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Macron déclare l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie alors que des émeutes éclatent à la suite d’un changement du mode de scrutin (WSWS)

par John Braddock 19 Mai 2024, 09:07 Kanaky Emeutes Répression Colonialisme Milices Nouvelle-Zélande Macron France Australie Nouvelle-Calédonie Articles de Sam La Touch

Le président français Emmanuel Macron a déclaré l’état d’urgence dans la colonie du Pacifique de Nouvelle-Calédonie mercredi après que trois jeunes autochtones kanaks et un policier ont été tués lors d’émeutes qui ont débuté lundi. Un deuxième policier a été déclaré mort vendredi. Plus de 200 personnes ont été arrêtées et plus de 300, blessées dans la capitale Nouméa et ses environs.

Des gendarmes français patrouillent à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 16 mai 2024, à la suite de manifestations contre les réformes électorales. Le gouvernement Macron a imposé un état d’urgence qui durera au moins 12 jours. [AP Photo/Cedric Jacquot]

Des gendarmes français patrouillent à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 16 mai 2024, à la suite de manifestations contre les réformes électorales. Le gouvernement Macron a imposé un état d’urgence qui durera au moins 12 jours. [AP Photo/Cedric Jacquot]

Les émeutes ont éclaté lorsque l’Assemblée nationale française a fait adopter un amendement constitutionnel qui vise à accorder aux résidents français qui ont vécu en Nouvelle-Calédonie pendant 10 ans depuis 1998 le droit de voter aux élections provinciales et au Congrès local et pour le parlement.

Les dirigeants indépendantistes affirment que l’«élargissement» du corps électoral diluera le vote des Kanaks, qui représentent 41 pour cent de la population, au profit de ceux qui sont plus susceptibles de maintenir la domination coloniale de la France sur ce territoire du Pacifique Sud.

Les émeutes font suite à des semaines d’agitation et de tensions croissantes, où des manifestations rassemblant des dizaines de milliers de personnes, pour ou contre la mesure, ont pris place. Le 13 avril, 58.000 indépendantistes et 35.000 pro-France ont participé à des manifestations concurrentes à Nouméa, sous haute surveillance et avec des renforts de police venus de France.

Pendant deux jours et deux nuits, les émeutiers ont incendié des véhicules et des entreprises et pillé des magasins. Les écoles ont été fermées et un couvre-feu a été instauré dans la capitale. Mardi, les forces de sécurité ont repris le contrôle de la prison de Nouméa, qui compte environ 50 détenus, après un soulèvement et une tentative d’évasion des prisonniers.
 

Radio NZ (RNZ, Radio Nouvelle-Zélande) a rapporté jeudi soir que le haut-commissaire français Louis Le Franc a déclaré que malgré la répression d’urgence, quelque 3.000 à 4.000 émeutiers étaient toujours «en action» dans les rues de la capitale et 5.000 autres dans la région du Grand Nouméa.

Les magasins manquent désormais de nourriture et les hôpitaux font appel aux dons de sang. Un deuxième policier est décédé jeudi, victime d’un «tir ami». Selon RNZ, des milliers d’armes circulent dans la communauté locale au mépris des interdictions.

Un peu plus tôt, Le Monde a rapporté que Le Franc avait déclaré que la situation était «insurrectionnelle» et qu’elle pourrait prendre «une forme de guerre civile». L’ancienne ministre Sonia Backès, figure emblématique de l’anti-indépendance en Nouvelle-Calédonie, a également déclaré qu’il s’agissait d’une «guerre civile» et a demandé à l’armée d’intervenir.

Les mesures de sécurité de la France s’inscrivent toutefois dans la lignée des assauts répressifs de l’État policier menés par le gouvernement Macron contre les travailleurs et les étudiants en France métropolitaine. Le Premier ministre, Gabriel Attal, a déclaré que l’état d’urgence de 12 jours «nous permettra de déployer des moyens massifs pour rétablir l’ordre». Il donne aux autorités des pouvoirs étendus pour interdire les rassemblements, imposer des interdictions de voyager, des assignations à résidence et des perquisitions.

