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Ajax - Maccabi : Amsterdam au cœur d’une improbable inversion de réalité (Blast)

par SLT 24 Novembre 2024, 09:01 Amsterdam Ajax Footbal Hooligan Racisme Antisémitisme Antisionisme Médias Pays-Bas France Israël Colonialisme Palestine Articles de Sam La Touch

Crédits photo/illustration : Margaux Simon

Crédits photo/illustration : Margaux Simon

Il aura suffi de quelques images siphonnées sur Internet et de commentaires repris sans filtre par de grands médias internationaux pour faire croire à la planète entière que se déroulait un « pogrom » à Amsterdam, juste après la rencontre de football entre l’Ajax et le Maccabi Tel Aviv, dans la nuit du 7 au 8 novembre. Cet emballement médiatico-politique a inspiré des dizaines d’éditorialistes en France, aux Pays Bas et dans toute l’Europe. Partout la même litanie accablant les hordes d’antisémites pro-palestiniens faisant la « chasse aux juifs » dans les rues sombres de Dam. S’il faut en choisir un, prenons le cas de l’éditocrate québécois Mathieu Bock-Côté dans sa chronique du Figaro le samedi suivant « le pogrom ». Il y hypertrophie la qualification « antisémite » des violences qui se sont déroulées ce soir-là : selon lui, tout cela était prévisible et doit être attribué, non pas au comportement agressif et raciste des supporters du Maccabi durant deux jours, mais bien à « la gauche de la gauche (qui) est passée de l’antisémitisme anticapitaliste à l’antisémitisme décolonial, et en appelle à la destruction d’Israël et à la fin de la souveraineté juive […]. » Il ajoute cette assertion également colportée par l’extrême droite allemande : « L’antisémitisme ne revient pas, il arrive dans les bagages de l’immigration. » Le reste est à l’avenant, mais pas un mot sur la réalité de ce qui s’est déroulé dans les rues d’Amsterdam, et pour cause, il n’en savait rien. Sinon que Benjamin Netanyahu avait de toute façon donné dès le 8 novembre la seule version incontestable des événements à ses yeux : il s’agissait « d’une attaque antisémite planifiée contre des citoyens israéliens. »

 

Comment expliquer que cette seule vision ait été abondamment relayée par les médias et les dirigeants néerlandais dont Dick Schoof, premier ministre d’une coalition de droite alliée à l’extrême droite de Geert Wilders, sans s’assurer de la véracité des faits ? Pourquoi la succession de provocations racistes des supporters israéliens pendant deux jours n’est jamais prise en compte par ces commentateurs pressés? Ce sont pourtant ces supporters survoltés et belliqueux qui ont installé un climat malsain dans la ville. En tout cas, le « pogrom » n’a fait aucun mort ; cinq personnes ont été hospitalisées sans que l’on sache d’ailleurs si ces personnes étaient supporters de l’Ajax ou du Maccabi.

 

Engrenage

Comme la bande-annonce d’une tragédie en direct, ce sont d’abord les voix politiques qui se sont fait entendre. Et ils n’y sont pas allés mollement, de Benyamin Nétanyahou invoquant la mémoire de la « Nuit de cristal » à Emmanuel Macron convoquant « les heures les plus indignes de notre histoire ».

 

Comment sur un autre plan, des journalistes ont-ils pu renoncer à la circonspection la plus élémentaire, et reprendre sans broncher le mot « pogrom » ? La communication du gouvernement israélien suffisait-elle pour se passer de vérifications avant de diffuser des images que la plupart des médias n’étaient pas en mesure de contextualiser et cela sans l’autorisation de leurs auteurs ? Les médias anglophones se sont visiblement contentés de reprendre un premier commentaire de l’agence Reuters sur une vidéo circulant sur X qui allait, le lendemain, être démenti. Dans cette première version « des éléments propalestiniens pourchassaient des supporters israéliens pour les agresser », sans autre précisons.

