Le charme discret de la libération de Julian Assange (ou comment il a sauvé WikiLeaks)
Par Viktor Dedaj
Le Grand Soir
L’affaire de presse la plus importante de notre génération, pour citer le regretté John Pilger, s’est conclue un peu comme elle avait commencé : en provoquant un pic d’intérêt éphémère des médias (il faut bien alimenter le fil de l’actualité, que diable) accompagné de leur désinvolture habituelle dans le traitement de cette affaire (il y a d’autres sujets à traiter, que diable).
D’ailleurs, je constate que pas mal de "médias alternatifs et indépendants" n’ont pas moufté plus que ça. Ils ont honte ou quoi ?
En résumé, Julian Assange a fini par craquer et plaider coupable - ce qui prouve qu’il l’était, sinon il aurait plaidé innocent et aurait fait confiance à la justice - et a profité de la magnanimité du gouvernement des États-Unis qui a finalement décidé en son âme et conscience, et sous la pression amicale de son allié Australien, que l’affaire devait être réglée dans un souci de…
Doux Jésus. Pour un gouvernement qui avait envisagé de l’enlever, l’empoisonner ou de l’assassiner, qui a soudoyé de faux-témoins, qui l’a fait séquestrer sous une forme ou une autre, harcelé, espionné, calomnié et diffamé et fait torturer pendant près de 15 ans, voilà un sacré revirement. Que dis-je, un volte-face. Que dis-je, une reconversion. Que dis-je, une illumination. Que dis-je, un miracle. Que dis-je, entendez cette musique céleste et voyez cette lumière divine. Que dis-je, je ne sais plus, mais Hallelujah quand même.
Un peu de contexte
Commençons par le commencement. Il ne s’agit pas d’un aveu de culpabilité, mais d’un accord négocié. Il s’agit de ce qu’on appelle, en anglais, un « plea deal » (ou « plea bargain »), ce qui signifie littéralement un plaidoyer négocié. Notez au passage que la nature du plaidoyer – coupable ou innocent – n’est pas précisée même si, dans la pratique, il s’agit toujours de proposer à l’accusé de plaider coupable en échange de quelque chose. Lorsqu’il s’agit d’instrumentaliser la loi, autant aller jusqu’au bout.
En échange d’un « plaider coupable », on offrira par exemple à l’accusé une réduction (le plus souvent généreuse) de la peine qui pourrait être prononcée si ce dernier décidait de tenter sa chance devant un juge ou un jury. L’accusé s’évite des procédures sans fin et très coûteux et les procureurs US obtiennent un ’taux de succès’ (condamnations) pharamineux. Les peines négociées sont souvent, comme dans le cas de Julian, équivalentes au temps déjà passé en préventif, ce qui fait que l’accusé est plus que tenté d’accepter. Lorsqu’il s’agit d’instrumentaliser la loi, autant aller jusqu’au bout.
Sur le plan technique, l’accusé voit cette « condamnation » (qui n’en est pas vraiment une) inscrite dans son casier judiciaire. Ainsi, Julian Assange n’a plus le droit de se rendre aux États-Unis, si jamais l’envie lui en prenait. Sur le plan juridique, la condamnation ne peut pas devenir jurisprudence puisqu’il s’agit d’une négociation et non d’une condamnation formelle. Ce qui me paraît contradictoire avec l’inscription au casier judiciaire. Mais, lorsqu’il s’agit d’instrumentaliser la loi, autant aller jusqu’au bout... Lire la suite