Le Monde rapporte également que des résidents néo-calédoniens anti-indépendantistes ont formé des «milices armées» et que «des rumeurs invérifiables, appuyées par des photos de camionnettes aux vitres teintées, parlent d’expéditions punitives au cours desquelles de jeunes Kanaks seraient pourchassés. Une vidéo vérifiée [...] montre un homme blanc qui tire délibérément sur deux jeunes Kanaks qui marchent sur la route dans le quartier de Magenta».

Vendredi, 1.000 agents de sécurité supplémentaires avaient été envoyés d’Europe, portant le nombre de policiers et de gendarmes sur l’île de 1.700 à 2.700. Les troupes sécurisent les ports et l’aéroport international. Le gouvernement local a interdit TikTok au motif qu’il avait déjà aidé des émeutiers à s’organiser et à attirer des «fauteurs de troubles» dans les rues.

Dix personnes, membres présumés d’un groupe indépendantiste connu sous le nom de «Field Action Coordination Unit», sont assignées à résidence. Le ministre des Territoires d’outre-mer, Gérald Darmanin, a dénoncé le groupe comme étant «des leaders radicaux et violents», engagés dans «le pillage, le meurtre et la violence». Il a déclaré à l’AFP: «L’État (français) reprendra le contrôle total.»

La dernière fois que Paris a pris des mesures similaires, c’était en janvier 1985, lors des violents conflits entre les autorités et le mouvement indépendantiste qui ont duré la majeure partie des années 1980. En 1986, les troupes d’élite françaises ont brutalement réprimé une insurrection sur l’île d’Ouvéa, massacrant 19 Kanaks.

La loi actuelle sur le corps électoral restreint est le fruit de l’accord de Nouméa de 1998, négocié par le gouvernement du Parti socialiste de l’époque à Paris comme un «compromis» entre les factions indépendantistes et anti-indépendantistes afin de maintenir le contrôle de la France sur sa colonie d’importance stratégique.

Tout en établissant un processus à long terme pour une série de trois référendums sur l’indépendance, les accords accordèrent une influence limitée à une couche kanake privilégiée, dirigée par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). En quête d’une plus grande part du gâteau économique et d’une plus grande influence politique, l’élite autochtone fait désormais partie de l’establishment et a tout intérêt à maintenir les modalités de vote existantes.
 

Le gouvernement Macron est déterminé à imposer le changement de scrutin tout en renforçant l’emprise de Paris sur la colonie. Alors que les États-Unis et leurs alliés se préparent à la guerre contre la Chine, l’impérialisme français cherche à jouer un rôle dans la militarisation du Pacifique. La Nouvelle-Calédonie accueille une importante base militaire et détient près d’un quart des réserves mondiales de nickel, essentiel à la fabrication de l’acier inoxydable et à l’industrie de la défense.

En visite à Nouméa en juillet dernier, Macron a déclaré sans ambages aux partisans du «séparatisme» qu’ils devraient accepter la victoire des pro-France lors du dernier référendum sur l’indépendance en 2021, qui avait été boycotté par les partis indépendantistes pendant la pandémie de COVID.

Mardi, la chambre basse française a voté 351 voix pour et 153 contre le changement constitutionnel, qui nécessite encore une majorité des deux tiers des deux chambres pour être adopté. Macron a déclaré qu’il retarderait le processus et inviterait les représentants des partis du territoire à des pourparlers afin de parvenir à un règlement négocié. Il a toutefois insisté sur le fait qu’un accord devait être conclu d’ici le mois prochain, faute de quoi il signerait la loi.

Les partis de Nouvelle-Calédonie ont publié une déclaration commune qui appelle au «calme et à la raison». Mercredi, le leader indépendantiste Daniel Goa a appelé les gens à «rentrer chez eux» et a condamné les pillages. Mais il a ajouté: «Les troubles de ces 24 dernières heures révèlent la détermination de nos jeunes à ne plus se laisser dominer par la France.»