 

Jusqu’au 12 novembre cette version d’attaques qualifiées « d’antisémites » n’a pas été corrigée par tout le monde. Elle a été entretenue entre autres par l’ambassadeur d’Israël en France qui parlait toujours de « chasse aux Juifs » sur BFM sans mention des chants des supporters du Maccabi Tel Aviv souhaitant « la mort de tous les arabes. ». Cinq jours après…

 

Le 9 novembre, pourtant, le journal sportif L’Équipe, dans l’article de son envoyée spéciale, avait mis un bémol à l’avalanche de superlatifs qui victimisaient sur le vif les seuls supporters du Maccabi Tel Aviv après leurs affrontements avec des habitants d’Amsterdam. Ce qui s’est réellement passé dès la veille du match apparait de moins en moins univoque : « Les partisans du Maccabi ont retiré un drapeau palestinien d’une façade du Ronkin, ont détruit un taxi (dont le chauffeur, d’origine marocaine, a été frappé à coups de ceintures, on l’apprendra ensuite), un drapeau palestinien sera incendié sur un barrage. » Mais aucune arrestation n’a été effectuée, dit l’article de De Telegraaf, principal quotidien néerlandais, qui rapporte également dans son édition du même jour que des Israéliens avaient attaqué des automobilistes dans le quartier de la gare.

 

La veille du match une manifestation de soutien à la Palestine avait été déplacée par les autorités - ce qui n’avait suscité aucun incident. Mais déjà, dans les rues de la ville, raisonnaient les chants racistes et violents de supporters israéliens envers les Arabes et les Palestiniens, dont la traduction n’a pas été effectuée tout de suite.

 

Le jour du match, le 7 novembre dans l’après-midi, rien ne filtre quand les supporters israéliens encadrés par la police se mettent en marche pour se rendre au stade. Les premières images commencent à tourner sur Internet. Cette fois-ci, les mots d’ordre sont limpides : « Palestine, on t’encule », « IDF [forces de défense israéliennes] vaincra ! », « Il n’y a pas d’écoles à Gaza parce qu’il n’y a plus d’enfants. » Il ne s’agit plus seulement d’une manifestation de hooligans mais bien de soutiens politisés à la guerre que mène le gouvernement d’extrême droite israélien au Moyen-Orient.

 

Au stade, la minute de silence pour les victimes des inondations de Valence n’est pas respectée. Quelque 2 600 Israéliens sont dans les tribunes et ils sifflent, allument des fumigènes. Motif ? L’Espagne a reconnu officiellement l’État de Palestine…

 

Manipulations médiatiques

Le match s’est déroulé sans « aucune anicroche », atteste cependant Marteen Oldenhof, professeur d’économie qui suit l’Ajax d’Amsterdam depuis les belles années de l’ère de l’entraîneur Louys Van Gaal. « Tout s’est déroulé ensuite, dans la ville, et aucun supporter de l’Ajax n’a été impliqué. Le problème n’a strictement rien à voir avec le football. Le problème, c’est Gaza. Il y a à Amsterdam une population musulmane importante, notamment d’origine marocaine. Une population qui se sent impuissante face à ce qui se passe au Moyen-Orient. » Une communauté qui n’est pas choyée par la coalition de droite extrême au pouvoir aux Pays-Bas.

 

Dans ce contexte social abrasif, « les gauches ont souligné le caractère provocateur des supporters du Maccabi Tel Aviv et les droites s’en tiennent au récit des événements par le seul prisme des "attaques antisémites". Ce dualisme reflète les mêmes tensions sociétales qu’en France » ajoute Niek Pas, professeur d’histoire et spécialiste du sport à l’Université d’Amsterdam.

 

Sur les réseaux sociaux, selon la police, des rendez-vous sont pris pour se rendre en ville, où les Israéliens poursuivent leurs invectives et se montrent agressifs envers de simples passants, s’en prennent à des boutiques et même à un tramway.

Ironiquement, c’est Ome Bender, un jeune reporter de 14 ans suivi par beaucoup de fans qui couvre l’ambiance autour des matchs de l’Ajax, qui va montrer en direct des groupes d’Israéliens attaquant des inconnus dans les rues, s’emparant de barres métalliques sur un chantier, lançant des projectiles sur des cars de police, ou jetant des canettes de bière sur des passants. Bender filme jusqu’à ce que les Israéliens lui demandent d’arrêter pour « sa propre sécurité ». Il n’a pas coupé le micro… Il raconte que la police montée présente aux abords du stade a disparu et que le dispositif policier est minimal. Il se renforcera considérablement quand interviendra la riposte des soutiens aux Palestiniens qui ont pris la décision de ne pas laisser faire.

