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De la démocratie en Françafrique. Une histoire de l'impérialisme électoral

par SLT 22 Septembre 2024, 08:31 Françafrique Néocolonialisme Elections France Articles de Sam La Touch

De la démocratie en Françafrique. Une histoire de l’impérialisme électoral
Le Monde diplomatique, avrile 2024

 

Coauteurs en 2018 d’un livre sur le franc CFA (L’Arme invisible de la Françafrique, La Découverte), la journaliste Fanny Pigeaud et l’économiste Ndongo Samba Sylla s’attaquent à un autre aspect de la Françafrique longtemps ignoré : les faux-semblants de la démocratie représentative. Ils rappellent que cette dernière n’a pas toujours été le modèle aujourd’hui présenté comme « le moins imparfait », et qu’elle « a changé de signification (…) pour devenir le nom d’un régime oligarchique inédit ». Débutant leur enquête à l’orée du XIXe siècle, ils soulignent comment, durant plus de cent cinquante ans, la métropole a imposé, dans ses possessions ultramarines, un mode de gouvernement fondé sur l’exclusion raciale, tout en employant des méthodes frauduleuses qui demeurent couramment répandues dans les pays indépendants. En déclinant les stratégies employées par la France pendant et après la colonisation, ils montrent qu’elle n’a jamais cessé de s’immiscer dans les processus électoraux en Afrique, afin de préserver ses intérêts.

Rémi Carayol

De la démocratie en Françafrique. Une histoire de l'impérialisme électoral

Dans leur dernier ouvrage, Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla proposent une passionnante « histoire de l’impérialisme électoral ».
 

 

Après avoir étudié l’histoire du franc CFA, « l’arme invisible de la Françafrique », la journaliste Fanny Pigeaud et l’économiste Ndongo Samba Scylla s’attaquent à un nouvel instrument de domination, qui n’est pas communément perçu comme tel : le processus électoral. Si « élection » et « démocratie » paraissent synonymes depuis l’avènement du libéralisme, les deux auteurs rappellent que, depuis les penseurs grecs de l’Antiquité jusqu’à ceux des Lumières, l’élection, contrairement au tirage au sort par exemple, était appréhendée comme un mécanisme de sélection permettant d’empêcher la démocratie, c’est-à-dire l’accès au pouvoir des classes populaires. Cette démocratie est ainsi fortement connotée péjorativement parmi les élites, même républicaines, jusqu’au milieu du XIXe siècle. Le discours change lorsque le concept de démocratie est vidé de sa substance et réduit à celui de système représentatif permettant le maintien au pouvoir de la bourgeoisie, légitimé par un suffrage dont le caractère universel n’est concédé que progressivement et tardivement (1945 en France).

 

Droit impérial

Le livre [1] s’intéresse ensuite à l’envers de la médaille républicaine : l’introduction des systèmes représentatifs au sein de l’empire colonial français et les efforts incessants d’abord pour en exclure les colonisés, puis pour réduire leur poids politique. Cela passe par l’invention d’un droit colonial qui exclut de la citoyenneté (régime de l’indigénat) ou n’accorde qu’une citoyenneté de seconde zone (sous-représentation, doubles collèges électoraux), mais également par la manipulation, l’instrumentalisation d’élites redevables, la corruption, la fraude et les répressions incessantes. Au milieu du XXe siècle, ces méthodes (et de plus violentes au besoin) perdurent pour sélectionner les dirigeants africains de confiance qui se verront par la suite confier les rênes des indépendances, lorsque la France y sera acculée, dans le respect des intérêts coloniaux. Entre-temps, ils auront aussi permis d’obtenir un vote « oui » au référendum de 1958 instaurant la Communauté française, notamment au Niger qui menaçait de suivre l’exemple « sécessionniste » guinéen.

 

« Démocratie de basse intensité »

Des années 1960 aux années 90, c’est la période des régimes à parti unique ou assimilés, encadrés par la coopération française, ponctués de coups d’État souvent perpétrés contre les dirigeants qui voudraient s’émanciper de la tutelle française. Avec l’avènement du multipartisme, plus ou moins de façade, succède une ère de « démocratie de basse intensité », soutenue par la communauté internationale. Pour bénéficier d’un vernis de légitimité qui en fasse des interlocuteurs acceptables, les élites dirigeantes africaines doivent bénéficier de scrutins « apaisés » et de résultats « crédibles ». Mais l’objectif reste bien la stabilité et le maintien du statu quo néolibéral, et n’empêche en rien les mandats successifs ou les successions dynastiques. Dans ce cadre, les auteurs étudient la poursuite des ingérences électorales françaises jusqu’à la période la plus récente. Le cas de la Côte d’Ivoire et de la crise électorale de 2011 qui s’est soldée par l’intervention des blindés français, fait notamment l’objet d’un chapitre entier. Avec l’exemple du Sénégal entre 2019 et 2023, les auteurs analysent aussi toutes les manœuvres d’ingénierie électorale (élimination judiciaire des opposants, remodelage partial du fichier électoral et du fichier d’État civil, recours aux technologies du Big Data, etc.) qui visent un véritable « eugénisme électoral » pour obtenir le même résultat, mais plus discrètement, que des fraudes plus classiques.
Cette longue histoire de discrédits de la « démocratie » explique pour partie le soutien populaire dont ont bénéficié les auteurs des récents coups d’État militaires survenus au Sahel. Elle permet également de comprendre que les mouvements de solidarité avec les peuples africains ne sauraient limiter leurs revendications à l’exercice d’un droit de vote, même formellement libre.

Raphaël Granvaud

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