revenu devant le Sénat en novembre. Les inquiétudes des associations concernant ce projet très brutal et utilitariste, avec sa proposition de régularisation (mais à court terme !) de sans-papier·e·s dès lors qu’ils ou elles seraient une main-d’œuvre corvéable pour les « métiers en tension » – comprendre les métiers difficiles et sous-payés – se sont avérées en deçà de la réalité. En effet, le Sénat a voté le 12 novembre un texte d’une violence extrême, dont l’idéologie raciste et xénophobe n’a rien à envier à l’extrême droite. Les commentaires de la presse se sont surtout concentrés sur le volet répressif concernant les personnes en situation irrégulière : facilitation des OQTF, refus de régulariser les personnes travaillant dans les métiers en tension, marotte de la suppression de l’Aide médicale d’État pour les sans-papier·e·s (qui est par ailleurs un non-sens en termes de santé publique). Mais les autres propositions, qui viennent raboter les droits des étranger·e·s en situation régulière, sont tout aussi inquiétantes : réduction des droits sociaux pour les primo-arrivants (suppression des droits aux allocations familiales ou APL durant les 5 premières années de présence), réduction de l’automaticité du droit du sol, resserrement des conditions pour le regroupement familial. Triste ironie, cette offensive tombe pile pour le quarantième anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme dont les témoins rappellent les acquis. La militante antiraciste Mimouna Hadjam en fait un bilan « contrasté mais quand même positif » : ces mobilisations ont permis l’obtention de la carte de séjour de 10 ans ou des premières condamnations des crimes racistes. Elle rappelle aussi que, « surtout, cette marche a installé l’idée définitive que le retour des immigré·e·s était un mythe et qu’on ne rentrerait pas dans le pays de nos parents-. »
Le projet de loi intègre aussi des articles qui s’apparentent à un marchandage à l’expulsion : il s’agit de conditionner l’Aide publique au développement et l’octroi de visas long séjour à la coopération des États non européens en matière migratoire, précisément sur la facilitation des expulsions de leurs ressortissant·e·s. Une conditionnalité contraire aux objectifs de l’aide, et qui de fait existe déjà depuis 2006 avec la signature d’« accords de gestion migratoire » avec un certain nombre de pays africains. Dans ce contexte nauséabond, déshumanisant les personnes immigrées, leur parcours de vie, leur famille, l’agence européenne Frontex mettait en garde le 14 novembre contre la recrudescence des traversées de migrant·e·s entre la côte marocaine et les Canaries. De nombreuses embarcations en provenance du Sénégal continuent également de se perdre en mer, rappelait la presse sénégalaise. Un rapport de Environmental Justice Foundation (EJF) révélait que ces flux sont notamment grossis par la mise à mort de la pêche artisanale, tuée par la concurrence déloyale, et catastrophique d’un point de vue environnemental, des chalutiers européens et chinois. Mais la question des inégalités internationales et des causes profondes qui expliquent ces migrations a totalement disparu du débat public. Rien évidemment sur les responsabilités de la France quant à la situation vécue par ces candidat·e·s à la migration dans leur pays : régimes illégitimes soutenus par la France, pillage des matières premières, économies exsangues et sous le poids de la dette, absence de perspective... Emmanuel Macron dans une allocution télévisée de septembre 2023, appelait ainsi les pays d’origine à une « politique migratoire responsable ». Comme si les premiers irresponsables en matière de politique migratoire n’étaient pas ici.
Juliette Poirson