Manifestation à Nouméa, Nouvelle-Calédonie, avril 2024 [Photo: CCAT]

Manifestation à Nouméa, Nouvelle-Calédonie, avril 2024 [Photo: CCAT]

Les tensions explosives qui ont éclaté lors des émeutes sont en fait profondément enracinées et dépassent les frustrations non résolues liées à l’indépendance. La crise survient à un moment où les troubles économiques et le mécontentement social s’intensifient. Le taux de chômage s’élevait à 10,8 pour cent en 2023, mais il atteint 26 pour cent chez les jeunes, ce qui touche principalement les jeunes Kanaks.

Une crise économique se profile à l'horizon, car l'industrie minière et métallurgique du nickel, qui employait jusqu'à récemment un quart de la main-d'œuvre totale, est en fort déclin. Dans un contexte de chute des cours mondiaux, elle doit faire face à la concurrence de l'Indonésie et de la Chine, qui produisent un nickel beaucoup moins cher. Le mois dernier, l'usine géante de Koniambo a été mise à l'arrêt alors que son principal financier, Glencore, cherche un acheteur potentiel pour sa participation de 49 %.

Le gouvernement local dirigé par le président Louis Mapou – un politicien kanak indépendantiste de l’Union nationale pour l’indépendance, qui fait partie du FLNKS – qui partage le pouvoir avec deux partis anti-indépendantistes, est à couteaux tirés sur les mesures à prendre pour faire face à l’aggravation de la crise du coût de la vie. Les divergences sur les politiques fiscales, en particulier sur le carburant, ont donné lieu à des manifestations et à des blocages qui ont rendu les dépôts de carburant inaccessibles et les stations-service ont subi des pénuries de carburant.

Les troubles en Nouvelle-Calédonie ont des répercussions sur l’ensemble de la région, qui se trouve au cœur d’une poudrière sociale. En janvier, une vague d’émeutes a éclaté en Papouasie-Nouvelle-Guinée en raison de l’escalade du coût de la vie et du mécontentement social qui secoue le plus grand pays du Pacifique et l’un des plus pauvres du monde.

Le Premier ministre du Vanuatu, Charlot Salwai, a vivement critiqué Macron, affirmant que la crise aurait pu être évitée «si le gouvernement français avait écouté et n’avait pas procédé au bulldozer du projet de loi constitutionnelle». Il a affirmé le soutien du groupe régional Mélanésie Fer de lance, qu’il préside, à la position du FLNKS qui s’oppose au projet de loi.
 

Les puissances impérialistes locales, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, soutiennent la France, qui est un allié important dans les préparatifs de guerre menés par les États-Unis contre la Chine. Le ministre néo-zélandais des Affaires étrangères, Winston Peters, qui a annulé l’étape néo-calédonienne de sa dernière tournée dans le Pacifique, a déclaré que «l’escalade de la situation et les violentes manifestations à Nouméa» suscitaient «de vives inquiétudes dans toute la région des îles du Pacifique».

Le Premier ministre australien Anthony Albanese a déclaré que son gouvernement «surveillait» la situation et a conseillé aux Australiens de «rester en sécurité». Il a déclaré d’un ton serein: «L’Australie accorde une grande importance à ses relations avec la Nouvelle-Calédonie et l’État français.»

En fait, l’année dernière, le gouvernement Albanese a soutenu la France en s’abstenant sur un certain nombre de résolutions des Nations unies relatives à la décolonisation. Selon DevPolicyBlog, en octobre, la représentante australienne à l’ONU s’est opposée à l’appel lancé aux puissances dirigeantes pour qu’elles mettent fin aux activités militaires et éliminent les bases militaires. L’Australie croit, a-t-elle déclaré, «aux droits souverains des nations à défendre les territoires qu’elles administrent».

(Article paru en anglais le 18 mai 2024)

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