 

Les images de Bender sont confirmées par Annette de Graaf, photographe, qui publie également des images sur X. Elles sont d’abord utilisées par SkyNews qui les diffuse dans une première version où il est bien question d’Israéliens attaquant des automobilistes, des cyclistes, et même un groupe de trois jeunes Amstellodamois coursés et frappés dans la rue. Une commentatrice de la chaîne est sur place. Owen Jones, journaliste indépendant britannique, relève, lui, un peu plus tard que la première version équilibrée de cette journaliste a été considérablement remaniée plus tard dans la nuit. Il intervient et alerte : « Les images sont les mêmes mais désormais le commentaire de la chaîne dit l’inverse de ce que disait le précédent. » SkyNews semble bien être au cœur et à l’origine de la manipulation puis du déferlement médiatique mensonger. Les mêmes images montreraient cette fois des Israéliens pris à partie par des groupes d’Amstellodamois. Une nouvelle version d’un premier article est également réécrite sur le site de la chaîne. Owen Jones compare les deux versions : dans la seconde, il n’est plus question de « tuer tous les Arabes » comme le chantaient les Israéliens précédemment ; le texte s’aligne désormais sur la thèse d’actes antisémites tandis que la chronologie des faits est inversée. À savoir que l’affrontement qui éclate par la suite entre défenseurs de la cause palestinienne et Israéliens qui se font tabasser ou jeter dans un canal de la ville précéderait l’attaque des Israéliens sur les habitants d’Amsterdam.

 

Annette De Graaf se dit choquée. Elle est interviewée par Owen Jones quant à l’utilisation de ses images. Tous deux montrent alors la désinformation en marche. De Graaf raconte, elle, que sa première publication sur X a été relayée par un influenceur américain qui interprète ou ment en éditant son témoignage vidéo. D’autres médias mainstream suivent, et pas des moindres. The Wall Street Journal, la BBC The New York Times, Bild, la ZDF - Les journalistes de la BBC s’opposent à la politique éditoriale de la chaîne publique britannique, qui étouffe selon eux toute critique d’Israël. Concernant SkyNews, la photographe Annette De Graaf affirme avoir été interviewée par la chaîne le vendredi après l’avoir elle-même contactée pour manifester sa désapprobation mais jamais sa vision des choses ne sera diffusée.

 

France Télévisions ne fait pas mieux. Au 13 heures du 8 novembre le commentaire s’applique essentiellement aux images de violences qui touchent des Israéliens - effectivement traités de « Juifs » pour certains - en fin de soirée, sans revenir sur les heures précédentes et sur ce qui s’est passé la veille du match. Seuls des Israéliens sont interviewés. Rien sur les scènes qui ont amené à ces rixes (sinon la maigre mention de chants « anti-arabes »). Les représailles, déplorables, qui ont vu des petits groupes s’attaquer à des Israéliens isolés jusqu’à environ 4 heures du matin font l’essentiel du sujet. France 24 en anglais, en revanche, passera au crible les fake news circulant sur les réseaux utilisant les mêmes images. Et d’autres médias suivront, reconnaissant les erreurs qui ont été commises et s’excusant auprès de De Graaf.

 

Cette faillite de l’information instantanée pose, outre des questions d’éthique, de déontologie et de crédit, un problème politique.

 

L'extrême droite relaie la propagande israélienne

Aux Pays-Bas, les élus s’opposent également sur la question du déroulement des événements et leur interprétation. Le roi en personne y est allé de sa phrase, estimant que son pays avait échoué à défendre les Juifs « comme durant la Seconde Guerre mondiale »… Il n’y a plus de limites, plus aucune pudeur. Pour mémoire, les trois-quarts de la population juive d’Amsterdam ont été assassinés par les nazis. Et comment ne pas penser aux 44 000 Palestiniens, dont une majorité de femmes et d’enfants, massacrées à Gaza au cours des treize derniers mois - compte non tenu des victimes dont les corps n’ont pas encore été retrouvés ?

