Faux clash Mélenchon Ruffin : pas de quartier pour l’instrumentalisation
Par Abdel Yassine et Ulysse Rabaté
Club Mediapart, 14.09.24
Dans sa volonté de se distinguer de Jean-Luc Mélenchon et mettre grossièrement en scène un « duel » hypothétique pour le leadership à gauche, François Ruffin mobilise une continuité dangereuse entre quartiers populaires et communautarisme.
Dans sa volonté de se distinguer de Jean-Luc Mélenchon et mettre grossièrement en scène un « duel » hypothétique pour le leadership à gauche, François Ruffin mobilise une continuité dangereuse entre quartiers populaires et communautarisme. Le « désaccord électoral et moral » avec la France Insoumise résiderait dans une stratégie politique trop dirigée vers les habitants des quartiers, eux-mêmes ciblés par l’argument du dit communautarisme.
Dans cette énième dispute sur le dos des quartiers populaires une nouvelle fois ces derniers « sont parlés bien plus qu’ils ne parlent », comme le disait bien Pierre Bourdieu : tantôt trésor électoral, tantôt danger pour la France « en entier », les quartiers sont totalement essentialisés et renvoyés au registre instrumental.
A ce titre, le constat d’une centralité des quartiers dans le paysage politique français, que nous avons développé ailleurs, se confirme. Jusqu’à la construction de « faux clash » pour se remonétiser, comme le font les rappeurs en mal de notoriété.
La « sortie » de François Ruffin est un naufrage sur le fond parce qu’elle sous-entend qu’il suffit grosso modo d’appuyer sur un bouton émotionnel Palestine pour activer électoralement un-e arabe (on exagère à peine) mais elle est aussi terrible pour le processus de discussion qu’elle ouvre ou plutôt qu’elle ré-ouvre : encore et toujours, les quartiers et leurs habitants sont cyniquement utilisés par les acteurs du champ politique pour créer du conflit, marquer des différences (« morales »)…mais des différences qui ne les concernent qu’eux.
Ce renvoi systématique au registre du « problème » est une habitude pour les habitants des quartiers. Ici, c’est tout l’imaginaire colonial de la « zone de non-droit » et du « séparatisme » qui ressurgit, alors même que ce sont les territoires qui ont porté le plus activement la stratégie du « Front Républicain », sauvant peut-être la France d’un gouvernement d’extrême-droite.
Peut-on dire pour autant que les quartiers sont acquis à la gauche ?
Non. Et d’aucuns auraient tort de penser que la mobilisation « défensive » contre l’extrême-droite au mois de juillet, ou encore le bon accueil des candidat-e-s du NFP dans certains quartiers, signifient une adhésion sans retenue à un programme ou une incarnation politique.
La fausse idée de « quartiers acquis » (autre piège absurde dans lequel tombe F. Ruffin, mais pas seulement lui) marque une certaine lecture des relations entre la gauche et les quartiers, marquée par l’obsession du « rendez-vous », manqué ou réussi. Cette perspective du coup-par-coup masque toute vision historique en profondeur des mobilisations issues des quartiers populaires et de leurs interactions avec le corps politique. Elle voit alternativement des divorces et des lunes de miel, là où il faudrait voir des « révolutions avortées » ou des alliances conjoncturelles. Les séquences politiques de 2022 puis de 2024, comme tant d’autres de l’histoire politique récente, ont été symptomatiques de cette modalité.
Il s’agit ici encore de sortir d’une vision descendante et instrumentale (« Nous avons réussi à les mobiliser ») et mesurer que ce qu’il s’est passé aux élections législatives est davantage l’activation pragmatique d’une force politique « déjà-là » dans les quartiers, et qui bien souvent n’attend pas la politique institutionnelle pour s’organiser et agir dans la sphère publique. Cette « présence » faisait déjà office de barrage aux idées d’extrême-droite, avant-même de se transformer en vote. Voilà un capital politique indiscutable, qui s’oppose nécessairement à toute vision réductrice qui n’y verrait qu’un capital électoral.
1. Rabaté, Ulysse, Streetologie. Savoirs de la rue et culture politique, Editions du commun, 2024.
2. Le terme est celui du sociologue Saïd Bouamama