 

Le plus scandaleux dans cet épisode est que les femmes et hommes politiques – tous pays confondus - ne sachent plus mesurer leurs prises de parole. Les insultes et les violences racistes sont évidemment intolérables mais perdre toute vision circonstanciée d’une époque la rapportant à une autre est une faute. En l’occurrence, parler de « pogrom » pour qualifier les heurts du 7 novembre à Amsterdam est outrancièrement impropre. Un pogrom désigne des répressions violentes organisées par un pouvoir institué contre des minorités considérées comme inférieures.

 

Dans le cas d’Amsterdam, parler de pogrom ce 7 novembre 2024 n’a donc aucun sens. Mais utiliser le mot permet une distorsion de la réalité. Parmi les 63 personnes arrêtées par la police après les affrontements figurent 10 citoyens israéliens qui ont enfreint la loi. Un procès dira ce qu’il en est de la responsabilité des uns et des autres, mais une chose est certaine dans cette affaire : les Pays-Bas sont gouvernés par une coalition de droite dure menée par un ancien agent des renseignements, Dirk Schoof, avec l’onction de l’extrême droite ouvertement antimusulmane, le PVV de Geert Wilders qui sous couvert de combattre l’antisémitisme se permet toutes sortes d’exagérations à l’égard des minorités arabes dans son pays qu’il n’hésite pas à considérer comme des « criminels ». Schoof, le lundi 11, est revenu sur les désordres après avoir reçu l’ambassadeur d’Israël pour s’accorder à intensifier la lutte contre l’antisémitisme. Il s’en justifiait ainsi : « Il y a pour moi une différence entre dégrader du matériel et pourchasser des Juifs. » Mais rien sur les insultes racistes chantées par les Israéliens.

 

Wilders, quant à lui, a réclamé la démission de la maire écologiste d’Amsterdam (qui a des positions en faveur des migrants), Femke Halsema, et exprimé le vœu de stopper et éradiquer l’islamisme radical. Le chef du parti d’extrême droite reprend la rhétorique de Netanyahu dans plusieurs posts dans la droite ligne de ce qu’il pense lui-même « L’Islam est une idéologie d’attardés ».

 

Le 17 novembre, sur la chaîne néerlandaise NPO, Femke Halsema regrette, elle, avoir utilisé le mot de « pogrom » qui, dit-elle, relevait de la propagande. Dix jours se sont écoulés.

 

Au final, en suivant les déclarations des hommes politiques de Biden à Macron, les habitants d’Amsterdam n’ont pas non plus été agressés par des groupes de supporters israéliens, la thèse d’une attaque coordonnée visant des Juifs et ce seul motif a recouvert tous les autres amplifiant peur et stupeur des Juifs néerlandais envers les populations d’origine arabe.

 

Seule la maire d’Amsterdam a révisé son avis quatre jours après les faits. Après avoir elle aussi évoqué à chaud un « pogrom », elle précisait qu’outre les attaques avérées contre les supporters israéliens « les Amstellodamois ont également été attaqués par des hooligans du Maccabi qui ont scandé des slogans racistes et haineux dans notre ville. »

 

La perception de ce qui s’est réellement déroulé à Amsterdam interroge beaucoup les Néerlandais eux-mêmes comme cette journaliste du quotidien NRC Handelsblad qui ne comprend pas pourquoi « les supporters israéliens, qui pour le dire sans détour, n’ont rien à foutre des vies palestiniennes et arabes, sont venus dans notre capitale pour propager largement leur message ». Karin Amatmoekrim continue : « Les supporters du Maccabi n’ont pas pris des coups parce qu’ils étaient juifs. Ils ont été battus parce qu’ils affichaient sans scrupule être fiers de leur gouvernement haineux et de ses crimes de guerre. Ce qui ici est honteux est que la ville d’Amsterdam ait accepté d’inviter le noyau dur d’un pays coupable de crimes inimaginables. »

 

L’épisode, dans sa complexité, et le manque d’information sérieuse au moment des faits a accru le risque d’une instrumentalisation politique qui ressemble en fin de compte à s’y méprendre, effectivement, à de la pure propagande de guerre.

 

Sources consultées : The Guardian, Courrier International, NRC, Owen Jones Independant Channel, Le Monde, Mediapart, Le Figaro, So Foot, L’Équipe, Jacobin.

 

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